En inscrivant au fronton du Programme d’Action du Gouvernement, notamment dans son premier pilier, sa volonté de renforcer la démocratie et l’État de droit, le président de la République a fait de la réforme du cadre institutionnel, un des chantiers phares de son mandat à la tête du pays.
Pour ce faire, il a initié une série de réaménagements législatifs et constitutionnels portant pour l’essentiel, sur la réforme du fonctionnement des institutions ( la constitution en l’occurrence), des systèmes judiciaire, électoral, partisan, pour ne citer que ces points.
Ce noble objectif aurait pu nous faire progresser substantiellement dans notre processus d’enracinement de la démocratie, si ces réformes annoncées avaient été conduites avec beaucoup plus de savoir-faire, de rationalité, d’objectivité et surtout de sincérité.
Malheureusement, les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs et le constat est amer.
Aujourd’hui , la réforme des règles applicables aux différentes élections, qui fait couler beaucoup d’encre et de salive apparaît comme une illustration parfaite de ce regrettable constat.
Elle souffre non seulement d’une incohérence conceptuelle et théorique flagrante mais aussi présente des signes avant-coureurs d’une crise électorale inévitable.
I- UN DÉFICIT FLAGRANT DE REPÈRE CONCEPTUEL
La problématique de la régulation du multipartisme intégral semble avoir pris le dessus sur toute autre considération doctrinale au coeur de l’interminable processus de réformes dans notre pays.
Si, au moins, il y avait une logique conceptuelle et théorique comme base dans la conduite de cette réforme, on ne serait pas là à tourner en rond comme le disait l’autre. Même si nous pouvons concéder aux réformateurs qu’une démocratie solide ne saurait se bâtir sur un système de partis atomisé, il n’en demeure pas moins que ce constat ne devrait pas servir de prétexte aux aménagements pernicieux, voués essentiellement à favoriser un monopole politique insidieux au profit du pouvoir en place.
Comment peut-on décider de réaliser de grands regroupements politiques et de faire de la lutte contre la fragmentation du « système partisan » l’épicentre des réformes politiques depuis bientôt une décennie et continuer à conserver le mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives? Au lieu de changer le mode de scrutin qui est la variable explicative la plus significative de la structure du « système partisan », on préfère ériger des digues fantaisistes comme des taux de 10% , 15%, 20%, , ailleurs, 3/5 de couverture des circonscriptions électorales législatives, ces chiffres qui ne correspondent à aucune réalité électorale et qui ne procèdent d’aucune étude vérifiable.
Pour un rappel théorique plus rafraîchissant, le mode de scrutin le moins approprié en vue d’atteindre les objectifs supra évoqués est bien entendu celui retenu par le législateur béninois qui se gargarise au quotidien d’avoir révolutionné un système qui n’a jamais convaincu.
L’appréciation critique de la doctrine est sans appel à ce propos. Le principal avantage du scrutin à la représentation proportionnelle réside dans sa représentativité. Avec un tel système, les formations minoritaires peuvent être plus facilement représentées.( Droit constitutionnel, Louis FAVOREU, Dalloz, 12e, édition).
Faut-il le rappeler, une des recettes sinon la recette la plus efficace pour aboutir à une simplification significative du paysage politique reste bien évidemment le mode de scrutin majoritaire à un tour ( qu’il soit uninominal ou de liste, pour rester en accord avec notre actuel modèle de découpage électoral) dont on connaît l’effet réducteur sur le nombre des partis. À défaut de provoquer la disparition des micros partis, cela permet tout au moins leur éviction du parlement.
II – DES SIGNES AVANT-COUREURS DE CRISES ÉLECTORALES
Au lieu de s’arc-bouter sur un support scientifique suffisamment éprouvé, on va chercher des solutions dans une juxtaposition d’approximations qui relève plus du charlatanisme législatif sans repère conceptuel que d’une réelle quête de perfectionnement du système électoral.
De manière plus concrète, ce qui nous guette dans quelques mois à l’occasion des élections législatives à venir et qui semble extrêmement dangereux pour la démocratie et la paix sociale, c’est la neutralisation systématique de la souveraineté populaire exprimée dans l’urne, par une volonté législative, expression circonstanciée de rapports de force politiques. Autrement dit, ce n’est plus le peuple qui choisira ses représentants par circonscription électorale. C’est la loi électorale qui imposera ici son diktat à travers des arrangements législatifs malsains et toxiques qui défient toute logique.
À quoi servira donc le suffrage universel lorsque son expression peut se voir battre en brèche par des dispositions législatives venues de nulle part ?
Comment expliquer à la multitude la consécration de l’inutilité du bulletin de vote ? Comment lui faire gober l’idée que son choix exprimé dans l’urne peut être disqualifié au profit de son rejet, du fait simple d’une volonté législative ?
De quelle légitimité se prévaudraient les députés non élus dans leurs circonscriptions électorales mais repêchés par le truchement du code électoral ?
De quelle logique procède tout ceci ?
Ces préoccupations, aujourd’hui brûlantes, devraient conduire chacun de nous à porter une attention plus soutenue à l’élaboration des nouvelles règles électorales dans notre pays et à s’impliquer activement dans le débat en cours sur la pertinence des réformes pompeusement engagées depuis huit ans et fréquemment modifiées à l’occasion de chaque échéance électorale.
Ne serait-ce que sur la base de ce sempiternel recommencement, signe manifeste d’un processus non abouti et donc inachevé, on peut déjà suggérer un break et solliciter une évaluation afin de ne pas foncer droit, une fois de plus, dans le mur avec des supports juridiques manifestement inadéquats.
Enfin, pour finir, je voudrais, à la suite de la Conférence Épiscopale du Bénin, inviter très respectueusement les différents acteurs impliqués dans le processus de production normative, plus précisément législative, à œuvrer à une relecture consensuelle du code électoral dans un esprit de vérité et dans l’intérêt supérieur de la Nation.
Adégbola Franck OKE