L’Afrique est censée consacrer ses propres ressources prioritairement à son développement économique et social. Mais la guerre de plusieurs décennies contre le terrorisme s’est avérée coûteuse, obligeant les pays africains à dépenser d’énormes ressources dans la défense au lieu d’investir dans le développement économique et social. Néanmoins, les résultats encourageants de cette guerre contre le terrorisme sont insignifiants tandis que l’insurrection djihadiste demeure résiliente et se propage dans la sous-région ouest-africaine.
Par conséquent, il importe de s’interroger sur ce qui pourrait être, dans cette lutte, les meilleurs choix stratégiques ou tactiques, convenables pour les pays en développement comme le nôtre. Ces choix, que nos autorités pourraient faire dans leur politique de défense pour pouvoir réduire considérablement les capacités des djihadistes à court terme et les vaincre sur le long terme, doivent être efficaces sans épuiser nos ressources limitées :
Préserver et respecter la souveraineté des États dans les choix stratégiques en matière de défense
Chaque pays, tout en recherchant une coopération internationale, régionale ou bilatérale dans la lutte contre l’insurrection djihadiste, doit développer et préserver ses propres capacités à se défendre de manière indépendante et souveraine.
Après les indépendances, de nombreux pays africains, comme la Côte d’Ivoire, n’avaient pas de forces de défense nationale. Ils s’appuyaient sur l’ancienne puissance coloniale pour leur défense. Face aux attaques djihadistes, il est tentant peut-être pour de plus en plus de pays d’opter pour des accords de défense similaires avec une puissance étrangère qui protégerait leur territoire et leur population. Mais cela ne peut pas être une stratégie efficace à long terme. Les fiascos des interventions étrangères contre les insurrections djihadistes doivent pouvoir dissuader de penser à une telle option.
Les pays africains en tant qu’États doivent assumer la responsabilité de leur défense. La coopération internationale, régionale ou bilatérale dans le domaine de la défense ne peut pas remplacer la souveraineté lorsqu’il s’agit de définir la stratégie nationale de défense et de sécurité.
Au Maghreb, principalement en Algérie, en Syrie et en République centrafricaine où des succès ont été enregistrés contre cette forme d’insécurité, ce sont les armées nationales qui ont mené les opérations.
En intervenant, la Russie a utilisé sa longue expertise dans la guerre moderne pour aider à mettre en place des armées nationales capables de combattre les insurgés. La Russie s’est principalement limitée à apporter le renseignement, la formation et le soutien logistique.
Par conséquent, les pays africains ne doivent pas se priver de leurs propres capacités à faire des choix stratégiques pour eux-mêmes y compris le choix des partenaires dans cette guerre. Nous ne devons pas laisser la France décider à notre place qui peut être ou non notre partenaire dans la lutte contre l’insurrection djihadiste.
S’adapter aux doctrines des guerres non-conventionnelles
Les autorités nationales de défense et de sécurité doivent essayer de comprendre la nature de cette guerre non-conventionnelle que mènent les organisations terroristes et d’en tenir compte dans la conception des tactiques et des stratégies.
En effet, ces organisations se déplacent en petits groupes dispersés et utilisent de petites motos très rapides qui leur permettent de circuler dans des zones rurales et inaccessibles. Ils ont également démontré leurs capacités à faire un usage efficace des technologies de la communication pour collecter, partager, recevoir et donner des instructions et des informations.
Leur objectif ne consiste pas pour le moment à conquérir des territoires et à les garder sous leur contrôle. Leurs victoires résident dans leur capacité à saboter les efforts des gouvernements qui ne peuvent pas garantir la bonne gouvernance et le développement économique dans ces conditions d’insécurité et de désordre. Comme le constat a été fait au Mali et au Burkina-Faso, par leurs actions déstabilisatrices, ces groupes terroristes parviennent à délégitimiser les gouvernants quand les attaques deviennent récurrentes et font perdre confiance aux citoyens dans l’efficacité des institutions. Pour nos pays où l’État et la démocratie sont encore en construction, un tel développement est un cauchemar.
Tactiquement, dans une telle forme de guerre, le nombre, la quantité ou la qualité des ressources (hommes, équipement) ne vous confèrent pas forcément un avantage évident.
Il ne sera donc pas utile de mobiliser du matériel coûteux comme des blindés lourds, des chars, des avions de chasse, etc.
Il est déjà arrivé, aussi bien au Mali qu’au Burkina-Faso, que les insurgés, après l’attaque d’une base militaire, s’emparent des armes de l’armée régulière et les utilisent contre elle.
Il pourrait être plus efficace d’utiliser les mêmes tactiques qu’utilisent ces groupes pour profiter de chaque occasion de les battre. La création d’unités motorisées pourrait être plus efficace. En effet, la dissimulation et la vitesse sont deux éléments essentiels dans toute forme de guerre.
Avoir les populations de son côté dans cette guerre
Mao Zedong avait l’habitude de dire que « la guérilla doit se déplacer dans le peuple comme un poisson, dans la mer ». Celui qui veut gagner cette guerre contre le djihadisme doit être au sein du peuple comme un poisson dans l’eau.
Pour ce faire, sur le plan militaire, il faut envisager l’utilisation d’une armée secrete pouvant se dissimuler au sein des populations et la mise en place de réseaux d’espionnage dans et autour des zones où les insurgés pourraient être actifs.
Pour collecter des données sur les djihadistes et opérer contre eux avec autant de rapidité, de surprise et de camouflage comme eux-mêmes le font, les armées régulières devraient recruter des collaborateurs formels et informels parmi les populations locales. Non seulement, les armées doivent renforcer leurs effectifs en recrutant au sein de ces populations locales dans les zones où les djihadistes sont susceptibles d’effectuer des incursions sur leur territoire, mais elles doivent aussi disposer de collaborateurs ou d’informateurs informels dans ces régions qui sont frontalières.
Sur le plan économique et social, afin de gagner le cœur et l’esprit des populations locales, les gouvernements doivent mettre en place un ensemble de programmes incitatifs à leur endroit afin qu’elles puissent considérer les activités des djihadistes comme une menace pour leur propre bien-être social.
Par exemple, au Nord-Ouest de la République du Bénin, le long des frontières avec le Burkina-Faso où ont eu lieu les incursions les plus graves de djihadistes sur le sol béninois, il existe des réserves forestières dans lesquelles se trouvent des animaux sauvages tels que des lions, des éléphants, des hippopotames, etc…
Ces réserves attirent les touristes étrangers. L’augmentation des activités djihadistes dans cette zone portera un coup sérieux au plan économique du gouvernement visant à faire du tourisme un pilier du développement du Bénin.
C’est pourquoi beaucoup d’efforts doivent être consentis pour éviter que les associations locales de chasseurs ne soient recrutées et instrumentalisées. Il doit y avoir un moyen d’aider les jeunes chasseurs à s’éloigner du braconnage et à adopter d’autres activités professionnelles acceptables.
Pendant que de tels programmes à caractère social sont multipliés dans les régions menacées pour gagner les populations à la cause de la paix, les armées doivent créer une atmosphère de confiance entre ces populations locales et elles-mêmes pour fonctionner efficacement.
Dans tous les cas, le problème qu’engendre le djihadisme sans nous déstabiliser psychologiquement doit préoccuper les autorités civiles et militaires dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, à tous les niveaux. Et pour faire face à ces menaces nouvelles, nous ne devons pas hésiter à penser à des méthodes nouvelles.
Alfred Cossi CHODATON (WhatsApp : 95401064), Le Libre Penseur, publié le mercredi 24 novembre 202, à 20h.