(Des réactions tempérées après l’adoption du Bilan mondial à Dubaï)
Après une nuit de prolongation, les pays du monde entier ont approuvé ce 13 décembre à la COP28 de Dubaï un compromis pour un appel inédit à abandonner progressivement les énergies fossiles, principales responsables du réchauffement climatique. Le texte issu de douloureuses négociations a été adopté par consensus à Dubaï, aucune voix ne s’élevant parmi les quelque 200 nations représentées en séance plénière avant le coup de maillet entérinant son adoption.
Les pays du monde entier ont approuvé mercredi par consensus à la COP28 à Dubaï une décision appelant à une « transition » vers l’abandon des énergies fossiles. Dès l’ouverture de la séance plénière de clôture, les délégués ont adopté la décision préparée par les Émirats arabes unis, déclenchant une ovation debout et de longs applaudissements. Voici les premières déclarations, alors que la séance plénière est encore en cours.
Les États à l’unisson saluent des progrès indéniables s’agissant du désir des nations de s’affranchir des énergies polluantes. Mais très vite des nuances sont apportées : compromis « insuffisant », objectifs peu clairs… ONG et observateurs appuient eux aussi sur les manques et des introductions de notions hasadeuses. Voici un condensé des déclarations majeures.
Il s’agit d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique », a déclaré Sultan al-Jaber. « Le monde avait besoin de trouver une nouvelle voie. En suivant notre étoile du berger, nous avons trouvé cette nouvelle voie », s’est auto-congratulé le président de la conférence de l’ONU. « C’est un plan guidé par la science. C’est un plan équilibré qui s’attaque au problème des émissions […] »
Parmi les autres discours prononcés, Simon Stiell, chef de l’ONU Climat, qui appelle les pays à rehausser leurs efforts après l’accord de Dubaï.
« L’ère des énergies fossiles doit se terminer, et elle doit se terminer avec justice et équité », a déclaré le secrétaire général de l’ONUAntónio Guterres après l’accord de la COP28 à Dubaï, qui acte le principe d’une transition énergétique hors des combustibles fossiles. « Je tiens à dire que la sortie des combustibles fossiles est inévitable, qu’ils le veuillent ou non. Espérons qu’elle n’arrive pas trop tard », a souligné le patron de l’ONU dans un communiqué en s’adressant à « ceux qui se sont opposés à une référence claire » sur cette notion d’élimination, dans le texte de la COP28. « Le monde ne peut se permettre des retards, de l’indécision ou des demi-mesures ».
Au niveau scientifique, avec un texte, on n’atteint rien du tout. L’atmosphère ne connait que les vraies réductions d’émissions, les vraies molécules qui sont émises ou absorbées et un texte tout seul ne va pas y arriver. Maintenant, si c’est un texte qui encourage suffisamment clairement les grands acteurs, les grands émetteurs de gaz à effet de serre, à vraiment réduire leurs émissions – ce qu’on attend depuis longtemps – alors oui, le climat va réagir rapidement et on a une chance de rester en dessous d’un réchauffement d’1,5 degré – on a une petite chance. Mais surtout, il faut mettre en œuvre, ce sont les actions qui comptent, ce sont les mesures qui sont prises, ce sont les politiques, ce sont les financements, ce sont les choix, les renoncements, les investissements, c’est l’audace… c’est tout ça qu’on doit voir dans la réalité. Ça, l’atmosphère comprendra, mais un texte tout seul, l’atmosphère ne comprendra pas.
Côté États, la France salue « une victoire du multilatéralisme et de la diplomatie climatique ». La ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher se félicite de l’introduction de l’énergie nucléaire dans le texte qualifiée de « reconnaissance historique » et de « victoire diplomatique pour la France ». « Le texte contient aussi des références à la sobriété énergétique », et « contient des références claires à la justice climatique. C’est essentiel pour la solidarité avec les pays africains et les petites îles. » « Il faudra maintenant mettre en œuvre ces décisions, sur le charbon, sur le méthane et sur l’ensemble des fossiles, avec nos partenaires des pays du sud et les entreprises concernées ». Mais, en écho à d’autres pays de l’Union européenne, la ministre a aussi qualifié l’accord d’« insuffisant, insuffisant. Il y a des éléments qui ne sont pas acceptables en l’état ».
« Je pense que tout le monde sera content que, dans un monde secoué par la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient et tous les autres défis d’une planète qui patauge », il y ait « une raison d’être optimiste, d’avoir de la gratitude et de se féliciter tous ensemble ici », déclare l’émissaire américain pour le climat John Kerry.
