Lancé par l’Union mathématique africaine, le prix Gaston-Mandata-N’Guérékata sera décernée tous les deux ans à des chercheurs africains installés sur le continent ou ailleurs dans le monde. Ce prix, doté de 3 000 dollars, vise à faire connaître leurs travaux. Entretien avec le mathématicien camerounais Abdon Atangana, l’un des dirigeants de l’Union mathématique africaine.
Professeur de mathématiques camerounais, Abdon Atangana est l’un des meilleurs mathématiciens au monde d’après plusieurs classements. Il revient sur les raisons qui ont motivé la création du prix d’excellence Gaston-Mandata-N’Guérékata, qui sera remis pour la première fois cette année. « L’Afrique doit avoir sa maison d’édition, l’Afrique doit avoir ses médailles », plaide-t-il.
RFI : Pourquoi avoir créé ce prix d’excellence en mathématiques ?
Abdon Atangana : Nous avons constaté que les médailles en mathématiques ne portent pas les noms des Africains. Cela crée un problème parce que les jeunes Africains peuvent penser que les mathématiques ne se font qu’en Occident, qu’aucun Africain n’a jamais contribué au développement des mathématiques dans le monde. Mais si l’on remonte dans l’histoire, les Africains ont contribué jusqu’à ce que des gens comme Thalès ou Pythagore viennent en Afrique pour étudier les mathématiques.
Aujourd’hui, il y a peu de mathématiciens africains qui brillent et ils sont à l’extérieur de l’Afrique. On se pose donc cette question : pour être un grand mathématicien, faut-il quitter son continent ? L’Afrique contribue à 0,002 % des publications. Les mathématiciens africains ne sont pas reconnus, ils n’ont pas de visibilité. Quand il y a l’événement International Mathematical Union, aucun mathématicien africain n’est invité. La médaille Fields, décernée à des jeunes mathématiciens de moins de 40 ans, n’a jamais été donnée à un Africain, à un Noir en général.
C’est pour ça qu’on a créé ce prix, qui va être remis tous les deux ans. Tous les mathématiciens africains, qui sont à l’intérieur et à l’extérieur du continent, pourront participer.
Au-delà de ce prix, qu’est-ce qui doit changer pour que les mathématiciens africains soient pleinement reconnus ?
Pour être reconnu, il faut écrire un papier scientifique et ce papier doit être publié. Il doit donc passer entre les mains des éditeurs. Aujourd’hui encore, un jeune Sénégalais m’appelait pour me dire que tous les papiers qu’il écrivait étaient directement rejetés par les journaux américains ou européens à qui il les envoyait. Comment peut-on être connus si nos travaux ne sont pas publiés ?
Ce que nous devons faire en tant qu’Africains, c’est créer une maison d’édition, ce qui nous permettra de publier les travaux que nous faisons en Afrique en mathématiques, en chimie, en histoire… Comme l’Europe a fait, comme l’Amérique a fait, comme la Chine est en train de faire. Cela va nous permettre d’être plus visibles. Ce qui fait la force des États-Unis, ce n’est pas qu’ils travaillent mieux que tout le monde, c’est qu’ils publient leurs papiers, et le monde entier les voit.
La chose la plus importante, c’est que l’Afrique doit avoir sa maison d’édition, l’Afrique doit avoir ses médailles. Nous ne pouvons plus être des esclaves académiques. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on veut publier dans un journal européen, si c’est Open Access, on paye beaucoup d’argent alors que nous n’en avons pas.
Est-ce que l’apprentissage et la pratique des mathématiques connaissent une progression sur le continent africain ?
L’Afrique a été le berceau des mathématiques. Les gens venaient de n’importe où pour apprendre les mathématiques en Afrique. Avec la colonisation, les Africains ont perdu leur identité, leur personnalité. Mais les structures fractales, par exemple, on les trouve dans beaucoup de royaumes en Afrique, c’est naturel. Les femmes se font tresser avec les structures fractales. Les mathématiques sont dans notre sang en tant qu’Africains.
La façon dont on nous a présenté les mathématiques, c’est juste pour les formules. Alors qu’il ne s’agit pas que de formules. C’est un outil que nous utilisons pour résoudre les problèmes dans la nature. Si on peut changer la façon de présenter les mathématiques aux jeunes Africains, alors ils étudieront les mathématiques avec enthousiasme. En Afrique aujourd’hui, peu de personnes s’y intéressent. C’est peut-être aussi pour ça que nous n’avons pas beaucoup de publications.
En Europe, les mathématiques sont utilisées pour l’innovation ou l’ingénierie. Je vais me battre corps et âmes pour que cela soit instauré en Afrique. Il faudrait aussi que l’Union africaine et les gouvernements mettent de l’argent pour l’éducation. Ce qui réunit l’Afrique, c’est le football. Mais ce qui devrait réunir l’Afrique, c’est la science, la technologie, l’informatique, et puis les mathématiques. Parce que c’est ce que les Européens, les Américains et les Asiatiques utilisent pour le développement de leurs continents.
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Qui est Gaston Mandata N’Guérékata ?
Gaston Mandata N’Guérékata est un mathématicien centrafricain, aujourd’hui âgé de 71 ans. Il s’est imposé comme le spécialiste mondial des fonctions presque automorphes. C’est l’étude des phénomènes périodiques ou presque périodiques, autrement dit parfaitement régulier ou presque parfaitement régulier, comme par exemple, le battement du coeur humain.
Natif de Paoua, Gaston Mandata N’Guérékata est l’auteur de plus de 300 publications, une production exceptionnelle. Il a été le premier étudiant centrafricain à décrocher un doctorat, toutes disciplines confondues. C’était à l’université de Montréal, au Canada en 1980.
Il est également le premier africain à intégrer l’Académie mondiale des sciences, élu par des confrères et consoeurs du monde entier en 2004. Doyen de l’Université de Bangui puis, plus tard, professeur distingué à l’université Morgan de Baltimore aux États-Unis, Gaston Mandata N’Guérékata a parcouru le continent africain pour former des enseignants : au Maroc, au Burkina Faso ou encore au Sénégal.
Qu’un prix d’excellence en mathématiques porte son nom est pour lui « une apothéose », selon son propre mot. Il espère que sa carrière inspirera les jeunes mathématiciens africains.