(Il fait des révélations sur des tractations secrètes et comment Nicéphore Soglo devint 1er Ministre lors de la période de transition)
Urbain Karim da Silva, presque centenaire aujourd’hui reste l’un des 493 délégués, témoins vivants de la conférence des forces vives de la nation de 1990. Très proche du régime révolutionnaire, notamment du président Mathieu Kérékou, il a accepté, au cours d’une interview exclusive accordée à l’Agence Bénin Presse, de lever un coin de voile sur certains faits importants qui, alors qu’il n’était pas du tout pressenti, ont favorisé le sacre de Nicéphore Soglo en tant que premier ministre du président Kérékou pendant la fameuse période de transition. Avec notre confrère Mèton SESSOU révèle d’autres tractations secrètes de cette conférence…Entretien.
Monsieur Karim Urbain da-Silva, quand on évoque la conférence nationale, quels sont les souvenirs qui vous reviennent tout de suite à l’esprit ?
Je dois commencer par dire que la conférence nationale fut un évènement important. Elle a contribué à instaurer un ordre nouveau. Avec la conférence nationale, Nous avions tourné la page des coups d’état et avions réussi à installer la vraie démocratie par un ensemble cohérent d’institutions chargées de régir le pays, de réguler et de contrôler l’action de ses responsables.
Aujourd’hui je continue de penser que personne n’a autant été secoué par cette conférence, par certains faits survenus au cours de cette conférence, qui m’ont beaucoup marqué et qui ont même failli me coûter la vie. (Soupirs…..)
Karim Urbain da-Silva, nous voudrions bien que vous partagiez ces souvenirs avec nous si vous n’y trouvez pas d’objection
A l’arrivée de Me Adrien Houngbédji, Salomon Biokou m’avait désigné de le présenter à la population comme le voici sur cette photo. Il m’a été spécialement recommandé par Me Saïdou Agbantou qui m’avait fait l’éloge de son frère et ami Adrien Houngbédji qui serait un bon premier ministre. Il voulait que je le recommande à kérékou. Je n’étais pas si chaud et devant mon apathie, le doute, Me Agbantou s’était fait le devoir de me le rappeler chaque fois, si bien que j’ai fini par engage des pourparlers avec le général Mathieu Kérékou. Monsieur le président n’en voulait pas. Il me fit part de ses craintes par rapport à nos mauvaises relations avec le Gabon où Me Adrien s’était exilé et d’où il revenait. Il y avait en plus cette affaire, l’agression du 16 janvier 1977 dont le rapport de l’Onu mentionnait le Gabon parmi les pays d’escale des mercenaires. Il n’avait pas confiance et me confia qu’un autre candidat lui avait déjà été proposé. J’insistais pour me faire entendre que je supporterais les conséquences en cas de trahison.
Les travaux de la conférence avaient-ils déjà commencé au moment où ces tractations secrètes avaient cours ?
Bien sûr, les débats avaient déjà commencé en ce moment. Le président Kérékou mis alors plusieurs membres responsables du parti du PRPB et une partie d’autres responsables de sa garde, qui étaient d’ailleurs logés à l’hôtel Eldorado, non loin de là et à ma disposition en cas de besoin.
A cette étape, tout le monde savait que Me Adrien Houngbédji était mon protégé. Les choses allaient d’ailleurs très bien. Une vérification que j’avais faite en faisant le point des différents accords obtenus et scellés, nous garantissait un réservoir de voix au-dessus de 380 personnes sur les 493 délégués conviés à ce rendez-vous.
En ce temps-là, l’épouse de mon neveu, Me Grace d’Almeida Adamon, s’était présentée pour être membre du Haut conseil de la république (HCR) et fut battue une première fois. Je lui demandai de se représenter à nouveau pour lui faire bénéficier des voix de nos accords que j’actionnais en me levant pour texter leurs fiabilités. Elle fut élue avec 375 voix. Le dispositif était donc bon, prêt pour l’épreuve du choix du 1er ministre. (Pause)
Monsieur Karim Urbain da-Silva, racontez-nous, que s’est-t-il passé après ?
En effet, la veille du jour ‘’J’’, c’est-à-dire la veille du jour du choix du premier ministre, 09 tracts au moins avaient été distribués. Des tracts orduriers du genre salace sur la vie privée de Me Adrien Houngbédji. Et contrairement aux autres jours ou la conférence se terminait à 00h 30 minutes, nous parlions de tout et de rien, pensant à la journée du lendemain, ce qui m’amena à réfléchir après l’étude rapide de certains tracts sur l’heure tardive de notre sortie.
Il m’était donc venu à l’esprit par rapport à ces tracts qu’on en voulait à Me Adrien Houngbédji et lui donna des conseils pour sa sécurité dans la ville de Cotonou et en rentrant à son domicile. C’est à cette occasion qu’il m’apprit qu’il habitait à Porto-Novo. Je lui ai donc demandé, au retour de mon chauffeur qui était allé déposer Mme Justine Béhanzin et Eustache Prudencio, de dire à son chauffeur de le devancer et à lui-même de venir dans ma voiture. Il s’assit entre le vieux Sodjinou Emile et moi-même. Sur le trajet, nous connûmes 02 ou 03 arrêts et à chaque fois je lui faisais obligation de baisser la tête, montrant ma carte et disant que je revenais de la conférence nationale.
