Prof. Leon Bio Bigou au sujet de la loi sur la chefferie traditionnelle : «… Notre pays est devenu un pays où tout le monde est Roi»

Santé & Culture

Au Bénin, la loi portant cadre juridique de la chefferie traditionnelle a été adoptée par les députés le jeudi 13 Mars 2025. Pour mieux comprendre les 47 articles structurés autour de six titres contenus dans cette loi, Dr. Léon Bani BIO BIGOU, Professeur Titulaire des Universités dans l’espace CAMES, Grand-Croix de l’Ordre National du Bénin, et auteur de plusieurs propositions de loi, a accordé un entretien à Fraternité en apportant des explications scientifiques. Selon l’enseignant d’université, il fallait arrêter cette déviance constatée depuis des années où tout le monde est roi. Mais il reconnait que la chefferie traditionnelle est la première alliée de l’Administration publique dans toutes ses attributions. Pour cette raison, dit-il,  la loi doit être très claire dans certaines de ses attributions par rapport aux tenants du pouvoir politique national.

La loi portant cadre juridique de la chefferie traditionnelle est composée de 47 articles structurés autour de six titres. Elle présente un nouveau visage de la royauté au Bénin en optant pour les chefferies supérieures et coutumières sans ignorer celle communautaire en prenant pour repère les périodes référence de 1894 et 1897 respectivement pour les parties méridionale et septentrionale de notre pays.

Que pensez-vous de cette disposition légale ?

Dr. Léon Bani BIO BIGOU : Avant toute réponse à cette question importante, permettez-moi d’abord d’exprimer, à Monsieur le Président de la République, mes vives et sincères félicitations pour avoir réussi, enfin, à doter notre pays d’un cadre juridique dans le contexte de la chefferie traditionnelle.

C’est une disposition légale importante et indispensable dans la mesure où notre pays connaît de nombreuses déviances dans les structures traditionnelles. Notre pays est devenu un pays où « tout le monde est Roi ». Il fallait arrêter cette déviance constatée depuis des années. C’est dans cet esprit que le Gouvernement d’alors, en 2008, avait organisé le Forum des Rois et Dignitaires du Bénin avec plus de 500 participants. Ce Forum de 2008 avait eu à adopter des recommandations aussi bien à l’égard des Rois et Chefs traditionnels eux-mêmes qu’à l’égard du Gouvernement. Toutes ces belles résolutions sont restées sans suite à ce jour où, enfin, un texte juridique est pris en faveur de ces couches importantes et incontournables pour l’avenir de notre pays.   

Le Bénin a-t-il besoin d’une telle loi ?

Absolument oui, le Bénin a vraiment besoin de cette Loi pour une raison très simple : toute société humaine existante vit et évolue sur des principes et des règles, d’hier à aujourd’hui. Tout type d’organisation humaine évolue sur des principes ayant plusieurs dénominations à travers les structures sociales, culturelles, cultuelles, spirituelles, religieuses et économiques où des individus ou groupes d’individus ont leur place. Sans règle, sans ordre, sans intercompréhension, pas de société, dit-on. Pour n’avoir pas eu une Loi spécifique sur la chefferie traditionnelle, le Bénin est devenu un pays « où tout le monde est Roi ». Pour arrêter une si grave déviance il n’y a que la loi, sans quoi le pays ira de déviances en déviances, pour compromettre totalement les voies de développement économique durable dont les peuples ont besoin.

La loi ne viole-t-elle pas la notion de généralité qu’engendre la non reconnaissance de certaines chefferies ?

De mon point de vue, toute organisation sociale, quelle que soit sa taille, a ses principes sur lesquels elle évolue. C’est dans ce sens qu’il ne faudrait pas confondre des erreurs ou insuffisances d’imaginations à certains niveaux des couches dirigeantes ayant tendance à négliger ces types de société. Il faut tenir compte des réalités des sociétés traditionnelles béninoises. La loi, si elle est bien prise, ne doit omettre aucune couche à travers son contenu et ses décrets d’application.

Dites-nous, selon vous, l’Etat a-t-il redonné à la chefferie traditionnelle cette place qu’elle occupait par le passé ?

