La collecte des taxes dans les marchés au Bénin suscite beaucoup d’émoi, quoi qu’elle laisse indifférents certaines autorités et bon nombre des marchands. Une descente dans les marchés de Cocotomey et de Cococodji, dans l’arrondissement de Godomey nous plonge dans cet univers controversé qui interpelle la conscience collective.
Plusieurs dizaines de hangars beiges, alignés, construits en matériaux définitifs, côtoient des places à ciel ouvert et à même le sol où se retrouvent aussi des vendeuses. Deux voies d’accès conduisent de la grande voie inter état Cotonou-Lomé au marché de Cocotomey, entièrement pavés et bien situé dans l’arrondissement de Godomey. Vivres, produits manufacturés, bijoux, tissus et objets d’art discutent la poche des clients. La vente de tout ceci n’est possible sans le paiement des diverses taxes exigées aux marchands. A 2km de là : le marché de Cococodji au bord de la même voie inter état. Des places à ciel ouvert y côtoient des hangars en béton armé.
Dans les deux marchés, la collecte des taxes se fait sans l’intervention des outils de la technologie. Les collecteurs de la mairie en tenue kaki, munis de carnet de reçu à la différence des chefs de marché avec en main un cahier et un stylo.
Tout au long de la journée, ils parcourent de fond en comble tout le marché. Des explications des collecteurs de la mairie, il ressort qu’ils sont souvent confrontés à la fuite des marchands.
« Il arrive que certains agents font des recettes parallèles sans justificatif en dehors du payement normal », affirme énergiquement Marguerite Sossa, vendeuse au marché de Cocotomey.
Constant Kobiti, expert-comptable et administrateur des Affaires, en clientèle privée, précise que l’installation d’un guichet de paiement des taxes faciliterait les mesures de contrôle des recettes sur contrainte coercitive. Obligeant les usagers à s’acquitter régulièrement de leur taxe et imposition sur les ventes au marché.
Des taxes légales en vigueur
Dans ses variantes, la loi du 15 janvier 1999 portant régime financier des communes en République du Bénin, définit la collecte et le payement des taxes légales et similaires. Elle autorise par ailleurs l’organisation interne des marchés par les responsables pour assurer la propreté et la sécurité. Ces prérogatives reviennent d’obligation à l’Etat.
La patente et les taxes perçues les jours de marchés constituent les taxes légales imposables dans les marchés. La patente est perçue une seule fois l’an.
La responsable du marché de Cocotomey, Henriette Tonoukouin confirme que qu’une somme de 100 F CFA est perçue les jours de marché. A Cococodji, cette même taxe est payable la veille et le jour du marché, équivalant à une somme de 200 F CFA par marchand. Les vendeurs et vendeuses de Cococcodji estiment qu’il y a un paradoxe et une politique de deux poids deux mesures dans le payement de cette taxe.
Dans les deux marchés, le prix de la patente varie en fonction de la capacité contributive des marchands au regard de l’ampleur de l’étalage. << Nous payons l’imposition d’une patente annuelle de la mairie qui varie de 2. 000 F CFA à plus de 10. 000 FCFA, une seule fois chaque année >>, exprime Abigaël Daanon, usagère de Cococodji.
Toutes les tentatives pour joindre le Chef de l’arrondissement de Godomey, afin d’obtenir aussi son point de vue sur la question ont été vaines. Les élections communales et municipales du 17 mai 2020 n’ayant pas facilité la tâche. De surcroît plusieurs cadres, à divers niveaux de l’administration n’étant pas souvent à leur poste.
La loi du 15 janvier 1999 portant organisation de l’administration territoriale, stipule en son article 104 que << la Commune a la charge de la construction, de l’équipement, des réparations, de l’entretien et de la gestion des marchés et des abattoirs >>. Cette prérogative est aussi appuyée par l’article 120 : << la Commune organise la gestion et le contrôle des marchés, des gares routières et des autres services marchands >>. Pour y parvenir la perception des taxes devient une chose évidente et inévitable et trouve sa légitimité dans l’alinéas 1 de l’article 10 de la loi portant Régime Financier des communes. Elle autorise que la perception des recettes fiscales comprenne la taxe de développement locale basée sur les principales ressources de la commune, dont la patente.