A notre arrivée à Porto-Novo, au niveau de la Place Bayol, où se trouvait mon domicile, je lui demandais où devrais-je le conduire. J’habite chez Papa Biokou, me répondit-il. Nous en prîmes la direction et je descendis de la voiture puis l’accompagna dans la cour et jusqu’à l’étage où il habitait en lui intimant l’ordre de ne point sortir jusqu’au lendemain à 09 heures avant l’arrivée de son garde du corps avant de descendre.
Le lendemain à 10 heures, nous nous retrouvâmes dans la salle de l’hôtel PLM Alédjo. Les petits groupes se formaient pour les conciliabules. Mgr de-Souza ouvre les débats pour la désignation du Premier ministre. Me Joseph Kêkê fut le premier à se lever pour proposer Nicéphore Soglo comme candidat de leur groupe. Les uns et les autres commencèrent à donner les noms des autres candidats. Celui que nous, nous avions désigné s’était aussi levé pour proposer la candidature de Me Adrien Houngbédji. Ne le voyant pas se lever, Mgr de Souza demanda à l’assemblée où était passé celui-là. Où est le candidat ? où est Adrien ? il disparut, il serait allé aux toilettes ?
Quelle a été votre réaction face à toutes ces interrogations ?
Où est passé votre candidat m’interrogea-t-on et je répondis qu’il avait dû aller prendre son petit déjeuner à l’Eldorado, à côté. Ceux qui étaient allés le chercher constatèrent l’absence de son véhicule, de son chauffeur et de son garde du corps. Embarrassé, je levai alors la main pour dire que l’absence du candidat n’empêchait pas son élection et qu’une fois élu, il viendrait occuper le poste. Je reconnais que ce n’était pas bienséant. Mgr de Souza comprit mon propos et poursuivit. Seulement les regards se tournèrent vers moi. La question ‘’Où est passé le candidat’’ se lisait dans tous les visages. J’allais sur la cour du PLM, pensif. Où pouvait-il bien se retrouver à ce moment décisif de la désignation, de sa désignation au poste de premier ministre ? J’en étais là à me lamenter lorsqu’il arriva. Il me dit qu’il s’était absenté un moment, appelé par M. Kitoyi Désiré.
Comment avait-il pu ? Il ne me répondit pas et me dépassant, il gravit les escaliers puis rejoint la salle. Tout le monde s’écria : le voilà ! le voilà ! Il demanda la parole et très rapidement on lui passa le micro. Il l’accepta et déclara aussitôt que ne voulant pas être un diviseur, il désistait en faveur de Nicéphore Soglo sur qui le choix était porté. Ce fut comme si un grand fardeau nous était tombé dessus. Si la terre pouvait s’ouvrir, je m’y serais engouffré. Je viens de vivre en direct une grande trahison. Que faire ? Kérékou ne me le pardonnerait jamais. Je l’ai trahi. Est-ce que j’ai la tête d’un traitre moi ?
Mais après ce coup de théâtre, comment avez-vous pu gérer la situation avec le général Mathieu Kérékou ?
En effet toutes les décisions que Kouandété, Prudencio et moi avions prises dans la précipitation ne pouvaient aboutir. Le colonel Maurice Iropa Kouandété s’était livré à une exhibition gratuite et inutile, qualifiant les 493 délégués de faux, de malhonnêtes. Il se fâche, menace de faire un coup d’Etat, ramasse ses affaires et sort de la salle.
Plus tard, je me retirai d’abord à Badagry avant de revenir à Porto-Novo, sans plus faire signe de vie jusqu’à ce que, une nuit, aux environs de 23 heures, El Hadj Séfou Saka Aricoché vint frapper à ma porte au motif qu’il me ramène un étranger en provenance de Dakar qui venait me voir mais n’avait pas trouver de taxi. C’est la raison pour laquelle il lui rendit service. Dès qu’on me l’annonça, j’ordonnai qu’on lui ouvre le portail d’entrée. Je descendis donc pour rencontrer l’intéressé au pied de la voiture. C’était KEREKOU ! Il sentit bien mon embarras et perçut toutes mes craintes.
Alors que j’esquissai un geste de dérobade, il me dit ! Non mon doyen, tu ne réponds plus au téléphone, ce n’est pas de ta faute, on nous a tous trompé. Je croyais rêver. Il descendit de la voiture, me serra dans ses bras en me disant, ce garçon-là, tu vois maintenant, je te l’avais dit, tu ne me croyais pas, les renseignements m’ont informé qu’il allait nous tromper. Il ne voulait pas être premier ministre en raison d’autres engagements qu’ils a pris au Gabon. Voilà ce que je peux dire en gros de la Conférence nationale. C’était triste !