C’est une question importante qui mérite une attention et une  réflexion particulières profondes.  En effet nos sociétés traditionnelles avant, pendant et après la colonisation étrangère française ont connu des bouleversements. Avant la colonisation, les peuples étaient les initiateurs de leurs propres structures qui ont connu des interpénétrations à travers les guerres, les confrontations ou les relations diplomatiques ou d’amitié. C’était entre eux, hommes noirs, qui concevaient et géraient leurs structures relationnelles de diverses natures. A leurs propres contradictions vient se greffer la pénétration française ayant exploité à fond les contradictions traditionnelles internes des peuples en développant une stratégie consistant à s’approcher du plus faible pour affaiblir le plus fort avant de placer les deux sous sa domination. L’Etat étant une création du dominateur externe, il a cette tendance de vouloir placer sous sa coupe ou sa domination les structures traditionnelles. C’est dans ce cadre qu’il faudrait rester vigilant par rapport à la position de l’Etat dans les rapports qui le lient aux chefferies traditionnelles.   

Dès la promulgation de la loi adoptée par le parlement béninois, les choses pourront-elles maintenant rentrer réellement dans l’ordre ?

De mon point de vue, tout dépendra d’abord de la bonne foi du Gouvernement par rapport à la prise en compte des doléances des Rois et des Chefs traditionnels. Le premier acte à poser après la promulgation, c’est la vulgarisation de cette loi dans toutes les langues nationales pour l’imprégnation des populations au plan national.

Comme on avait l’habitude de constater une certaine prolifération des roitelets dans toutes les régions, surtout à l’approche des élections, la loi nouvelle ne recadre-t-elle pas les choses et redéfinit ce que doit être le rôle d’une chefferie traditionnelle en République du Bénin ?

L’une des raisons de l’existence d’une loi se situe à ce niveau : l’absence d’une règlementation claire et nette a pour conséquence immédiate ces déviances mortelles pour notre société où tout chef traditionnel se dit « Roi » ! La loi, dans son contenu, pour être une bonne loi, doit respecter certains principes de base : définir clairement les concepts et les principes, respecter les règles positives de la tradition, respecter les dispositions de la Constitution qui est la Loi fondamentale. Clarifier et respecter les attributions des Rois et chefs traditionnels. Bien clarifier les sanctions positives et les sanctions négatives.

Êtes-vous de ceux qui pensent à une relecture de la loi ?

Oui, sans ambages ! Je suis satisfait du fait que notre pays, « Quartier Latin », soit enfin doté d’une Loi sur nos structures traditionnelles. Une relecture est souhaitable pour être à la hauteur de ce titre honorifique de « Quartier Latin » et la renforcer dans son contenu et son application. Il y a un certain nombre d’observations faites par ceux qui sont préoccupés de la qualité de cette loi honorant notre Nation béninoise à travers ses structures traditionnelles.

Cette loi permet-elle un bon vivre- ensemble ?

Oui, car chacun connaîtra sa place, son rôle et ses attributions dans nos structures traditionnelles devant aider l’Administration publique dans ses tâches de développement durable. Les Rois et les Chefs traditionnels ont beaucoup à apporter et à apprendre aux filles et fils du pays qui travaillent dans l’Administration publique. La bonne écoute et l’entraide de part et d’autre restent les facteurs essentiels d’un bon vivre ensemble.

Si l’occasion  vous est donnée de modifier, que modifierez- vous ?

Si l’occasion m’était donné de contribuer à une modification, je proposerais d’abord la prise en compte de certaines revendications pertinentes au regard de l’histoire de notre pays. Mais cela reviendrait à aller au-delà de seize (16) Royaumes pour atteindre une vingtaine. Il en est de même pour les chefferies supérieures.  

Je proposerais aussi la reformulation de l’Article 5 dont la formulation laisse croire que tous les royaumes sont égaux, ce qui n’est pas le cas dans la réalité des faits observables en termes d’espaces couverts et de poids démographiques. C’est sur ces bases que ma reformulation irait dans le sens de présenter les royaumes en trois (03) classes comme suit :

Article 5 : Sont reconnus comme royaumes en République du Bénin, les chefferies traditionnelles ci-après : 

  • Article 5.1: Rois de 1ère Classe: 04 Rois (Danhomè – Nikki – Hogbonou – Kétou).
  • Article 5.2: Rois de 2èmeClasse: 08 Rois (Kouandé – Allada –– Bouè – Kika – Sandiro- Dassa – Sakété –– Savalou.
  • Article 5.3: Rois de 3èmeClasse : 04 Rois : (Savè – Kilir – Bassila – DogboAhomey.

Ce n’est qu’une proposition parmi tant d’autres, l’essentiel est d’en arriver à réduire au maximum les contestations.

Quels sont vos conseils à la chefferie traditionnelle ?

