Samuel Nujoma, premier président de la République de Namibie et son chef de l’État entre 1990 et 2005, est mort samedi 8 février à l’âge de 95 ans, a-t-on appris dimanche 9 par le biais de la présidence namibienne. L’ancien gardien de vaches et chèvres a marqué les esprits en œuvrant à l’unité de son tout nouveau pays, mais a également fait preuve d’une grande répression et de déclarations controversées.
Samuel Nujoma, dit Sam Nujoma, le visage rond et jovial, en partie caché par d’énormes lunettes à verre en loupe, arbore un large sourire comme à son habitude. Cela laissant apparaître un alignement parfait de dents blanches. Nous sommes le 21 mars 1990. La Namibie accède à l’indépendance et l’ancien révolutionnaire marxiste prête serment en présence du secrétaire général des Nations unies Javier Pérez de Cuéllar, du président de l’Afrique du Sud Frederik de Klerk et de Nelson Mandela, tout juste libéré de prison.
Après des années de lutte à la tête de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (Swapo), Sam Nujoma préside aux destinées de la Namibie. Le pays a enfin un nom, il n’est plus ce Sud-Ouest africain, simple province sous le joug sud-africain. Le Sud-Ouest africain n’est plus la dernière colonie de l’Afrique.
Un enfant gardien de vaches qui tourne à l’activisme
Le petit Sam passe son enfance dans un village de pasteurs à garder les quelques vaches et chèvres que possède la famille. Son père rêve de faire de lui un bon berger. Le soir, il rejoint les bancs de l’école, mais à 16 ans, il quitte le milieu scolaire et multiplie les petits boulots : garçon de voiture-restaurant, employé de bureau, assistant dans un magasin… Sam adolescent prend conscience que ce Sud-Ouest africain, là où il est né, n’est qu’une colonie sud-africaine.
Quelques années plus tard, il s’installe au Cap, en Afrique du Sud : il travaille comme steward dans les chemins de fer. En 1955, Sam Nujoma franchit le pas et participe à la création de l’Organisation du peuple du pays Ovambo (OPO), l’ancêtre du South West Africa People’s Organization, la Swapo. L’Organisation du peuple du pays Ovambo est mise sur orbite par Sam Nujoma, le trublion Andreas Shipanga et l’activiste Adimba Toïvo ya Toïvo, une sorte de Nelson Mandela, qui comme lui, a effectué un long séjour à Robben Island.
Sam Nujoma se lance dans la lutte syndicale, mais l’Afrique du Sud n’aime pas les fortes têtes, surtout noires. L’agitateur perd son travail, se retrouve viré des chemins de fer sud-africains et renvoyé dans son pays. Mal en a pris à Prétoria. À Windhoek, l’ancien gardien de chèvres organise la résistance face à la ségrégation raciale. Une manifestation en décembre 1959 tourne mal, la répression est sanglante et pour Sam Nujoma commence alors un long exil : le Botswana, le Ghana, le Liberia puis les États-Unis. Trente longues années d’exil au cours desquelles Nujoma multiplie les voyages et les contacts.
Sam Nujoma se bat sur tous les terrains : diplomatique – il demande pendant des années mais en vain aux Nations unies d’obliger l’Afrique du Sud à restituer sa souveraineté au Sud-Ouest africain – et la lutte armée dès 1966. La Swapo crée le People’s Liberation Army of Namibia (Plan), une armée de libération en bonne et due forme. Les succès militaires sont plus que maigres et les pertes sont lourdes : au moins 10 000 combattants périssent.
Mais sur le terrain politique, la Swapo engrange d’importants succès. En 1973, l’ONU reconnaît le mouvement comme seul représentant légitime du peuple namibien. Et dans la résolution 435, le Conseil de sécurité dit clairement en 1978 que la Namibie doit accéder à l’indépendance.
L’irrésistible ascension
Le colonisateur sud-africain met dix longues années pour se ranger à cet avis. Nujoma rentre au pays en septembre 1989. L’histoire enfin s’accélère. Un an plus tard, le dirigeant nationaliste dirige la Namibie. Après un long parcours semé d’embûches, sa patience à toute épreuve est récompensée.
Sam Nujoma fait trois mandats et quitte le fauteuil présidentiel le 21 mars 2005. Il a alors 76 ans. Les premières années au pouvoir font découvrir un homme pragmatique, tranquille, soucieux de la réconciliation nationale et de l’unité du pays. Ce sont les belles années Nujoma.
Ces années sont toutefois assombries par le scandale du luxueux Facon acheté par la présidence, alors que le pays est en pleine sécheresse. La Norvège coupe sa coopération avec la Namibie. L’ancien révolutionnaire prend goût au pouvoir et ses attributs. En 1994, il est réélu pour un second mandat. Par un tour de passe-passe, il fait réviser la loi fondamentale, ce qui lui permet de se représenter : en 1999, il remporte haut la main l’élection.
Un « Mugabe light » ?
Mais l’inquiétude est là : Nujoma veut-il être président à vie ? Le mécontentement populaire gronde, sur fond de crises économique et sociale. Au sein même de la Swapo, les divisions éclatent au grand jour. Le chef de l’État en prend ombrage. L’homme tranquille devient désordonné. Le discours est sans nuance, brutal. Sam Nujoma s’en prend à la minorité blanche, aux homosexuels, aux journalistes. On l’appelle désormais le « petit Mugabe » ou « Mugabe light ». Car il semble marcher sur les traces du bouillonnant président zimbabwéen.
Il déclare que l’homosexualité est « bestiale », que le « gayisme et le lesbianisme » ne seraient jamais tolérés en Namibie, qu’ils sont contraires à la culture du pays. Nujoma devient irrationnel. Le sida ? Sam Nujoma s’explique sur la maladie du VIH à Genève, lors d’une rencontre internationale : « Le sida, c’est une guerre biologique produite par certains États et non une maladie naturelle (…) Ceux qui possèdent des médias puissants ont tenté de faire croire aux Africains qu’elle était née en Afrique centrale où les Noirs mangent les singes verts et auraient ainsi infecté le monde entier. »
Ce « Mugabe light » en inquiète plus d’un. Mais les deux millions de Namibiens le respectent encore. C’est le père de la Nation, celui qui assure la stabilité du tout jeune État. En 2005, Nujoma passe la main à son fils spirituel, Hifikepunye Pohamba. Mais ma retraite politique n’est que partielle : l’ombre de Sam Nujoma plane toujours dans les allées du pouvoir, car le parti, c’est lui. Il ne jette l’éponge qu’en 2007.
Enfin affranchie, la « marionnette » Hifikepunye Pohamba fait ses premiers pas en tant que président libre. Il œuvre sans relâche pour la démocratie namibienne. Début 2015, il cèdera le pouvoir à Hage Heingop, rejoignant le cercle très restreint des lauréats du prix Mo Ibrahim qui récompense les dirigeants pour leur bonne gouvernance.
Quant au père de l’indépendance, il reste aujourd’hui, pour nombre de Namibiens, d’abord « Sam Nujoma Avenue » ou « Sam Nujoma Drive » : un nom de rue.