Au Bénin, l’opposante Reckya Madougou a-t-elle été placée en détention provisoire par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) sur ordre de la chancellerie ? C’est en tout cas ce que dénonce un juge de cette même Cour.
Sur RFI, Essowé Batamoussi témoigne. Ce magistrat, membre de la chambre des libertés et de la détention de la Criet, vient de démissionner de la Cour. Il a fui le Bénin par crainte de représailles, dit-il. Il affirme que la Cour a reçu des « instructions » du pouvoir politique, qu’elle n’est pas indépendante.
« Toutes les décisions que nous avons été amenées à prendre l’ont été sous pression. Je citerai la dernière, celle qui a vu le placement de Reckya Madougou, en détention donc. Dans ce dossier nous avons été sollicités par la chancellerie, car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention. Ce n’était pas la première fois. Il y a eu pas mal de dossiers où nous avons reçu des instructions de la chancellerie », a déclaré Essowé Batamoussi, magistrat, membre de la chambre des libertés et de la détention de la Criet
Les autorités béninoises, sévèrement mises en cause, ont répondu ce lundi matin. Séverin Quenum, le ministre béninois de la Justice, se défend de toute intervention dans le dossier Madougou. Il dénonce une manipulation politique.
« Ce magistrat je ne le connais pas et je ne lui ai jamais parlé, bien qu’étant le garde des Sceaux qu’il met en cause. Vous savez bien que Madougou et ses alliés politiques dit de l’opposition radicale, jurent par tous les dieux que l’élection du 11 avril n’aura pas leu. Ils souhaitent provoquer une insurrection destinée à mettre un terme au mandat du président en exercice »
« Manipulation » ou « justice sous boisseau » ?
Alors que le premier tour de l’élection présidentielle est prévu pour ce dimanche 11 avril. La classe politique a réagi à ces déclarations. Les pressions de la chancellerie dénoncées par le juge Batamoussi ne sont pas nouvelles pour l’ex-ministre de la Justice de l’ancien président Boni Yayi, Valentin Djenontin-Agossou. Selon lui, Reckya Madougou n’est que la dernière en date à avoir subi les foudres du pouvoir de Patrice Talon.
« Depuis 2016, toutes les condamnations d’hommes politiques, c’est à la présidence ou au ministère de la Justice [qu’elles se décident, NDLR]. Donc je ne suis pas du tout surpris par rapport à Dame Madougou qu’ils reçoivent ces pressions », dit-il.
Du côté de la majorité présidentielle, le député Abdoulaye Gounou regrette la méthode utilisée, qualifiée de manipulation politique. « À voir la forme, le canal et le style utilisés par le magistrat Batamoussi, la seule motivation qui puisse être en dessous, c’est de nuir au gouvernement et de ternir l’image de notre pays. »
Pour le secrétaire général de l’Union sociale-libérale, Géraldo Gomez, c’est au contraire une preuve de plus que la frontière entre les pouvoirs exécutif et judiciaire est de plus en plus ténue.
« La justice est sous boisseau. Elle est sous la pression politique. Nous avons le Conseil supérieur de la magistrature qui est à majorité composée par l’exécutif, ce qui est totalement anormal et que nous ne cessons de décrier, et la Criet a été créée comme une juridiction politique pour pouvoir régler ses comptes avec les opposants politiques. »
Si pour les partisans de Patrice Talon, ces révélations ne visent qu’à affaiblir le président à l’approche des présidentielles, tous les opposants s’accordent à dire qu’elles n’auront pas d’influence sur le scrutin.
Par RFI