Mali : Soumaïla Cissé est décédé à Paris du Covid-19

Afrique

Beaucoup voyaient en lui le candidat parfait pour succéder à la junte au pouvoir. Le leader de l’Union pour la République et la démocratie (URD) est décédé à Paris du Covid-19.

A Bamako, le sourire de Soumaïla Cissé s’affiche encore sur les murs pour remercier les Maliens de l’avoir arraché aux griffes des djihadistes. En campagne dans son fief de Niafounké, dans le nord du pays, le leader de l’opposition avait été kidnappé le 25 mars, puis échangé le 8 octobre en même temps que la Française Sophie Pétronin et deux otages italiens, contre 200 islamistes.

« Dire qu’il y a moins de trois mois, on l’acclamait, soulagés, alors qu’il descendait de l’avion, lâche, dépité, Moussa Sissoko, un voisin, admirateur du chef de file de l’Union pour la République et la démocratie (URD). Il avait un boulevard pour devenir président mais tout est fini. Il a été épargné par les djihadistes et tué par le Covid. »

Vendredi matin, Bamako s’est réveillée sous le choc de l’annonce du décès de cet ancien ministre des finances, qui avait marqué son pays par son impressionnante résilience. Trois fois candidat à l’élection présidentielle, trois fois arrivé deuxième. « On aime les martyrs ici, confie un politicien. Et Soumaïla Cissé avait acquis un statut de perdant magnifique, de héros national qui lui a permis de conquérir le cœur des Maliens. »

La chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, à la suite du putsch militaire du 18 août, avait placé le politicien de 71 ans en position de favori pour la prochaine présidentielle prévue dans un an et demi, pour sortir de l’actuelle période de transition dirigée par les militaires.

Au siège de son parti, qu’il avait fondé en 2003, des gardiens sont assis côte à côte sur un banc, dans une ambiance de deuil. Seul Dodo Dle Raymond est d’humeur à parler. Cet Ivoirien fasciné depuis dix-sept ans par Soumaïla Cissé, était venu ce 25 décembre présenter un programme de télévision à la gloire du chef de parti.

« Vous savez, en Côte d’Ivoire, c’est le politicien étranger le plus implanté », affirme-t-il. Devant la porte fermée, on lui a appris le décès de son « mentor africain » qui avait gagné une stature régionale en devenant le président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine de 2004 à 2011, la principale organisation financière de la sous-région.

Valeurs de fidélité, loyauté et probité

Quelques rues plus bas, devant sa maison familiale, on sort les chaises et on monte la tente. Les amis du politicien sont venus en nombre présenter leurs condoléances. Alassane Touré, un voisin depuis trente ans, rappelle comment Soumaïla Cissé était « considéré comme un père, un modèle pour les jeunes du quartier ».

Lors de son enlèvement, Alassane avait organisé une manifestation, contacté le gouvernement français et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour le faire libérer. « Le Mali vient de perdre un grand homme, un intellectuel, qui aurait pu redresser ce pays et ramener la paix », conclut-il sobrement.

Dans ce pays meurtri par huit ans de guerre, les messages d’espoir de ce leader charismatique étaient entendus par la population. Ingénieur informaticien, il fut formé à Dakar puis à Montpellier, à l’Institut des sciences de l’ingénieur. Il termine major de sa promotion et passe quelques années au sein de grandes entreprises comme IBM, Thomson et le groupe Péchiney, avant de rentrer dans son pays en 1984.

Il est alors embauché à la Compagnie malienne pour le développement du textile. Militant de l’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma-PASJ) – qu’il quitte fâché, estimant avoir été victime d’une trahison – l’homme décroche, en 1992, son premier poste gouvernemental en devenant secrétaire général de la présidence sous Alpha Oumar Konaré (1992-2002).

« Il n’a jamais transigé sur ses valeurs. Cela a freiné son accession à la présidence », Madou Diallo, ami de jeunesse de Soumaïla Cissé

Ses trois échecs à la présidentielle (2002, 2013, 2018), sont imputés par ses proches à sa droiture. « Soumaïla Cissé avait compris que la conquête du pouvoir doit se faire autour de valeurs de fidélité, de loyauté, de probité, sur lesquelles il n’a jamais transigé. Cela a freiné son accession à la présidence », avance Madou Diallo, ami de jeunesse et camarade d’université qui se rappelle notamment avec « quel engagement Soumaïla avait soutenu les valeurs républicaines et les droits de l’homme lors du coup d’Etat de 2012 ».

Cissé s’était alors opposé avec véhémence au putsch, dénonçant les dangers d’une déstabilisation du pays alors que les djihadistes progressaient au nord. L’avenir lui a donné raison, même si, face à ses critiques répétées, les putschistes du capitaine Amadou Sanogo le frappent et l’arrêtent. Une fois libre, il viendra se faire soigner en France.

« Il représentait un grand espoir »

C’est Paris aussi qui l’a accueilli il y a quelques jours, pour soigner son Covid. Il l’avait « contracté au Niger, lors d’une tournée de remerciements aux chefs d’Etats de la région qui se sont battus pour sa libération », raconte Daouda Touré, secrétaire général de l’URD. Peu de gens étaient au courant de son hospitalisation, mais le fidèle échangeait « avec lui tous les jours par WhatsApp. Et il y a deux semaines, il a subitement arrêté de me répondre », explique M. Touré. La famille avait préféré ne révéler l’état de santé de M. Cissé qu’à un cercle restreint, afin de ne pas faire paniquer les militants.

« Nous sommes aujourd’hui orphelins », poursuit Daouda Touré, jurant que l’URD ne s’éteindra pas avec son charismatique chef. Le M5-RFP, principale coalition d’opposition qui a mené la contestation contre le pouvoir depuis mars jusqu’à la chute du président en août, avait fait de Soumaïla Cissé son candidat pour la prochaine présidentielle. « Il était même possible qu’il passe dès le premier tour, affirme Choguel Maïga, membre du Comité directeur du M5-RFP. Il représentait un grand espoir pour sortir définitivement de la crise multidimensionnelle qui a désorganisé notre Etat. Pour la majeure partie des Maliens, Soumaïla était la solution. Comme on dit ici, un grand baobab est tombé. »

« Si Soumaïla avait eu le choix entre se sacrifier pour que le Mali retrouve la paix ou rester en vie, il se serait sacrifié », Choguel Maïga, du Mouvement patriotique pour le renouveau

Devant la maison familiale des Cissé, les 4×4 aux vitres fumées déversent des dizaines de notables venus présenter leurs condoléances. Les chaises se remplissent et quelques-uns tentent de rappeler aux visiteurs les gestes barrières à l’heure où le Mali traverse sa plus forte vague de Covid-19 depuis mars. Mais globalement, le fatalisme est de mise.

« L’homme propose mais c’est dieu qui dispose », répète-t-on. « On dit que tout ce que dieu fait est bon, surenchérit Choguel Maïga, du Mouvement patriotique pour le renouveau. Peut-être que le sacrifice de Soumaïla va être celui qu’il faut pour que le Mali sorte de la crise. Et je sais que si Soumaïla avait eu le choix entre se sacrifier pour que le Mali retrouve la paix ou rester en vie, il se serait sacrifié. »

 

Avec Le monde.fr

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