CRIET : L’intégralité de l’entretien de Mario Mètonou

Société

Mise en place en 2018, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), est totalement indépendante. Elle n’est pas une machine à broyer les opposants du président Patrice Talon  comme le font croire des adversaires du pouvoir. Propos du procureur spécial près la Criet, Mario Mètonou dans un entretien exclusif accordée à Bip radio. Par ailleurs, le Procureur spécial annonce la date du démenagement de la Criet de Porto Novo pour Cotonou. Lire l’intégralité de l’entretien.

Mario Mètonou : C’est une série d’audiences consacrées au jugement des infractions les plus graves, les infractions qualifiées crimes au terme de notre législation. C’est ce qui a remplacé ce que nous connaissions sous la dénomination de la Cour d’assises. Une réforme législative a fait que désormais, les cours d’assises ont été remplacées par des sessions criminelles aussi bien en première instance qu’au niveau des chambres d’appel.

Pourquoi on fixe un délai pour une session criminelle ? Est-ce qu’il n’y a pas le risque des jugements expéditifs ?

Pas du tout parce qu’en général, ces dossiers arrivent devant la session criminelle après une longue période d’instruction. Quand on va à la session criminelle, on connait à peu près les charges qui sont retenues contre chacun, les accusés savent exactement ce qu’on leur reproche, les éléments de la procédure qui sont à charge, les éléments qui sont à décharge. Les avocats ont eu le temps de se préparer des semaines à l’avance. Donc, il y a un temps de préparation qui fait que l’on arrive à l’audience avec un dossier complet bien ficelé et toutes les parties ont des éléments de procédure sur lesquels, elles veulent bien intervenir. Il n’y a de risque que vous arrivez à un jugement expéditif.

Pourquoi la justice met toujours autant de temps pour juger les gens ? Pourquoi le temps de détention provisoire peut être interminable ?

D’abord, la bonne justice n’est pas la justice expéditive. Faut pas être expéditif du tout. Si vous y allez trop rapidement, vous risquez d’enjamber les droits de l’homme et de laisser passer des éléments qui peuvent être profitables pour l’accusé dans la procédure. Mais également le temps de la justice ne doit pas être trop long. Vous faites bien de le souligner. Nous avons des contraintes au point de vue de l’organisation de la procédure qui font qu’on est obligé dans les dossiers qualifiés de crimes de passer par la case de l’instruction préparatoire et là effectivement, cela peut prendre un certain temps parce que c’est la même commission d’instruction et il y a un certain nombre d’actes, de procédures obligatoires que cette commission doit poser avant que le dossier ne soit clôturé. Et dans le temps, ce n’est pas que vous envoyez un stock de dossiers à la commission et que vous vous en tenez à cela. Au jour le jour, de nouveaux dossiers arrivent. Donc, il y a le ratio nombre de magistrats et nombre de procédures qui joue parfois et qui fait que les procédures, surtout quand c’est des procédures complexes, prennent du temps. C’est toujours un temps utile pour que la bonne justice se fasse.

Vous comprenez des détenus qui se plaignent du temps qu’ils passent en prison ?

Ah oui et ils ont totalement raison.

Et vous ne pouvez rien faire pour corriger cela ?

On y travaille pour que le délai de traitement des procédures soit un délai raisonnable ni trop long, ni trop court, mais raisonnable.

Quelles sont aujourd’hui les nouvelles infractions ?

Je ne sais si aujourd’hui, on a de nouvelles infractions.

Le terrorisme par exemple ?

Le terrorisme faisait déjà partie des infractions pour lesquelles la Criet a reçu compétence depuis 2018.

Il n’y avait pas autant de clients qu’aujourd’hui ?

Oui. On n’en n’avait pas autant de personnes poursuivies pour terrorisme. Vous faites bien de le souligner. Nous sommes face à un péril et nous travaillons à ce que ce péril-là soit conjuré.

Vous avez l’expertise pour juger ces gens d’affaires ?

De plus en plus. Il y a des formations qui sont organisés, il y  a des séminaires et des échanges de bonnes pratiques.

Il y a quelques-uns qui ont été jugés à l’occasion de cette session criminelle. Est-ce qu’il y en a encore d’autres dans les prisons et qui attendent leur procès ?

Oui effectivement, il y a un certain nombre dans nos prisons et maisons d’arrêt et dans nos prisons civiles en attente de jugement de leur dossier devant la commission d’instruction de la Criet. La première session criminelle a été consacrée presque exclusivement aux dossiers de terrorisme. Nous avons jugé un certain nombre de personnes. Il y en a eu qui ont été acquittés, mais il y a beaucoup qui ont été condamnés. Les condamnations allaient de 10 à 30 ans de réclusion criminelle.

