Projeté à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dahomey de Mati Diop, est une mise en scène onirique de l’art africain spolié par les troupes coloniales françaises. Un film-documentaire audacieux, auréolé de l’Ours d’Or, éminemment politique, qui a touché un jeune public venu en nombre.
À l’écran, la statue du roi Ghezo raconte en langue fon son retour d’exil. La salle de cinéma ce jour-là est une salle de classe du département de lettres modernes de l’université Cheikh Anta Diop, à Dakar, pleine à craquer. Une séance spéciale, essentielle, pour Mati Diop, la réalisatrice de ce film qui raconte le voyage de Paris vers Cotonou de 26 œuvres pillées à l’époque coloniale.
« Je pense que c’est justement aux artistes, aux intellectuels et à la jeunesse d’entreprendre cette démarche de restitution, estime-t-elle. Et pour moi, ça passe, par exemple, par faire ce film. Faire en sorte que ce film ne se limite pas à une sortie en salles, mais soit emmené dans des endroits spécifiques qui puissent générer du débat. »
Et les questions ne manquent pas. Pourquoi faire parler les 26 œuvres ? Pourquoi l’obscurité ? Ndey Ededia, qui prépare une thèse sur la restitution des biens culturels, a été touchée par ce film très politique. « C’était génial que Mati arrive à faire parler, en fait, ces statues parce qu’elle leur donne en quelque sorte une âme, juge-t-elle. Ça me parle fortement et j’aimerais que ça puisse parler à beaucoup d’autres jeunes. C’est important de savoir d’où nous venons pour essayer, comme disait Felwine Sarr, de reconstruire un peu ce fil de l’histoire qui a été interrompu à un certain moment. »
Car la plupart des étudiants qui sont là n’ont jamais entendu parler de ces 26 œuvres pillées en 1892 dans le palais d’Abomey par les troupes coloniales françaises. « Ici en Afrique, on n’a pas l’habitude de nous dire notre passé, de voir notre vraie culture », regrette El Hadj Faye, étudiant en troisième année de lettres modernes.
« Ce que nous devons apprendre à l’école n’est malheureusement pas appris, confirme Assane Diemé, étudiant en master lettres modernes. Je prends l’exemple de la leçon sur le Sénégal. Quand je faisais la terminale, je me rappelle que cette leçon fait partie du programme, mais qu’elle est totalement en bas du programme. On apprenait la Chine, la Guerre froide, la Seconde Guerre mondiale et juste à la fin du programme, on apprenait le Sénégal. Et le temps ne nous a pas permis malheureusement d’apprendre ce cours-là. »
Mémoire amputée que le film très politique de Mati Diop tente de réparer. Après le Sénégal, Dahomey est depuis le 31 mai à l’affiche au cinéma au Bénin. De son côté, la réalisatrice Mati Diop compte bien continuer à montrer son film dans un maximum d’universités du continent.