Washington compte près de 1000 soldats dans ce pays visé par un putsch militaire et qui constitue sa tête de pont dans la lutte antiterroriste autant qu’un allié clé en Afrique de l’Ouest face à Moscou et Pékin.
Alors que les tentatives de pourparlers de la Cédéao au Niger sont à l’arrêt, et que la France est hors-jeu après les tacles des putschistes arrivés au pouvoir, les États-Unis arrivent sur le devant de la scène diplomatique. Lundi, la sous-secrétaire d’État Victoria Nuland a été envoyée en émissaire à Niamey. Si elle a pu rencontrer les auteurs du coup d’État, la haute responsable américaine s’est vue refuser de voir le président Bazoum détenu en otage, ainsi que le chef de la junte, le général Tiani. Les discussions ont été «difficiles», a-t-elle reconnu au terme d’un entretien manifestement stérile.
Plus tôt lundi, le département d’État américain avait confirmé avoir pris contact directement avec les putschistes. Le secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré de son côté être «en contact régulier avec des leaders en Afrique, avec la Cédéao elle-même, mais aussi avec (ses) partenaires en Europe, y compris la France». «Nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel», a déclaré mardi le secrétaire d’État américain sur RFI.
Si les États-Unis mettent tant d’énergie à trouver une issue diplomatique, c’est que Washington considère le Niger à la fois comme une tête de pont dans la lutte antiterroriste en Afrique de l’Ouest, et comme un allié clé dans sa tentative d’endiguer la Chine et la Russie sur le continent. En mars dernier, le déplacement d’Antony Blinken à Niamey marquait la toute première visite d’un secrétaire d’État américain dans le pays. «Le Niger est l’un des derniers bastions des partenariats de sécurité américains dans la région», rappelle Stephanie Savell, chercheuse à l’Université Brown.
D’un point de vue militaire, les Américains ont d’ailleurs précédé la France au Niger. Lorsqu’en 2013, la France lance l’opération Serval au Mali voisin pour arrêter les colonnes djihadistes, l’US Air Force compte déjà environ 200 hommes au Niger. Une présence discrète – la Maison-Blanche n’évoque alors qu’une centaine d’hommes – mais qui fait office d’appui précieux pour l’armée française, notamment en renseignements tactiques. Actuellement, près de 1000 soldats américains sont déployés dans la base aérienne 101 située près de l’aéroport international Diori Hamani, à Niamey, qui sert de base de mission conjointe pour les forces américaines et françaises.
À l’époque, l’historien et consultant militaire Laurent Touchard écrivait dans les colonnes de Jeune Afrique : «À l’évidence, l’entente est excellente entre Niamey et Washington. Bonne entente que facilite paradoxalement la crispation discrète des relations avec Paris : dossier Areva , souvenir mécontent de l’intervention française en Libye… De fait, la France cristallise un certain mécontentement qu’augmente sa présence militaire non négligeable, « détournant » ainsi l’attention des Américains».
Une base de drones à Agadez
Les États-Unis disposent également d’une vaste base de drones dans la région d’Agadez, dans le centre du pays. Baptisée base aérienne 201, c’est, avec ses 25 kilomètres carrés, la deuxième plus grande base américaine en Afrique après Djibouti. Équipée de systèmes de pointe en matière de communication par satellite, cette base sert de principal centre de renseignement et de surveillance pour les Américains au Sahel. Washington aurait investi 110 millions de dollars pour sa construction et 30 millions de dollars par an pour sa maintenance. Elle accueille notamment des MQ-9 Reaper et des avions de transport C17. Autant d’appareils dont la libre circulation est mise à mal par la fermeture de l’espace aérien à la suite du coup d’État.
En 2018, le New York Times révélait l’existence d’une autre base secrète installée dans le désert, à Dirkou, au Nord, et qui serait tenue par la CIA pour lancer des attaques contre des insurgés islamistes en Libye. En outre, un accord militaire lie Washington et Niamey depuis 2015 sur «la sécurité et la bonne gouvernance», qui prévoit notamment de l’équipement et de la formation, ainsi que l’organisation de missions conjointes.
L’appel de Bazoum à l’aide américaine
À cette coopération militaire s’ajoute un appui économique important. L’aide américaine au Niger se chiffre à plusieurs centaines de millions de dollars – sachant que «l’aide internationale représente 40%» du budget national, rappelait jeudi le président Bazoum dans une tribune publiée dans le Washington Post . Deux jours après que la France a suspendu son aide au développement pour le Niger suite au coup d’État, les États-Unis ont annoncé en faire autant sur plusieurs programmes d’aide au gouvernement, annonçant maintenir toutefois l’aide humanitaire «vitale» sur place. En 2022, Washington, par le biais de l’USAID, annonçait un montant global d’assistance au Niger de 400 millions de dollars pour des projets dans la bonne gouvernance, l’agriculture, la sécurité alimentaire ou encore la santé, l’augmentant de 200 millions supplémentaires jusqu’en 2024.
Suite au coup d’État, la présence militaire américaine au Niger, tout comme celle de la France, est en suspens : la junte au pouvoir, si elle s’installe, souhaitera-t-elle conserver ses partenariats de défense avec les Occidentaux ? Selon les derniers événements, il semblerait qu’elle s’oriente plutôt dans la même direction que les juntes voisines du Mali et du Burkina Faso, en se tournant vers la milice russe Wagner. Le Quai d’Orsay a confirmé que la junte a pris contact avec cette milice lors du déplacement d’une délégation dans ces deux pays mercredi dernier.
La médiation américaine pourrait-elle débloquer le dossier nigérien ? En tout état de cause, le président Bazoum, toujours en otage, semble avoir misé sur son partenaire outre-Atlantique pour venir à son secours. Le chef d’État a choisi le Washington Post pour s’exprimer depuis le palais présidentiel le 4 août, appelant son allié américain à «restaurer l’ordre constitutionnel» au Niger, et mettant en garde contre les conséquences «dévastatrices» du coup d’État qui pourrait faire tomber le Sahel sous «influence russe».