Les Brics, réunis depuis deux jours pour un sommet à Johannesburg, ont décidé d’accueillir six nouveaux pays au sein de leur bloc à compter du 1ᵉʳ janvier 2024. C’est le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, qui l’a annoncé dans une conférence de presse. Son homologue chinois, Xi Jinping, a salué « un élargissement historique ». Il prédit « un avenir radieux pour les Brics ». Les principales réactions, avec nos correspondants dans les régions du monde concernées.
On ne sait pas encore comment on prononcera le nouvel acronyme du groupe des émergents à la radio, plaisante notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde. Mais d’ici là, c’est par leurs noms que le président chinois a énuméré les six nouveaux entrants, dont l’adhésion prendra effet à compter du 1er janvier 2024 : « Argentine, Égypte, Éthiopie, Arabie saoudite, Émirats arabes unies et Iran ». Une expansion sur laquelle le « club des cinq », qui pèse un quart de la richesse et 42% de la population mondiale, a dû se mettre d’accord.
La Chine, qui représente 70% du PIB du groupe, a fait pencher la balance en faveur d’une accélération d’un processus sur lequel l’Inde avait demandé un « consensus » préalable, et auquel le Brésil s’était montré plutôt réticent. « Cette expansion historique répond aux attentes de la communauté internationale. Elle marque un nouveau point de départ pour la coopération des Brics », a affirmé Xi Jinping en conférence de presse. « Cela injectera une nouvelle vitalité dans le mécanisme de coopération et renforcera les forces de la paix et du développement dans le monde », a-t-il ajouté.
Cet élargissement, la presse d’État chinoise en parle autant que s’il s’agissait d’un départ de mission spatiale dans le pays, car il traduit le poids de la diplomatie chinoise au sein du groupe. Les six nouveaux membres des Brics sont en effet des proches de Pékin, qui font partie du groupe d’amitié de l’initiative de développement globale et de sa principale composante, le Global South (Sud global), lancé par Xi Jinping à l’ONU en 2021. La Chine entend faire de ces « Brics+ » un concurrent du G7, ce qui est encore loin d’être le cas. À Pretoria, les pays du groupe ont rappelé leur position de « non alignés ».
Vu d’Égypte : une alternative aux prêts du FMI
L’adhésion de l’Égypte est d’autant plus appréciée au Caire, qu’elle intervient en pleine crise économique majeure, explique notre correspondant sur place, Alexandre Buccianti. La Banque de développement des Brics offre une alternative aux prêts du Fonds monétaire international, avec lequel le pays a des difficultés, puisqu’il n’arrive plus à respecter les conditions imposées par le FMI.
Les Brics, c’est aussi une monnaie alternative au dollar, dont l’Égypte manque cruellement pour ses importations. Et justement, rejoindre le club, c’est sécuriser les importations de produits stratégiques comme le blé. Le Caire doit importer douze millions de tonnes de blé l’année prochaine, principalement de Russie, mais avec aussi un nouveau fournisseur : l’Inde.
Enfin, les Brics, cela représente de potentiels nouveaux investissements pour l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi. Entre 2021 et 2022, les investissements des membres de ce groupe ont augmenté de 50%. Et par ailleurs, les échanges commerciaux avec les Brics étaient de plus de 31 milliards de dollars en 2022. Des échanges qui devraient nettement augmenter.
Argentine : « Faire partie des Brics nous rend plus forts »
Dans un message vidéo diffusé ce jeudi matin, le président argentin Alberto Fernandez s’est félicité de l’entrée de son pays dans le club des puissances émergentes. En être « nous rend plus forts », a-t-il dit. À la tête d’un État surendetté en manque de financements extérieurs, M. Fernandez a souligné qu’avec cette adhésion, son pays s’inscrivait dans la création d’une « nouvelle architecture financière mondiale » pour en finir avec « l’insoutenabilité des dettes souveraines ».
Mais voilà, quelques heures plus tard, devant un parterre de chefs de grandes entreprises, la candidate de l’opposition de droite à l’élection présidentielle d’octobre, Patricia Bullrich, a critiqué cette adhésion. « Le président de la nation vient d’engager l’Argentine à entrer dans les Brics alors que l’invasion de l’Ukraine se poursuit. Nous croyons dans un ordre international basé sur des règles pour préserver la paix et le respect du droit international. Sous notre gouvernement, l’Argentine ne sera pas dans les Brics », a-t-elle promis.
Quant au candidat antisystème et ultralibéral à la présidentielle Javier Milei, actuellement en tête des intentions de votes après les primaires, il avait pour sa part déjà fait savoir qu’il comptait lui aussi tourner le dos au Brésil et à la Chine pour se rapprocher des États-Unis, en cas d’accession à la Casa rosada.
« L’Éthiopie est prête à coopérer avec tous »
« C’est un grand moment pour l’Éthiopie », a déclaré le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Son pays, écrit-il sur le réseau social X, est prêt à « coopérer avec tous pour un ordre mondial inclusif et prospère ». Il y a deux mois, Addis-Abeba avait soumis sa candidature officielle en vue de renforcer sa position économique grâce à une institution internationale qui puisse défendre ses intérêts, explique notre correspondante Clothilde Hazard. Et c’est désormais chose faite.
