Le groupe vient de Natitingou, au nord-est du Bénin. Composé de jeunes filles âgées de 10 à 16 ans, le Star Feminine Band propose une musique moderne s’inspirant de la tradition, et sur laquelle elles chantent la femme africaine. Sandrine Ouei, l’une de ses musiciennes, André Balaguemon, qui dirige l’orchestre, et Jean-Baptiste Guillot, qui l’a signé sur son label, Born Bad, nous parlent d’une aventure pas banale.
Pour le Star Feminine Band tout est parti d’une annonce diffusée sur une radio de Natitingou. Dans cette ville du nord-est du Bénin, située à une dizaine d’heures de bus de Cotonou, un musicien, André Balaguemon, propose une formation gratuite à des jeunes filles pour qu’elles apprennent la musique : une école après l’école.
Après un rendez-vous devant la mairie, le premier cours a lieu le 25 juillet 2016, à la Maison des jeunes. « En tant que musicien, j’avais l’idée de régler un problème : celui de l’émancipation des femmes. Depuis l’adolescence, j’ai été marqué par les maltraitances qu’on fait aux femmes. Pour que les femmes s’expriment elles-mêmes, je voulais créer un orchestre. C’est là que j’ai eu l’idée de monter un orchestre féminin », explique-t-il.
Le musicien a déjà monté un groupe de filles dans une localité plus au sud, à Tchaourou, avec lequel il a déjà fait une tournée nationale, mais il s’est dispersé. Avec des enfants qui viennent des villages autour de Natitingou, il entend continuer ce qu’il a commencé. La rencontre avec un ingénieur français en mission dans la région de l’Atacora, Jérémie Verdier, va lui permettre d’aller plus loin.
En faisant venir des amis ingénieurs du son espagnols, il permet au groupe d’enregistrer leurs morceaux. L’enregistrement se déroule en février 2019, dans une annexe du Musée départemental de Natitingou. « Nous nous sommes bien préparées. Quand les Européens sont arrivés, nous n’avons pas perdu de temps. Nous avons fait l’enregistrement en deux jours. Ils étaient sciés, épatés », se souvient Sandrine Ouei, aux claviers et aux percussions.
Musique moderne inspirée de la tradition
L’ingénieur contacte ensuite Jean-Baptiste Guillot, le patron du label Born Bad. Intrigué par la maladresse du garçon, ce dernier décide de se renseigner plus avant et de se rendre à Natitingou. « J’ai déboulé en décembre 2019. Quand j’ai vu les filles jouer, c’était au-delà de mes espérances. J’étais émerveillé. Je savais qu’on allait tout faire ensemble, que j’allais sortir les disques, et que j’allais tout faire pour que ces gamines aient la récompense de leurs efforts », explique Jean-Baptiste Guillot.
C’est de la sensation d’avoir trouvé un diamant brut et d’une « claque » énorme dont il parle. « La première chose qui m’a surpris, c’est à quel point j’étais largué et à quel point je ne savais pas où je mettais les pieds. Avant de partir, j’avais dit à mes proches que j’allais être peu réactif quant à mes e-mails. Je n’avais juste pas imaginé qu’il n’y avait pas Internet, parce qu’il n’y avait pas d’électricité. » Plus exactement, si Internet arrive grâce au réseau de téléphonie, l’accès à l’électricité est très limité dans cette région pauvre et reculée.
Le Star Feminine Band mêle les tambours à une base de groupe « moderne », avec une guitare, une basse, une batterie, et deux claviers. Âgées de 10 à 16 ans, les sept musiciennes qui le composent sont les plus anciennes élèves d’André Balaguemon. Elles jouent une musique que des oreilles occidentales décriraient comme du rock africain.
Il s’agit en vérité d’une musique « moderne d’inspiration traditionnelle », indique le professeur. Les huit morceaux sont chantés en peul, bariba, ditammari, waama et français. Ils utilisent les rythmes de ces différents peuples vivant dans l’Atacora. Furieusement communicatifs, ils sont prompts à amener n’importe qui sur un dancefloor. « La danse, c’est très important. C’est une valeur que le continent doit préserver. Quand on a un rythme, on doit esquisser les pas qui vont avec », poursuit-il.
Défendre les droits des femmes
Choisis par le professeur de musique et discutés avec les jeunes filles, les thèmes abordent la religion ou la condition féminine. Dans un endroit où les grossesses précoces scellent souvent l’avenir des femmes, il s’agit de s’élever contre l’excision ou simplement de dire que « la musique, c’est aussi un boulot ». « On ne nous respecte pas, le droit des femmes est bafoué. Ici, on considère que les femmes ne sont pas faites pour faire de la musique. On ne nous autorise pas à jouer un instrument traditionnel. Les femmes sont faites pour chanter, danser et accompagner les garçons. C’est toujours l’homme qui est plus élevé que la femme », constate Sandrine Ouei. La jeune fille estime que le groupe « lui permet d’être cultivée » et « d’avoir plus l’esprit de compréhension » à l’école. « Femme noire, lève-toi, ne dors pas / Tu peux devenir président de la République / Tu peux devenir Premier ministre du pays », dit Femme africaine.
Qu’est-ce qui a touché Jean-Baptiste Guillot, dans cette musique pleine de dissonances ? Et lui a donné envie de défendre ce groupe, avec toute sa rage ? « Avec Born Bad, je viens du punk, des musiques un peu approximatives. Ce que j’aime, c’est l’authenticité et là, j’ai été servi. Je déteste la musique africaine qui passe à la moulinette des standards de production européens ou qui cherchent à se nourrir d’influences européennes pour faire des ponts. C’est un groupe d’enfants qui sonne comme un groupe d’enfants, Dieu merci, et c’est un groupe africain qui sonne comme un groupe africain, Dieu merci ! », répond-t-il.
L’orchestre devait être programmé cet hiver aux TransMusicales de Rennes. Annulé à cause du coronavirus, le festival breton ne pourra pas se tenir, mais le Star Feminine Band pourrait y jouer l’an prochain. D’ici là, Jean-Baptiste Guillot se fait un devoir de faire découvrir ces filles, pour qu’elles deviennent musiciennes professionnelles et soient, qui sait, un exemple à Natitingou et ailleurs en Afrique.
De son côté, André Balaguemon souhaite que tout le monde « se lève autour de ses filles-là », pour « que leurs droits soient respectés » et « que leur valeur soit reconnue ». Quant à Sandrine Ouei, elle rêve désormais « de voyager sur plusieurs continents », afin de « valoriser la femme dans le monde entier ».
(Par Bastien Brun/RFI)