Mes conseils, très modestement, à la chefferie traditionnelle sont les suivants : Appliquer le principe traduit par l’expression « le repas du palais ne tue pas la vérité du palais ». C’est un principe de lutte efficace contre la corruption qui stipule que les différents types de corruptions sont les repas du Palais. Mais ces corruptions ne doivent pas empêcher le Chef de dire la vérité ou de trancher dans l’objectivité.

La chefferie traditionnelle est la première alliée de l’Administration publique dans toutes ses attributions. C’est pour cette raison que la loi doit être très claire dans certaines de ses attributions par rapport aux tenants du pouvoir politique national. Une fois que les attributions de la chefferie sont clairement définies, l’Administration en prend acte pour les applications.  

Votre mot de la fin.

Mon mot de fin sera long, car il s’agira de faire comprendre d’où vient le Bénin par rapport à cette loi sur la chefferie traditionnelle. Vous devez avoir  des archives concernant ce dossier. Je voudrais d’abord renouveler mes vives félicitations et mes  remerciements au Chef de l’Etat pour avoir, enfin, doté notre pays d’une loi spécifique sur la chefferie traditionnelle.  Pour avoir une idée du rôle qu’il a joué en prenant cette loi, il me suffit d’évoquer les échecs des différentes tentatives dans ce domaine en commençant par les Recommandations et Résolutions du Forum des Rois et Dignitaires du Bénin à l’égard des Rois eux-mêmes et de l’Administration.

Mais avant 2008, il faudrait avoir une idée des tentatives dans ce sens à partir de 2003 qui se présentent comme suit :

  1. 2004 : J’ai été l’auteur d’une « PROPOSITION DE LOI PORTANT CODE DE LA CHEFFERIE ET DE LA ROYAUTE TRADITIONNELLES EN REPUBLIQUE DU BENIN », en 41 Articles (cf. texte dans les archives de l’Assemblée Nationale). 
  2. En 2005 : au cours de la 4èmeLégislature, j’ai élaboré une « PROPOSITION DE LOI PORTANT STATUT DE LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE EN REPUBLIQUE DU BENIN » contenant 35 Articles. C’était au temps de Monsieur Kolawolé A. IDJI, Président de l’Assemblée Nationale du Bénin (cf. texte dans les archives de l’Assemblée Nationale).
  3. Septembre 2008: J’ai fait une Communication à l’occasion du FORUM NATIONAL DES ROIS ET DES DIGNITAIRES DU BENIN
  4. Septembre 2008– Prof. Félix IROKO et moi, Dr. Léon Bani BIO BIGOU, avons animé une Communication sur « CRITERES POUR PORTER LE TITRE DE ROI»
  5. Septembre 2008 – Ma communication a porté sur « CHEFFERIE/ROYAUTE ET ADMINISTRATION PUBLIQUE : PERTINENCE DE LA PRISE EN CHARGE PAR L’ETAT ET CONDITIONNALITE».
  6. Septembre 2008 – Pour animer les débats, ma Communication a porté sur « ROYAUTE ET PROBLEME DE TERMINOLOGIE ; ROYAUTE ET AIRE CULTURELLE à l’occasion du FORUM NATIONAL DES ROIS ET DES DIGNITAIRES DU BENIN. CAS DE NIKKI CHEZ LES BAATOMBU DE LA REPUBLIQUE DU BENIN».
  7. Septembre 2008 – Ma Communication portait « ROYAUTES ET CHEFFERIES TRADITIONNELLES DU DAHOMEY AU BENIN : REORGANISATION ET STRUCTURATION» à l’occasion du FORUM NATIONAL DES ROIS ET DES DIGNITAIRES DU BENIN.
  8. 12 Septembre 2008 – LES RECOMMANDATIONS DU FORUM DES ROIS ET DIGNITAIRES DU BENIN POUR LES TRADITIONNELS EUX-MEMES (EN 11 PONTS) ET POUR L’ADMINISTRATION(EN 13 POINTS). Le Rapporteur général du Forum, Léon Bani BIO BIGOU
  9. 07 Novembre 2008 – La Communication que j’ai eu à animer portait sur « ORIGINE ET EVOLUTION DE LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE AU BENIN».
  10. 25 Mars 2009: A cette date, NOTE A L’ATTENTION DE SEM LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, CHEF DE L’ETAT, CHEF DU GOUVERNEMENT dont l’objet est SUGGESTIONS SUR L’ORGANISATION DES ROIS ET SUR LEUR PRISE EN CHARGE.
  11. 05 Juin 2011 – A cette date, j’ai eu à élaborer un Draft de Projet de Loi qui était LOI N°…PORTANT CODE DE LA CHEFFERIE ET DE LA ROYAUTE TRADITIONNELLES AU BENIN
  12. 20 Août 2011 – Karimou CHABI-SIKA + 14 autres Députés signataires : « PROPOSITION DE LOI PORTANT STATUT DE LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE EN REPUBLIQUE DU BENIN »
  13. 28 Juin 2012: Institut International de Recherche et de Formation (IIRF) présenté une « PROPOSITION DE LOI PORTANT STATUT DES CHEFFERIES TRADITIONNELLES EN REPUBLIQUE DU BENIN » (cf. texte dans les archives de l’Assemblée Nationale).
  14. 27 Octobre 2017: Claudine Afiavi PRUDENCIO a formulé une proposition de loi intitulée « PROPOSITION DE LOI PORTANT STATUT DES CHEFFERIES TRADITIONNELLES EN REPUBLIQUE DU BENIN » contenant 41 Articles (cf. texte dans les archives de l’Assemblée Nationale).