Les taxes vues de l’intérieur du marché
D’autres taxes existent aussi, dont la redevance mensuelle de gardiennage, de balayage et de ramassage des ordures. Le délégué du syndicat du marché de Cococodji, Rosine Agboyo appelé ‘’afintinnon’’ (vendeuse de moutarde en langue fon) explique que la taxe de gardiennage fixée à 500 F CFA, peut aller à plus de 2. 000FCFA, selon la taille de l’étalage. Au marché de Cocotomey, selon dame Henriette Tonoukouin responsable du marché, elle est de 500 FCFA pour les places à ciel ouvert et 1 000 FCFA pour les hangars construits en matériaux définitifs. Concernant la taxe de balayage, ce sont 50 F CFA qui sont perçus les jours de marché.
A Cocotomey, une recette allant à 300.000 F CFA par mois se fait sur les 144 places que dispose le marché dans la collecte des redevances de gardiennage. Cette collecte supporte une charge globale mensuelle de 100.000 F CFA payés à 4 gardiens à raison de 25.000 F CFA chacun. Un excédent de 200.000 F CFA desquels la mairie perçoit 15 % soit 30.000 F CFA et dont 170.000 F CFA sont gérés par les responsables. Pourtant, le marché a un besoin criard d’éclairage et nécessite une meilleure protection des marchands et des biens contre les affres du soleil et de la pluie.
La gestion de cette collecte était faite sous l’égide du Chef quartier de Cocotomey, a précisé Henriette Tonoukouin. « J’ai hérité d’un poste sans bilan et par ricochet sans passation de service. Le chef quartier m’a laissé des problèmes à gérer. Il affirme avoir versé les fonds perçus au Trésor public et qu’il lui revient de payer les gardiens, les balayeurs et les vidangeurs à qui le marché doit des arriérés de salaires >>, complète-t-elle encore. Depuis sa prise de fonction, il y a deux mois, c’est avec dextérité qu’Henriette a réussi à régler définitivement les arriérés de salaire de tout ce personnel. Et ce en deux reprises de collectes de ces taxes. Les tentatives d’entendre le son de cloche du Chef quartier ont été vaines, élections communales obligeant.
A Cococodji, certains marchands sont dispensés du paiement de certaines taxes internes pour des raisons inavouées. << Les taxes de gardiennage ne sont pas perçues chez tout le monde. Certains usagers, comme moi, en sont dispensés >>, allègue Rachidatou Tidjani, vendeuse. Epiphanie Wandji, responsable du marché de Cococodji, au moment de donner son point de vue sur la question, s’est rétractée.
En dehors de la taxe de gardiennage, la redevance locative fait aussi l’objet de mécontentement dans le marché de Cococodji. « Elle est payé à 30.000 F CFA au démarrage des activités du marché. Elle est passée à 80.000 F CFA, puis 100.000 F CFA et voire 500.000 F CFA. Certains usagers ont revendu leur place à prix d’or de 200.000 F CFA à 500.000 F CFA », assermente Abigael Daanon.
Marguerite Sossa, ancienne du marché de Cococodji développe qu’Il a eu plusieurs refontes du système d’achat et de location de place dans une insoutenable variation de prix à la hausse. C’est une spéculation qui a reçu la bénédiction du responsable du marché mais qui dévalise les marchands.
Mais à Cocotomey, « La procédure d’achat et de location de place est rigoureusement appliquée au même prix de 25.000 F CFA à tout venant», apprend la responsable du marché.
Constant Kobiti, Administrateur des affaires, déclare par ailleurs que << les actes de collecte de taxe et de redevance relève d’une organisation interne des marchés reconnue par la loi, qui n’a non plus défini les marges de ces collectes >>.
« Ce manquement de la loi ouvre le boulevard de la corruption qu’il serait d’autant plus difficile à prouver et contrôler au regard des méthodes de collecte contraire à l’orthodoxie financière et avec la complicité des autorités », poursuit-il également. Pour lui, les taxes internes payées en redevance dans la gestion des marchés de l’arrondissement de Godomey, bien qu’elles ne soient pas clairement définies par la loi, sont payées de facto pour maintenir le marché dans la propreté et la sécurité.
