Les adversaires d’hier peuvent être les alliés d’aujourd’hui. En témoigne la nomination au Tchad au poste de Premier ministre de l’opposant historique Saleh Kebzabo. Après la fin du Dialogue national inclusif et l’investiture du président de transition, il fallait nommer un Premier ministre et c’est sur un vieux routier de la politique tchadienne que Mahamat Idriss Déby a porté son choix.
Saleh Kebzabo est un des premiers soutiens de Mahamat Idriss Déby Itno. À la mort d’Idriss Déby Itno en avril 2021, quand l’armée annonce la mise en place d’un Conseil militaire de transition, le président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau annonce qu’il soutient le nouveau régime et va accompagner la transition.
Un « vieux renard » de la politique
Un choix diversement apprécié même dans son propre camp. Mais le « vieux renard », qui a fait de la politique sous tous les régimes depuis les indépendances, ne change pas de cap. Il envoie ses militants au gouvernement et, de bonnes sources, il était devenu ces derniers mois un des principaux conseillers du président de transition.
Ayant des connexions à l’international, Saleh Kebzabo a, non seulement, été choisi pour son carnet d’adresse bien fourni mais aussi pour son expérience de la politique tchadienne. Deux atouts qui lui permettront certainement de trouver réponse aux sanctions que le Tchad se prépare à affronter pour ne pas avoir suivi les recommandations de l’Union africaine concernant la charte de transition et l’eligibilité des dirigeants de la transition.
- Kebzabo prend donc la tête du gouvernement tchadien et devra surmonter plusieurs défis comme les inondations qui touchent à nouveau Ndjamena depuis quelques jours, l’accès à l’eau, les délestages, le chômage des jeunes diplomés, la lutte contre la corruption ou encore les conflits éleveurs-agriculteurs.
Concernant les questions socio-économiques, le challenge est immense. D’autant plus que Saleh Kebzado devra aussi mener la très épineuse question de la réforme de l’armée qui a été escamotée lors du dialogue. Et puis, surtout, le cycle électoral qu’il doit mettre en œuvre, avec la promesse d’aboutir à des scrutins crédibles dans 24 mois.
Nommé vice-président du comité d’organisation du dialogue, il a passé cinq mois à Doha pour négocier la participation des rebelles au Dialogue national inclusif et souverain au cours duquel il a été un des grands défenseurs de mouvements politico-militaires.
Ironie de l’histoire, ce mercredi après-midi, c’est Gali Ngothé Gatta, l’un de ceux qui l’ont critiqué il y a 18 mois quand il a décidé de soutenir le régime de transition et qui vient d’être nommé secrétaire général de la présidence qui a lu le décret le nommant Premier ministre.
Saleh Kebzabo, ancien journaliste, est âgé de 75 ans. Il s’est présenté à quatre reprises à la présidentielle face au défunt président Idriss Déby.
Une nomination sans surprise
La nomination de Saleh Kebzabo a rapidement fait réagir les partis politiques, qui se disent globalement peu surpris par ce choix, qu’ils soient pour ou contre. Le MPS, parti de l’ex-président Idriss Déby dont Saleh Kebzabo a été l’opposant historique, valide cette décision. Les adversaires d’hier peuvent être les alliés d’aujourd’hui, estime Jean-Bernard Padaré, le porte-parole du Mouvement patriotique du salut. Saleh Kebzabo est-il récompensé de son ralliement et de ses efforts pendant 18 mois au sein de la transition ? « Je pense qu’il a été réaliste », rétorque-t-il.
« Lui comme nous, avons compris que nous devons faire taire nos querelles intestines pour nous retrousser les manches et ensemble sauver ce pays qui risquait d’être en dérive et donc, pour nous, ce choix ne nous choque pas du tout, poursuit le responsable du MPS. Nous savions que le choix le plus normal serait le choix du président de l’UNDR comme chef du gouvernement et donc ça nous conforte dans notre position que les Tchadiens ont résolument pris la décision de construire un Tchad nouveau pour la jeunesse, qui n’attend que cela. »
En revanche, pour l’opposant Succès Masra, chef du parti des Transformateurs, Saleh Kebazbo, comme d’autres avant lui, n’est là que pour prolonger un système. Il estime que le peuple, au contraire, a soif de rupture et de changement. « Je crois qu’il n’y a, pour de nombreux observateurs et surtout pour le peuple tchadien, pas beaucoup de surprises. Parce que tout ça s’inscrit dans un mécanisme global d’accompagnateurs chevronnés, reconnus et qui ont permis de consolider ce système depuis des décennies. »
Succès Masra prévient que « mettre fin à cela » va être son « combat ». « L’écrasante majorité des Tchadiens a 25 ans, il y a dans ce paysage des gens qui ont servi comme ça pendant des décennies. Nous voulons arrêter avec ce système-là et faire en sorte que nous ayons un nouveau départ basé sur la véritable démocratie, basée sur l’égalité et la justice. Et je crois que les Tchadiens ont fait leur choix de ce côté-là. »
L’opposant Brice Mbaimon Guedmbaye, qui a participé au dialogue, souligne quant à lui que le nouveau Premier ministre à de nombreux défis à relever. À commencer par rallier les groupes politico-militaires et les partis politiques qui ont refusé le dialogue. Sans quoi, selon lui, la transition sera un échec.
La transition ne réussira pas si les politico-militaires qui sont restés dehors et si les partis politiques qui refusent d’y prendre part ne viennent pas s’associer et s’approprier les conclusions du Dialogue pour qu’on aille de l’avant.