L’une des premières prises de parole en plénière est venue des petites îles qui jouent leur « survie » dans ces conférences climat. La représentante des Samoa a fait l’objet d’applaudissements debout losqu’elle a émis des réserves sur cet accord. « Nous avons fait un pas en avant par rapport au statu quo mais c’est d’un changement exponentiel dont nous avions vraiment besoin », a déclaré Anne Rasmussen.L’Alliance des Petits États insulaires « admet que, sous un angle de procédure, cette version du Bilan mondial est un progrès et reflète un certain nombre des soumissions » faites par les Petits États insulaires en voie de développement. Elle se félicite de lire « de fortes références à la science ». « Cependant […], tempère-t-elle assez vite dans son communiqué, ce texte ne fournit pas l’équilibre nécessaire pour renforcer l’action générale pour poursuivre la correction du changement climatique. »
« Il est fondamental que les pays développés prennent les devants sur la transition vers la fin des combustibles fossiles », a lancé la ministre brésilienne de l’Environnement, Marina Silva, les appelant aussi à « assurer les moyens nécessaires aux pays en voie développement ».
« Les pays développés ont une responsabilité historique et incontestable dans le changement climatique : ils doivent prendre les devants pour s’engager sur la voie du 1,5 degré » et pour « atteindre la neutralité carbone dès que possible », a déclaré de son côté Zhao Yingmin, vice-ministre chinois de l’Environnement.
« Nous avons été capables de mener des discussions intenses », en faveur d’« un pas en avant », a salué Susana Muhamad, ministre colombienne de l’Environnement, chaudement applaudie à la fin de son intervention. La « science peut influencer les décisons politiques de la COP », c’est « remarquable ». Mais il y a des « lacunes », a-t-elle ajouté, regrettant que les risques peuvent saper la volonté politique. Parmi eux, elle cite le manque de « structure économique pour la transition ». « Nous n’avons plus que six ans » pour passer des mots aux actes.
Le représentant de la délégation d’Arabie Saoudite à la COP28 a salué mercredi « le grand succès » de la conférence. « Le groupe arabe exprime sa gratitude envers les grands efforts de la présidence émiratie et de son équipe », a déclaré le Saoudien Albara Tawfiq.
Les ONG reconnaissent un premier « signal », « mais… » aussi des « lacunes »
Gaïa Fèbvre, du Réseau Action Climat France, se félicite du fait que « l’accord voté à la COP28 contient un signal politique vers la sortie des énergies fossiles ». Toutefois, « le compte n’y est pas, selon elle, notamment car les moyens financiers n’ont pas été mis sur la place pour accompagner les pays qui en ont le plus besoin. Mais aussi car il y a de nombreuses mentions très inquiétantes : le gaz comme énergie de transition, la capture et le stockage du carbone ou encore le nucléaire. Cette COP n’est pas à la hauteur des ambitions promises. » Pour Tasneem Essop, du Réseau Action Climat international, c’est « le premier signal jamais émis dont le monde a besoin. Cependant, les populations et pays vulnérables ne peuvent être laissés avec le fardeau du financement de cette transition pour répondre à une crise qu’il n’ont pas causée. »
« Une pléthore de fausses solutions sont au menu, déplore Guillaume compain d’Oxfam France. Et surtout, les financements qui permettront aux pays du Sud global d’opérer réellement cette transition ne sont pas réellement dans l’assiette. »
Friederike Roder, vice-présidente de Global Citizen : « Pour la toute première fois, un accord de la COP affirme en effet la nécessité de se détourner des combustibles fossiles d’ici 2050. Aussi important que soit ce signal, il est frustrant de constater que la présidence n’a pas su apporter la clarté et l’urgence nécessaires. Le résultat final inclut des distractions et des lacunes, comme celles sur les carburants dits de transition et la technologie de capture du carbone. Si l’accord veut tenir sa promesse d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques, il ne faudra pas laisser de place à l’ambiguïté et l’interprétation. La majorité des gouvernements ont été très clairs à ce sujet. La balle est maintenant dans leur camp, car ce qui compte maintenant, ce sont les actes et la mise en œuvre et non les paroles. » Elle ajoute : « Malgré un bon départ à la COP avec la création du fonds pour les pertes et dommages, le paquet financier n’est pas à la hauteur des attentes et loin de la réalité des pays pauvres et vulnérables. »
D’autres observateurs ont également commenté l’accord. Pour l’ancien vice-président Al Gore, « c’est le strict minimum dont nous avons besoin et il est attendu depuis longtemps. L’influence des pétrostates est encore évidente dans les demi-mesures et les lacunes… »
Le groupe de réflexion spécialisé Climate Analytics parle d’accord final comme d’un « mélange » : « l’éloignement des énergies fossiles » est un « clou dans le cercueil de cette industrie », mais le secteur de l’énergie est « trop faible », n’a pas d’ « engagements assez forts pour ramener » et « il n’y a aucun engagement pour un pic d’émissions à 2025 ».