Une procédure à vitesses et aux conséquences multiples…
L’autre pan du creux de la vague des taxes qui dévalisent les usagers du plus grand marché de l’arrondissement, Cococodji, est le payement du titre d’installation. Il donne droit à un ou plusieurs hangars aux bénéficiaires qui peuvent y entreposer leurs marchandises pour la vente. Si le paiement du titre d’installation donne droit à occuper les mêmes dimensions de place dans le marché, il n’en demeure pas moins surprenant qu’il peut obliger certains usagers à payer le double, le triple voire cinq fois le prix payé par leurs voisins. Les exemples dans cette pratique de différentiation de prix, en matière d’octroi de place sous hangar et sans hangars, sont légions dans le marché de Cococodji qui fait environ quatre fois la grandeur du marché de Cocotomey. Ici la redevance payée varie de 30.000 à 500.000 F CFA.
Serait-il permis aux responsables de ces marchés d’appliquer le principe de la capacité contributive qu’applique la Direction Générale des Impôts ? L’application de ce principe est réelle dans les marchés mais la loi ne l’a pas prévu au niveau des marchés mais un principe appliqué de droit par la direction générale des Impôts.
Le fait ouvre des brèches à la tentative de corruption et de détournement de deniers publics dans les marchés. L’autre brèche à la tentative de corruption et de détournement demeure le défaut d’harmonisation des taxes de gardiennage et autres taxes d’un marché à un autre. L’Association nationale des communes du Bénin (Ancb) et le Gouvernement devraient s’y pencher davantage pour harmoniser toutes les taxes. La prise en main de la collecte des taxes internes des marchés par les mairies participerait davantage au renflouement de la caisse des collectivités locales pour la réalisation des travaux de construction et de la réhabilitation des marchés au lieu d’attendre les prêts et les dons des partenaires techniques et financiers. Cela permettra d’éviter que les responsables des marchés les fixent selon leur bon vouloir qui dresse un lit douillet de la corruption qui brave la loi avec la complicité des autorités communales.
Valère C. HOUÉKINON
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Le Ticket de trop
Le fait est réel et les usagers du marché s’en offusquent, quand bien même, ils se soumettent au paiement du tribut en pot-de- vin. On aurait pu comparer le marché de Cococodji à un royaume dirigé par madame Epiphanie Wandji . A en croire, les usagers de ce marché, chaque détenant d’un titre de place dans ce marché doit payer en guise de remerciement la somme de 50.000 FCFA, un sac de maïs et plusieurs mètres de tissu au Chef du marché en signe de reconnaissance de son accord à vous louer une place dans son marché. << Après la location d’une place au marché de Cococodji, il est exigée des usagers la coquette somme de 50.000 F CFA, un sac de maïs et des mètres de tissus en guise de reconnaissance au chef du marché>>, souffle madame Marguérite Sossa. Le principe de ce payement est connu après l’obtention de la place. Le paiement est obligatoire sous peine de représailles de perte de la place. C’est le calvaire vécu au quotidien avec les abus et la mauvaise conscience de qui aiment vivre indûment du travail des autres. S’il faudra calculer le prix des présents obtenus lorsdes usagers, la location d’une place coûte la bagatelle somme de 580.000 F CFA. Les responsables de ce marché se plaisent dedans.
Aucune loi n’autorise le payement d’un tribut au responsable des marchés après la location d’une place. De ce point de vue, cette pratique qui est en vogue même si elle traduit dans toute sa plénitude des actes et des faits de corruption à bannir de nos marchés, il serait difficile d’abord aux usagers de prouver les malversations financières qui ne sont pas authentifiées par des actes ou preuves écrits. Les détournements des fonds dans ces marchés sont plus difficiles à prouver dans la mesure où les collectes internes sont inscrites dans un simple cahier.
- C. H.
Encadré 2
Pourquoi collecter des taxes internes
Le regard porté par la loi du 15 janvier 1999 portant régime financier des communes en République du Bénin, sur la collecte des taxes internes des marchés trouve sa justification en son article 11 alinéas 3 qui stipule que les recettes de la section du fonctionnement provenant des prestations et services de la Commune comprennent les droits sur les services marchands, la taxe de stationnement sur les gares routières et l’excédent des produits sur les charges des gares routières et des marchés ou la part revenant à la Commune.
La loi reconnaît le payement des taxes internes qui est utilisé pour supporter les charges des marchés et dont une partie de l’excédent revient à la Commune, représentant les 15% perçu par la mairie sur les recettes de gardiennage.
- C. H.