Ces derniers mois, le Hamas et le Jihad islamique ont reçu des millions de dollars en monnaie virtuelle. Un nouveau défi auquel doivent faire face les États.
D’après les informations du Wall Street Journal, entre août 2021 et juin 2023, le Hamas aurait reçu 41 millions de dollars via les cryptomonnaies. Pour le Jihad islamique, ces sommes s’élèvent à 93 millions de dollars. L’enquête du quotidien américain s’appuie sur des documents du gouvernement israélien couplé aux données de deux sociétés spécialisées dans les monnaies numériques, l’une BitOk basée à Tel-Aviv, l’autre Britannique Elliptic.
Rien ne permet d’affirmer que ces fonds ont financé les attaques du 7 octobre – qui ont fait côté israélien près de 1 400 morts et entrainé la réponse de l’armée israélienne qui a causé d’après un dernier bilan du Hamas au moins 5 000 morts – mais dans les semaines qui ont suivi des dizaines de portefeuilles de cryptomonnaies liés à ces organisations ont été gelés par la police israélienne sur Binance, la grande plateforme d’échange de cryptomonnaie. Le 18 octobre, les États-Unis ont de leur côté sanctionné BuyCash, une société basée à Gaza accusée de faciliter les transferts de monnaie virtuelle vers ces organisations classées terroristes par Bruxelles et Washington.
Le Hamas appelle au don de cryptomonnaies
Les cryptomonnaies « risquent de devenir un refuge pour les transactions financières des criminels et des terroristes », écrivait cette année le Groupement d’action financière (GAFI). Car aujourd’hui, n’importe qui peut créer un portefeuille d’adresse de cryptomonnaie pour envoyer de l’argent, sans avoir à révéler son identité. Dès 2019, le Hamas invitait d’ailleurs ses partisans au don de monnaie virtuelle. « Nous appelons tous les supporters de la résistance à soutenir financièrement la résistance à travers la monnaie Bitcoin », écrivait sur une chaine Telegram, Abu Obeida le porte-parole des Brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas.
« Les cryptomonnaies permettent d’opérer un financement dématérialisé d’ordinateur à ordinateur sans passer par le réseau bancaire mondial Swift, explique Jérôme Mathis, professeur d’Économie à l’université Paris Dauphine. Ces organisations sont très ingénieuses, elles ne cessent d’innover pour mettre en place de nouveaux canaux. Là où c’est préoccupant avec les cryptomonnaies, c’est que ça permet « d’instrumentaliser la pratique » parce que c’est très rapide, et ça favorise la collecte de petits dons de sympathisants du monde entier. »
0,2% des cryptomonnaies concernent des transactions illicites
« Si des fonds ont bien été envoyés via les cryptomonnaies à des portefeuilles liés à des organisations terroristes, les montants sont infiniment modestes par rapport aux autres sources de financement », remarque Gregory Raymond, cofondateur du média The Big Whale.
La plateforme Chainalysis évalue par exemple les transactions illicites à 0,2% de l’ensemble des échanges de cryptomonnaies dans le monde. Une goutte d’eau donc, mais qui représente tout de même 20 milliards de dollars par an.
« Les États ont une longueur de retard »
De Singapour à Hong Kong, pourtant en pointe sur la régulation, on s’interroge sur un encadrement plus strict des cryptomonnaies. Aux États-Unis, une centaine de sénateurs emmenés par Elizabeth Warren demande à Joe Biden dans une lettre des mesures urgentes.
« La traçabilité n’est pas avérée », note la sénatrice française Nathalie Goulet (UDI) qui réclame la création d’une commission d’enquête pour lutter contre le financement du terrorisme en France et en Europe. Les cryptomonnaies sont des outils qui sont hors du circuit bancaire, relève-t-elle. On a tout un système parallèle qu’il va falloir réguler plus qu’il ne l’est actuellement. »
En septembre, le G20 appelait à une régulation mondiale des cryptomonnaies, mais difficile d’harmoniser les politiques sur le sujet. « Ce travail doit être mené à l’échelle de chaque pays, note le professeur en économie Jérôme Mathis. Et sur ce point, les États ont une longueur de retard. »