En évoquant tous ces éléments, c’est juste pour donner une idée du temps passé sur cette question importante concernant l’adoption d’une Loi spécifique sur les Rois et les chefs traditionnels en toute indépendance.

C’est dans cet esprit que le Forum des Rois et Dignitaires avait adopté des recommandations pour les chefs traditionnels eux-mêmes et pour l’Administration publique ainsi qu’il suit :

  1. Pour les traditionnels eux-mêmes, les recommandations/résolutions se résument en onze (11) points essentiels :
  2. de respecter scrupuleusement leurs traditions dans leurs aspects positifs, susceptibles de contribuer efficacement au progrès social ;
  • d’éradiquer du tissu social tout ce qui n’est pas de nature à garantir la paix sociale, le progrès social, culturel et économique ;
  1. de lutter inlassablement contre la prostitutionde leurs structures noble ;
  2. de lutter pour la sauvegarde des intérêts des communautés qu’ils représentent ;
  3. Restaurer par l’Education dans les familles, les palais royaux et écoles les valeurs morales ;
  • Instaurer un respect mutuel au niveau des religions ;
  • Respecter les critères de succession édités par l’histoire ;
  1. créer un conseil consultatif national composé de représentant de chaque chefferie qui fera l’objet de concertation préalable avant la prise de toute décision ;
  2. revaloriser nos valeurs traditionnelles telle, les danses, les chants, les manières de s’habiller, de célébrer les mariages, le patriotisme, la discipline, le respect et autres principes civiques. Lesquels permettront de rompre surtout avec l’égoïsme ;
  3. interdire l’intronisation de deux Rois au même trône ;
  • reprendre les processus d’intronisation partout où ils étaient suspendus du fait de l’administration.
  1. Pour l’Administration, treize (13) points de recommandations et résolutions ont été retenus ainsi qu’il suit :
  2. Doter les royaumes et chefferies traditionnelles d’un texte juridique national ;
  • Associer les Rois et les Chefs traditionnels dans la gestion administrative pour le maintien de la paix et de la sécurité ;
  1. Etudier les primes à allouer aux Rois légalement désignés ou intronisés ;
  2. Associer les Rois et Chefs traditionnels au processus de développement à la base ;
  3. observer une stricte neutralité dans les affaires traditionnelles pour se limiter à son rôle de garant de l’ordre public, de la sécurité et de la paix sociale ;
  • éviter d’P influencer la désignation des chefs et rois traditionnels ;
  • faire adopter un texte conséquent pour la tradition comme c’est le cas dans certains pays ;
  1. s’engager à reconnaître le chef ou le roi désigné et intronisé selon les normes coutumières ;
  2. Concevoir des modules d’enseignement des cultures béninoises dans le système éducatif formel ;
  3. Impliquer nécessairement des rois et Chefs traditionnels dans la gestion du foncier ;
  • Faire dire par des rois et Chefs traditionnels les rôles qui leur reviennent au côté de l’Administration ;
  • ne pas reconnaître deux rois au même trône ;
  • lever les mesures de suspension qui frappent certains trônes pour leur permettre d’introniser leur roi.  

C’est sur le rappel de ces éléments historiques que je voudrais renouveler à Son Excellence Monsieur le Président de la République mes vives considérations pour cet acte honorable posé allant dans le sens de la sauvegarde de nos traditions dans leurs aspects positifs des cultures et cultes pour un développement durable de nos peuples épris de paix et de justice.

Propos recueillis par Hospice KOUMONDJI (Coll-Fraternité)