Il faut dire que le pays avait déjà les faveurs de la Chine, important investisseur en Éthiopie. Mercredi 23 août, le Premier ministre Abiy Ahmed a en effet rencontré le président chinois, les deux dirigeants exprimant à cette occasion leur volonté de renforcer leur partenariat sur les plates-formes multilatérales.
La Chine a par ailleurs annoncé qu’elle suspendait le remboursement de la dette éthiopienne qu’elle détient sur la période 2023-2024, une bonne nouvelle pour l’Éthiopie, qui doit se relever des deux ans de guerre au Tigré ayant creusé sa dette et ralenti les exportations ainsi que le marché de l’emploi. Pour les Brics, le pays représente un important marché potentiel en termes d’investissements et de commerce, grâce à sa croissance rapide et sa population très nombreuse, puisque l’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique.
Le Golfe désormais bien représenté aux Brics
La nouvelle de l’adhésion de son pays a été saluée par le numéro un des Émirats arabes unis. Sur les réseaux sociaux, le cheikh Mohammed ben Zayed a qualifié les Brics de groupe « important », rapporte le correspondant régional de RFI, Nicolas Keraudren. « Nous attendons avec impatience un engagement continu de coopération pour la prospérité, la dignité et le bénéfice de toutes les nations et de tous les peuples du monde », a-t-il ajouté.
Et surtout, en plus de la fédération émirienne, une autre puissance économique du Golfe, à savoir l’Arabie saoudite, a aussi été invité à rejoindre le groupe. Tout comme l’Iran. L’inclusion de ces trois pays au sein d’une même organisation économique ou politique était encore impensable ces dernières années, mais Riyad et Abu Dhabi ont normalisé récemment leurs relations avec leur rival Téhéran. Les deux monarchies du Golfe ont par ailleurs veillé à entretenir de bonnes relations avec la Russie sur fond de guerre en Ukraine. Puis ont aussi resserré leurs liens avec la Chine.
L’Iran se tourne de plus en plus vers l’Orient
Le régime de Téhéran s’est félicité de son adhésion dans un groupe qui comprend ses deux alliés traditionnels, la Chine et la Russie, face aux pressions des États-Unis et des pays occidentaux sur le plan politique et économique en raison de son programme nucléaire en pleine expansion. « L’adhésion permanente au Brics est un succès stratégique pour la politique étrangère de la République islamique », a ainsi affirmé le conseiller politique du président Raissi dans un tweet.
Le pouvoir iranien se tourne de plus en plus vers les pays orientaux, relate notre correspondant à Téhéran, Siavosh Ghazi. Après l’adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai il y a deux mois, cette nouvelle alliance constitue indéniablement un nouveau pas vers non seulement Pékin et Moscou, mais aussi vers New Delhi, Brasilia et Pretoria. Elle permet aussi de contrer les sanctions économiques américaines et de faire un pas important pour « dédollariser » l’économie nationale. D’ores et déjà, l’Iran a conclu des accords avec la Chine, la Russie et l’Inde pour faire du commerce dans leurs propres monnaies nationales.
Surtout, cela permettra à la République islamique d’augmenter ses exportations pétrolières. L’Iran exporte déjà plus de deux millions de barils de pétrole vers la Chine, un niveau proche de celui atteint après l’accord nucléaire de 2015. Les exportations pétrolières du pays étaient descendues à 300 000 barils par jour après la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire, en 2018.
Un 15e sommet charnière pour le club des émergents
Le sommet des Brics a pris fin, après trois jours de rencontres, sur cette annonce d’envergure, l’arrivée de ces six nouveaux membres à même de changer les dynamiques et les alliances internationales. À partir du 1er janvier prochain, le groupe aura donc plus que doublé, incorporant notamment des géants du secteur des hydrocarbures.
De quoi peser un peu plus financièrement sur la scène mondiale, analyse notre correspondante à Johannesburg, Claire Bargelès, qui a suivi ce rendez-vous pour RFI.
Les désormais onze membres devront toutefois trouver une façon de continuer à fonctionner par consensus, et donc dépasser les clivages et inimitiés. Les frictions entre l’Éthiopie et l’Égypte, autour de la question du barrage de la Renaissance, ou entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui viennent de mettre fin à sept ans de brouille, rendront les échanges encore plus ardus.
Des duos comme la Chine et l’Inde, ou l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont également destinés à être, à l’avenir, mis en compétition. Ce groupe des onze devra donc trouver une voie commune, malgré son hétérogénéité.
Concernant l’autre dossier sur la table, celui de la dédollarisation, même si l’idée d’une monnaie commune a plus ou moins disparu des débats, la volonté d’augmenter les échanges entre les membres dans des monnaies locales reste bien vivace et « gagne du terrain », selon la Russie.
L’Arabie saoudite, l’Iran et les Émirats arabes unis, parmi le top dix des réserves mondiales de pétrole, pourraient enfin permettre d’accélérer le projet. Les ministres des Finances et les directeurs des Banques centrales doivent maintenant travailler sur la question, pour que le dossier puisse être à nouveau étudié lors du prochain sommet, prévu en octobre 2024 en Russie.