États-Unis : Les fausses cliniques, un nouvel outil pour lutter contre l’avortement

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Il existe plus de 2 500 « centres de grossesse en détresse » sur tout le territoire américain, soit trois fois plus que le nombre de cliniques qui procurent des interruptions volontaires des grossesses. Ces fausses cliniques font tout pour empêcher les personnes enceintes d’avoir recours à un avortement. Le film documentaire Preconceived raconte leur histoire et leur essor. Il a reçu, en mars dernier, un prix du jury au festival South by southwest.

Dans son bureau dans l’Idaho, Brandi Swindell, la présidente de Stanton Healthcare, raconte : « Il y a souvent des pleurs quand je rencontre une femme pour la première fois. Je me dis : « Seigneur, dites-moi quoi dire. » C’est lui qui fait tout le travail, pas moi ! », raconte-t-elle.

Le centre Stanton Healthcare fait partie d’un groupe de « centres de grossesse en détresse », un lieu où les personnes enceintes qui cherchent un avortement croient être en face d’un personnel médical. Les femmes qui y travaillent portent un stéthoscope autour du cou et des blouses de médecin alors qu’elles n’ont aucune formation médicale. Lors de leur recrutement, elles doivent justifier de leur foi chrétienne et de leur engagement contre l’avortement. Ces centres possèdent tous un appareil pour faire des échographies, un service que la clinique offre gratuitement.

Maleeha, dont l’histoire est relatée dans le documentaire Preconceived, voulait obtenir une pilule abortive, sur les conseils de sa cousine, étudiante en médecine. Elle cherche alors un centre gratuit pour avorter, et tombe sur un de ces centres. « Quand je suis entrée dans leur centre, j’ai vu toutes ces croix sur les murs. Cela me semblait bizarre d’avoir ne serait-ce qu’une image religieuse dans ce que je pensais être un centre médical. Ils m’ont demandé de remplir des papiers demandant beaucoup d’informations très intimes. Et puis, ils m’ont dit qu’un avortement pouvait causer un cancer du sein, mais aussi la stérilité. Cela a commencé à me troubler », se souvient-elle.

« Elle pensait qu’elle était suivie médicalement pour sa grossesse »

Il n’est pas rare d’entendre de nombreux récits de ce type. Certaines femmes, parfois à six semaines de grossesse, racontent que le personnel de centre leur dit qu’elles étaient en réalité à neuf ou dix semaines et ne pouvaient plus prendre la pilule abortive. D’autres personnes racontent encore qu’on leur a fait faire des échographies à répétition, le temps qu’elles prennent leur décision en conscience, jusqu’à ce que le terme pour un avortement soit dépassé.

Tara Murtha fait partie du « Women’s law project », organisation qui protège les droits reproductifs et qui est particulièrement active en Pennsylvanie. « On a eu un médecin en résidence. Il me disait par exemple qu’une femme avait eu un accident de voiture mineur. Juste après, elle s’est fait examiner pour voir si tout allait bien. Elle était à sept mois de grossesse et lui dit : « Vous allez voir dans mon dossier médical que je suis enceinte. » Mais dans son dossier médical, il n’y avait rien. Aucun élément n’indiquait qu’elle était enceinte. En fait, elle était allée plusieurs fois dans de ces centres de grossesses en détresse, pour des échographies. Et elle pensait qu’elle était suivie médicalement pour sa grossesse », regrette Tara Murtha.

« Dans les années 1990, ils assassinaient des médecins. Et il y a eu une série d’attentats à la bombe contre des centres qui pratiquaient l’IVG. Leurs propres études montrent que les gens, à l’époque, pensaient qu’ils étaient des fanatiques, des terroristes et des amoureux des fœtus. Ils se sont dits qu’il fallait changer de marketing. Donc, plutôt que de se focaliser sur les fœtus en public, ils ont prétendu que les avortements endommageaient et nuisaient aux femmes. Comme ça, les Américains lambda pouvaient les soutenir, en pensant protéger leurs proches », poursuit-elle.

La stratégie des mouvements anti-IVG aux États-Unis s’est affinée, notamment grâce au développement de ces centres. Jenifer McKenna étudie les mouvements anti-avortement et le développement des centres de grossesse en détresse. « La tromperie, la désinformation et jouer la montre sont des tactiques essentielles de l’industrie de ces centres. Ils s’installent à côté de cliniques abortives. Ils copient leurs pancartes. Ils interceptent des patientes qui s’y rendent en disant « venez chez nous, nos services sont gratuits ». Ils ont fait évoluer leurs manœuvres malhonnêtes avec le numérique. Maintenant, ils propagent des fausses informations sur leurs sites internet à propos de l’avortement et de la contraception. En ciblant des femmes pauvres, jeunes et non assurées, qui ont une grossesse non voulue et qui pourraient être vulnérables », souligne Jenifer McKenna.

Ces centres liés aux mouvements anti-IVG se sont multipliés depuis 30 ans

Depuis 2010, 500 millions de dollars ont été donnés par 13 États pour financer ces centres de grossesse en détresse, dont 100 millions proviennent du Texas. L’industrie est en expansion. Sabrine Keane est l’une des deux réalisatrices du documentaire Preconceived. « Heartbeat international (Battement de cœur international, NDLR) est une organisation anti-IVG dans notre film. Sur leur site, on peut facilement voir qu’ils ont des centres, même en France. Quand nous sommes allés interviewer leur directeur, il nous a dit qu’ils voulaient vraiment devenir plus internationaux, et qu’ils allaient se concentrer sur cet aspect dans le futur. D’ailleurs, si vous cherchez sur internet « Clinique abortive à côté de chez moi », vous tomberez en premier sur ces fausses cliniques. Et dans certains pays, comme la Pologne, les vraies cliniques n’apparaissent qu’à la troisième page de recherche », témoigne-t-elle.

Enfin, ces centres ne sont pas liés par le secret médical, ni par la confidentialité. Toutes les données comme le nom, le numéro de téléphone et l’adresse IP – quand la personne se connecte depuis un centre –, l’historique médical, les grossesses, les avortements ou encore les contraceptions sont conservées par l’organisation-mère de tous ces centres anti-IVG. Ces données peuvent permettre de cibler leur marketing politique, voire d’être un outil de surveillance national. Et cela fait très peur aux experts des droits reproductifs et des droits des femmes.