Le Sénat français s’est opposé jeudi 21 mars à la ratification du traité Ceta de libre-échange, entre l’Union européenne et le Canada, par un premier vote dans l’hémicycle grâce à une alliance gauche-droite de circonstance. D’autres pays européens semblent s’opposer également à ce texte, notamment dans un contexte de grogne agricole sur tout le continent.
Le traité est appliqué provisoirement depuis 2017, maisjamais soumis à la chambre haute. Dans un climat extrêmement tendu, les sénateurs ont rejeté à 211 voix contre 44 l’article du projet de loi relatif à ce traité. Ils ont confirmé ce rejet quelques minutes plus tard par un vote définitif.
Signé en 2016, adopté en 2017 à l’échelle européenne, le Ceta a été validé de justesse à l’Assemblée nationale en 2019. Mais le gouvernement n’a jamais saisi le Sénat, une étape pourtant nécessaire dans le processus.
Dans ce vote, la haute assemblée a rejeté l’article 1er du projet de loi de ratification du Ceta, article portant sur la dimension économique et commerciale du traité. Le Sénat a en revanche approuvé le second et dernier article, relatif au partenariat stratégique entre l’UE et le Canada par 243 voix contre 26. Le rejet est donc acté.
Ce rejet du Sénat ne suffit pas à lui seul à dénoncer l’accord à l’échelle européenne.
C’est « un coup de tonnerre politique », une « victoire démocratique », a savouré le sénateur communiste Fabien Gay, appelant le gouvernement à poursuivre la navette parlementaire.
« Déni de démocratie »
« Depuis 2019, le gouvernement poursuit son déni de démocratie en refusant de l’inscrire ici », s’est indigné le communiste Fabien Gay. Les écologistes, les socialistes et une grande partie de la droite sénatoriale, premier groupe du Sénat, sont en effet opposés à ce traité. « Il y a encore eu un mépris du Sénat et du Parlement et ça, on n’a pas oublié », pointe le chef de file des Républicains, Bruno Retailleau.
Le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester a dénoncé « une manœuvre grossière, une manipulation inacceptable aux lourdes conséquences pour notre pays ». « C’est simplement un coup politique que les communistes, les socialistes, avec le soutien des Républicains, font en pleine campagne électorale des élections européennes au détriment de l’intérêt général », a-t-il ajouté.
Pour Greenpeace, le vote du Sénat « démontre l’isolement d’Emmanuel Macron dans sa poursuite désespérée d’une politique ultra libérale qui nous mène dans une terrible impasse sociale, démocratique et environnementale ».
Le Ceta, qui supprime notamment les droits de douane sur 98% des produits échangés entre l’Union européenne et le Canada, est fortement critiqué, notamment par les éleveurs français, qui maintiennent la pression sur le gouvernement pour obtenir des aides face à la crise du secteur : ils dénoncent une concurrence déloyale, en raison notamment de normes sanitaires moins contraignantes au Canada. Une situation qui inquiète également les écologistes.
Les agriculteurs épinglent également des importations de viande à des coûts de revient bien inférieurs aux leurs.
La Fédération nationale bovine (FNB) s’est réjouie dans un communiqué du vote du Sénat, soulignant que l’accord présente un risque car il favorise « les imports de produits ne respectant pas les normes de production françaises et européennes ».
Équation complexe vis-à-vis de Bruxelles
L’incertitude plane désormais sur la suite du parcours législatif du projet de loi contenant le traité Ceta. Après leurs collègues sénateurs, les députés communistes ont annoncé leur intention de l’inscrire dans leur temps parlementaire réservé – leur « niche » prévue le 30 mai à l’Assemblée -, à dix jours des élections européennes.
En 2019, les députés avaient approuvé de justesse la ratification du Ceta, mais le camp présidentiel a depuis perdu la majorité absolue au Palais Bourbon, ce qui laisse craindre un nouveau rejet.Dans ce cas de figure, l’équation deviendrait alors très complexe : soit le gouvernement notifie à Bruxelles qu’il ne peut ratifier le traité et cela entraîne la fin de son application provisoire pour toute l’Europe; soit il temporise au risque de s’attirer les foudres des oppositions qui pourraient crier au déni démocratique.
Une autre hypothèse circule parmi les parlementaires : l’exécutif ayant la main pour transmettre un projet de loi d’une chambre à l’autre, il pourrait ne pas transmettre le texte à l’Assemblée nationale. Cela empêcherait de facto qu’il soit inscrit à l’ordre du jour le 30 mai.
Pour les exportateurs de vins et spiritueux, ce rejet est « totalement surréaliste » et « va porter un mauvais coup à l’ensemble de la filière des vins et des spiritueux », a déclaré le délégué général de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS). « Dans (ce) moment économiquement compliqué, se mettre dans une position délicate après une bonne dynamique (depuis la mise en œuvre du traité) nous paraît totalement surréaliste », a expliqué Nicolas Ozanam à l’AFP. « On a beau regarder les chiffres, on n’a pas vu d’effet négatif sur les filières agricoles, l’excédent agroalimentaire a progressé », a-t-il affirmé.
Les ventes à l’étranger de vins, champagnes, cognacs et autres spiritueux français ont reculé de 6 % en 2023 après plusieurs années de progression, notamment vers le Canada.