Sommet en Afrique du Sud : «Les Brics, c’est un club économique mais aussi, et surtout, politique»

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Johannesburg accueille de mardi à jeudi le 15e sommet des Brics, dont l’Afrique du Sud est membre, aux côtés du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine. Le thème du sommet cette année : les Brics et l’Afrique. Pas moins de 30 dirigeants africains ont annoncé leur venue à Johannesburg, dont le Sénégalais Macky Sall et le Congolais Denis Sassou Nguesso. Pour en parler, notre invité est Paul-Simon Handy, de l’Institut d’études de sécurité (ISS).

RFI : Paul-Simon Handy, le sommet des Brics est organisé sur le sol africain, et il a pour thème l’Afrique cette année. Quel est le sens de cet accent mis sur le continent, de la part des pays membres des Brics ?

Paul-Simon Handy : L’intérêt est tout d’abord politique. Il s’agit déjà pour l’Afrique du Sud, qui a invité ces pays d’Afrique, de montrer son leadership dans les efforts de création d’une sorte de forum alternatif aux institutions globales existantes. Il y a aussi un effet de communication politique pour les Brics eux-mêmes, de démontrer aux pays africains qu’ils ont un forum, qu’ils ont un lieu, où ils peuvent exprimer politiquement, mais aussi économiquement, les vues, les intérêts qui sont les leurs et qui sont notamment en désaccord avec l’actuel multilatéralisme qui est perçu comme dominé par les pays occidentaux, en tête desquels les États-Unis.

Pas moins de trente pays africains seront représentés, qu’est-ce qui fait qu’ils se pressent tous, en ce moment ?

Le timing de ce sommet est important si on veut comprendre pourquoi il a autant de succès dans les pays africains. Ce sommet aurait eu lieu avant la crise du Covid et avant la guerre en Ukraine, on aurait peut-être eu moins d’enthousiasme de la part des pays africains. Il y a eu le Covid, et notamment la gestion des vaccins qui a été perçue dans plusieurs pays, pas seulement d’Afrique mais de ce qu’on appelle le Sud global, comme injuste. Il y a eu, après, la guerre en Ukraine, qui a fait revenir sur scène cette sorte de nouvelle alliance dite non-alignée, justement, aux contours très peu clairs mais qui faisait ressortir une sorte d’opposition de plusieurs pays dits du Sud envers ce qui était perçu comme la domination occidentale, américaine et aussi française.

23 pays du monde ont déposé leur candidature pour entrer dans ce club selon le ministre sud-africain des Affaires étrangères, dont six pays africains : l’Algérie, l’Égypte, l’Éthiopie, le Maroc, le Nigeria et le Sénégal. Est-ce que ces candidatures sont crédibles et réalistes ?

Quand on voit déjà l’hétérogénéité des Brics actuels, on passe quand même de la Chine, à l’Afrique du Sud en passant par le Brésil, ça démontre que les Brics sont à la fois un club économique mais aussi, surtout, un club politique. Les pays africains qui font la demande d’adhésion sont tout aussi hétérogènes, ce qui pose la question des critères d’adhésion. Qu’est-ce que les Brics véritablement ? Quels sont les critères d’entrée ? Ce sera discuté à ce sommet. Est-ce qu’ils veulent rester un club sélectde puissances dites émergentes, ou alors est-ce qu’ils veulent s’élargir au point de devenir un groupe des 77, un groupe des non-alignés bis, ce qui diluerait finalement leur importance et peut-être aussi l’idée de créer une alternative au G7, ce qui est l’ambition de certains pays dans les Brics.

Y a-t-il consensus au sein des membres historiques des Brics sur ces élargissements ?

Il y a de fortes divergences entre les membres, surtout entre la Chine et l’Inde sur la question de l’expansion. L’Inde est pour une expansion mesurée, beaucoup plus phasée, alors que la Chine aimerait rapidement élargir le groupe à plusieurs autres membres.

Et qu’est-ce que l’Afrique peut tirer de ce sommet des Brics, au niveau politique ou au niveau économique ?

Je pense que les gains sont surtout politiques et surtout en termes de communication politique. Il s’agit là d’envoyer un message aux opinions publiques comme quoi les dirigeants africains n’ont pas que des partenaires occidentaux, mais qu’ils ont des partenaires, des puissances moyennes et grandes, de ce qu’on appelle le Sud global. Économiquement, même pour les pays membres des Brics, même pour un pays comme l’Afrique du Sud, il est encore difficile de voir quels sont les véritables bénéficies de l’appartenance aux Brics. Pour les autres qui ne sont pas membres, il y a ceux qui veulent renforcer leurs liens avec la Chine, d’autres avec l’Inde et d’autres qui y voient le moyen de venir nouer de nouvelles alliances, de nouvelles potentialités de coopération économique. Les États africains qui viennent à ce sommet viennent à vrai dire pour des raisons très différentes les unes des autres, ce qui paradoxalement peut être plus un problème pour la cohésion du groupe des Brics qu’on ne le pense.

Est-ce que ce groupe se constitue plutôt autour de la Russie, plutôt autour de la Chine, ou est-ce que c’est un groupe non-aligné qui veut avoir sa propre parole vis-à-vis du reste du monde ?

Le club des Brics a évolué depuis sa création. La croissance, autrefois dynamique, des Brics s’est un peu tassée au milieu des années 2010. Il y a eu des pays, comme l’Afrique du Sud, comme le Brésil, comme la Russie, qui sont entrés dans une sorte de stagnation, souvent même de crise économique, alors que la Chine et l’Inde ont continué de croitre. Donc la Chine, aujourd’hui, est l’élément dominateur. Même si la Russie a été à l’initiative de la création des Brics, aujourd’hui c’est la Chine, avec un président Xi qui ne cache pas ses ambitions de domination de l’économie mondiale. Aujourd’hui, je pense que les Brics sont ordonnées, structurées autour de la Chine, même si c’est un ordre que l’Inde conteste fortement, d’où justement les divergences qu’il y a entre ces deux pays sur l’élargissement des Brics.