Après des années de discussion et une nuit entière d’ultimes tractations, les eurodéputés et représentants des États membres ont trouvé ce mercredi 20 décembre un accord sur l’épineuse réforme du système migratoire européen.
Le Pacte asile et migration va remplacer l’actuel système européen que les pays du sud de l’Europe demandent à cor et à cri de réformer depuis au moins deux décennies. Présenté par la Commission européenne en septembre 2020, c’est une nouvelle tentative de refonte des règles européennes après l’échec d’une précédente proposition en 2016 dans la foulée de la crise des réfugiés.
Globalement, le pacte prévoit un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l’UE, des centres fermés près des frontières pour renvoyer plus rapidement ceux n’ayant pas droit à l’asile et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des États sous pression migratoire est également prévu.
Contrôles renforcés et mécanisme de solidarité obligatoire
Le règlement de Dublin confiait la totalité de la responsabilité de l’accueil des migrants au pays d’entrée, celui par lequel chaque migrant arrive dans l’UE, la plupart du temps par la Méditerranée, rappelle notre correspondant à Bruxelles, Pierre Bénazet. La réforme conserve cette règle, mais pour aider les pays méditerranéens, où arrivent de nombreux exilés, un système de solidarité obligatoire est organisé en cas de pression migratoire. Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile (relocalisations) ou en apportant un soutien financier.
La réforme prévoit aussi un « filtrage » des migrants à leur arrivée et une « procédure à la frontière » pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile, qui seront retenus dans des centres pour pouvoir être renvoyés plus rapidement vers leur pays d’origine ou de transit. Cette procédure s’appliquera aux ressortissants de pays pour lequel le taux de reconnaissance du statut de réfugié, en moyenne dans l’UE, est inférieur à 20%. Le Conseil a insisté pour que même les familles avec enfants de moins de 12 ans soient concernées par une telle procédure, qui implique une forme de détention, dans des centres situés près des frontières ou des aéroports par exemple.
« Toutes les personnes qui rentreront sur le territoire européen de manière irrégulière seront enregistrées, précise la députée européenne Fabienne Keller. Nous devons savoir qui est sur notre territoire. Mais ces personnes auront aussi des droits : une aide juridique dans l’ensemble de la phase de l’asile et le monitoring des droits fondamentaux pour qu’ils soient réels. Gérer plus rapidement des personnes qui ont très peu de chance d’avoir l’asile, c’est aussi faire que nos systèmes d’asile soient moins encombrés par des personnes nombreuses qui attendent pendant des délais beaucoup trop longs. C’est faire en sorte qu’il y ait moins de personnes présentes dans les procédures, qu’elles soient mieux accueillies et mieux respectées. »
« Accord historique »
Les réactions n’ont pas tardé. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a salué cet « accord historique » sur le Pacte sur la migration et l’asile.
La présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola, s’est dite « très fière », estimant qu’il s’agissait « probablement de l’accord législatif le plus important de ce mandat ».
La commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson a salué un « moment historique ».
L’Allemagne, l’un des pays qui a accueilli le plus de migrants au cours des dix dernières années, réclamait depuis longtemps une meilleure répartition des réfugiés au sein de l’Union européenne, rappelle notre correspondante à Berlin, Nathalie Versieux. Le chancelier Olaf Scholz a donc exprimé « un soulagement pour l’Allemagne », sur la plateforme X. « Nous limitons ainsi l’immigration clandestine et soulageons les pays les plus concernés, y compris l’Allemagne. » Sa ministre de l’Intérieur Nancy Faeser, elle aussi sociale-démocrate, se félicite également du compromis qui permettra de répartir la responsabilité des migrants « sur davantage d’épaules ».
Pour l’Italie, l’accord trouvé par les 27 États membres lui permettra de se sentir « moins seule » dans la gestion des flux migratoires. C’est ce qu’a affirmé mercredi le ministre italien de l’Intérieur. Cet accord représente « une solution équilibrée qui ne laisse plus les pays frontaliers de l’UE, particulièrement exposés à la pression migratoire, se sentir seuls », a affirmé Matteo Piantedosi dans un communiqué, saluant un « grand succès ».
En Grèce, Kyriakos Mitsotakis a, lui aussi, fait part de sa « satisfaction ». Le Premier ministre conservateur grec voit en effet dans l’accord de principe sur une nouvelle politique migratoire européenne un appui à sa politique frontalière qu’il résume systématiquement à l’aide des mêmes mots : « dure, mais juste ». Concrètement, depuis 2020, les refoulements de migrants vers la Turquie, pays par lequel ils transitent, se sont fortement multipliés, au point de devenir une partie officieuse, mais centrale de la politique migratoire d’Athènes, rapporte notre correspondant à Athènes, Joël Bronner.
Lors de la crise migratoire de 2015 et 2016 où plus d’un million de demandeurs d’asile et de migrants sont arrivés en Europe, la Grèce était alors la principale porte d’entrée du continent. Depuis, Athènes n’a cessé de demander davantage de solidarité de la part des pays membres, plus éloignés des frontières extérieures de l’UE. Avec le futur Pacte européen, ce principe de solidarité devrait justement devenir obligatoire.
La Hongrie vent debout
Les réactions sont beaucoup plus mitigées chez le partenaire Vert de la coalition. « L’Allemagne n’a pas réussi à faire passer toutes ses demandes », regrette la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock. Son parti avait tenté d’imposer une procédure séparée pour les familles de migrants, afin d’éviter aux enfants de passer par la case des centres de traitements des demandes d’asile aux portes de l’Europe. Les Verts, qui ont finalement soutenu le compromis de Bruxelles, doivent faire face à une volée de critiques de la part de leur base.
À gauche, certains députés européens estiment que l’accord a trop cédé aux pays qui veulent contrôler les frontières.
Justement, parmi eux, la Hongrie a « rejeté avec force » mercredi cet accord, refusant de contribuer au mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres. « Nous ne laisserons entrer personne contre notre volonté », a déclaré à la presse le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto.
Adoption finale avant les élections européennes de 2024
La réforme suscite également les critiques des organisations de défense des droits humains. Une cinquantaine d’ONG, dont Amnesty International, Oxfam, Caritas et Save the Children avaient écrit le 18 décembre une lettre ouverte aux négociateurs pour les alerter sur le risque de voir ce pacte migratoire aboutir à « un système mal conçu, coûteux et cruel ».
Hasard du calendrier, cette percée au niveau européen est intervenue peu après l’adoption en France d’une loi controversée sur l’immigration, qui a provoqué une crise dans le camp du président Emmanuel Macron en raison du soutien de l’extrême droite. Cette réforme est donc d’autant plus un enjeu pour une partie de l’Europe, à six mois des européennes et sur fond de montée des partis nationalistes, explique Julien Chavanne du service international.
L’accord politique devra encore être formellement approuvé par le Conseil et le Parlement européen. L’objectif est une adoption finale de l’ensemble des textes avant les élections européennes de juin 2024.