Justement est-ce que parfois, la Criet n’a pas la main trop lourde ?

Si vous participez à une action terroriste et que vous mutilez des gens, que vous égorgez des gens, que vous tirez sur des militaires et qu’à la fin, vous êtes reconnu coupable et qu’on vous condamne à 30 ans de réclusion criminelle, je ne pense pas que ce soit trop.

On dit que quand on entre à la Criet, on n’a aucune chance de s’en sortir. Est-ce qu’il vous arrive d’acquitter des gens à la Criet ?

Je vais vous demander de faire un tout petit exercice. On a en moyenne 4 audiences au niveau de la chambre de jugement par semaine : lundi, mardi, mercredi, jeudi.  Choisissez n’importe laquelle de ces audiences-là. Arrivé, installez-vous dans la salle autour de 8h30. Cela vous permet d’assister au début des audiences. Et le début de l’audience, c’est le moment où le juge vide son délibéré. Vous ferez le calcul vous-même et vous me direz s’il y a des acquittements ou pas. Vous serez surpris du résultat.

Vous avez des statistiques ?

Faites l’exercice. Vous verrez.

Est-ce qu’une juridiction doit faire peur ?

Est-ce que la Criet fait peur ? Je ne crois pas. Il y a une majorité de nos concitoyens qui n’ont pas du tout peur de la Criet. Je pense même qu’il y a des gens au Bénin qui ne connaissent pas la juridiction, simplement parce que ce sont des personnes qui ne sont pas dans des situations où elles sont en conflit avec la loi. Par contre, si vous êtes décidé à développer des comportements ou vous détournez des deniers publics, vous commettez un certain nombre d’actes qui sont contraires à la loi, vous avez certainement quelques craintes à avoir. La politique pénale du gouvernement, du garde des sceaux que nous appliquons ici, c’est celle qui veut qu’on soit intraitable vis-à-vis des infractions des délinquants à col blanc et ces délinquants à col blanc sont ceux qui sont dans les crimes économiques, ceux qui commettent une infraction non pas de survie, comme dans des cas de délinquance à col bleu. Ce sont des délits, des infractions de confort. Le crime économique, c’est un crime qu’il faut combattre parce que derrière chaque crime économique, c’est une école qui n’est pas construite, c’est des milliers d’enfants qui sont privés d’éducation, ce sont des milliers de femmes qui risquent en donnant la vie parce que simplement l’argent qui devrait servir à construire l’hôpital a été détourné. Derrière chaque crime économique, ce sont les usagers de la route qui risquent leur vie à chaque fois qu’ils prennent le volant parce que le réseau routier n’a pas été entretenu simplement parce que l’argent qui devrait servir à entretenir le réseau routier et à le développer, a été détourné. Pour toutes ces raisons-là, il est normal que nous puissions avoir la main lourde.

On vous accuse de régler également des comptes politiques pour le pouvoir. Est-ce que c’est la machine à broyer les opposants de Patrice Talon ?

La plupart des personnes que j’ai poursuivies pour des infractions économiques, c’est des personnes qui se réclament non pas de l’opposition, mais de la gouvernance actuelle.

Vous n’êtes pas une justice aux ordres ?

Pas du tout. Il n’y a pas eu depuis que je suis là, une seule procédure, une seule poursuite que j’ai voulu engager et j’ai été retenu par le bras politique. Il n’y en n’a pas eu une seule.

Quelle est l’image de la Criet dans l’opinion et même avec les avocats. Au départ, c’était une institution qui était boudée, contestée ?

Notre image, c’est à vous de me le dire, on va dire notre miroir pour savoir ce que nous reflétons. Pour parler simplement des avocats, vous savez qu’il y en a, qui ont sorti de véritables pamphlets contre la Criet à ses débuts. Mais j’en connais parmi eux qui ont gagné les plus gros dossiers ici.

La Criet est indépendante ?

Totalement.

On apprend que la Criet va déménager. Vous allez quitter Porto-Novo. Où seront les nouveaux locaux et dans quel délai ?

Si tout va bien, à la rentrée judiciaire prochaine, c’est-à-dire en octobre, on devrait pouvoir commencer à Cotonou parce que ce sont les anciens locaux de la Cour suprême à Ganhi.

Source : Bip Fm