« Oraisons pour un vivant » est le premier roman de l’écrivain béninois et journaliste, Jérôme Michel Tossavi. Ce chef d’œuvre vient de voir le jour aux Editions Savane. Il sera lancé le 23 février 2019 sous la paillote de l’Institut Français du Bénin (ex centre culturel français de Cotonou). Dans une interview qu’il a accordée au site Beninlivre, Jérôme Michel Tossavi présente l’ouvrage et parle des grands thèmes. Entretien.
Jérôme Michel Tossavi: Vous lancez le 23 février prochain votre nouveau livre. Votre 1er roman. Présentez – nous brièvement cet ouvrage.
« Oraisons pour un vivant » est un vœu de faire parler un absent. Un absent si présent dans la vie du narrateur qui le livre à la parole pour mieux essuyer son deuil. Le roman se présente comme une série de chroniques sur les vieux jours d’un vieux mort par asphyxie occultiste par ses frères villageois allergiques à son retour au village. En effet, le vieux venait de prendre sa retraite de la fonction publique en ville. Contre l’avis de ses enfants, il a décidé de rejoindre sa terre natale pour s’adonner aux travaux champêtres. Ce fut le coup fatal. Le citadin trouve que rien n’est à sa place au sein de cettebourgade.Il bousculera les habitudes de la cour familiale en s’attaquant à Akidé, son demi-frère, qui ne se fatigue pas à brader tous les biens de la famille. Akidé régnait en maître sur Ouèssè-Wogoudo terrorisant les membres de la famille à cause de son statut de sorcier craint de tous. Le vieux va l’affronter. Ceci va lui coûter la vie. Un mauvais vent soufflera sur le village à la chute du vieux qui ne digère pas sa mort. Il passera à la trappe tous ceux qui ont attenté à sa vie. Assassinats, bains de sang, folies, agonies, confessions à un absent. Chaque jour s’éveille désormais à Ouèssè avec un cas de décès qui choque les sensibilités. Les esprits hantés cherchent par tous les moyens à se débarrasser du cadavre du vieux qui semble pourrir dans les placards. Ils font chercher à faire précipiter les cérémonies et le jour d’enterrement d’un cadavre capricieux. Mais c’est mal connaître, un mal mort qui feintera toutes leurs envies pour se faire enterrer ou se faire évader loin de sa terre natale souillée de toutes les fautes. Oraisons pour un vivant parle de la vie pour se moquer de la mort.
Parlez- nous des coulisses de la rédaction de votre roman puisque c’est depuis 2015 que son projet est né.
Le projet est né à la messe d’inhumation de mon père le 29 janvier 2016 à Ouèssè-Wogoudo. J’étais désigné au nom de la famille, de dire les oraisons au cours de cette messe. L’émotion aidant, je n’ai pu finir de décliner tous les mots tellement la parole était lourde à porter pour moi ce jour de grande évasion. J’entrepris de pondre une longue litanie sur la vie et sur la mort du vieux en commettant ce roman qui se focalise sur le caractère de cannibalisme de notre Bénin généreux en méchancetés et attaques fétichistes. C’est une tribune de toilettage de notre société qui se pourrit à la base. Sinon comment comprendre l’état de ruine de nos villages alors qu’ils ont donné naissance à de grands cadres qui gouvernent la tête du pays ? Comment comprendre l’exode rural qui oblige les citadins à opter pour un exil forcé loin de leurs terres natales tombée en désuétude ? Le déclic de ce roman naîtra donc du recensement de ces questions. Le préfacier salue justement le caractère réaliste de l’œuvre. Et j’y consens. C’est fait à dessein pour accrocher le lecteur et le camper dans la situation, il ne faut pas trop fantasmer. Il faut appeler les choses par leur nom. Voilà pourquoi dans Oraisons, les choses, les êtres et les lieux sont nommés avec des traits clairement reconnaissables pour approcher la réalité du mensonge.
Le titre de l’ouvrage est hautement évocateur. Que cache ce titre et quels sont les grands thèmes ?
Oraisons pour un vivant est un titre provocateur. La provocation nait de l’ambition de déifier un mort, d’absenter un présent ou de présenter un absent qui refuse de s’évader de mon cerveau éploré. Il suggère l’animosité qui se cache en nous et révèle notre état de méchanceté. Un homme est un loup pour l’homme surtout chez nous au pays. La volonté d’introniser le vieux et d’en faire une icône m’attache à l’idée de son immortalité. D’où la vraie genèse du titre Oraisons pour un vivant (et non pour un mort) alors même que le vocable d’Oraisons renvoie d’office au funérarium et cantiques funèbres. C’est là où se joue tout le jeu de la mesure et de la démesure de la fiction narrative qui me campe dans ma peau de poète diseur du monde et des choses inouïes. Un grand thème se lit en filigrane dans la dose du roman : la question du retour au village. Ce thème va drainer des micros récits perplexes de la satire où le rire s’invite à chaque carrefour de la douleur pour miroiter au lecteur la déshumanisation que nous cultivons et arrosons chaque matin de notre vie. On notera donc des sous-thèmes tels que la mort, la vie, la jalousie, la pauvreté pour ne citer que ceux-là.
Quel sera l’effet de l’ouvrage sur son lecteur, selon vous ?
Chaque lecteur à son degré de sensibilité et d’amabilité. Un livre n’est pas forcément un moratoire et le romancier n’est pas un moraliste. Par contre, le prosateur ne fait que miroiter au lecteur les plaies de sa société pour l’aider à s’y identifier donc à s’y plaire ou déplaire. Dans Oraisons, chaque lecteur trouvera sa tribune de chute ou de relais, de vie ou de mort, d’envies ou d’angoisses, de rire ou de larmes.
Et si on vous demandait de conclure cet entretien ?
J’invite les uns et les autres à s’associer à nous le 23 février 2019 sous la paillote de l’Institut Français du Bénin (ex centre culturel français de Cotonou) pour porter sur l’agora ce roman de toutes les palpitations.
Qui est Jérôme-Michel Tossavi
Jérôme-Michel TOSSAVI est natif de Ouèssè-Wogoudo dans les Collines au centre du Bénin. Il est issu d’une famille pauvre mais très modeste.
Jérôme-Michel Tossavi a honoré la littérature béninoise au plan international à travers le Prix international de la poésie, « sur les traces de Léopold Sédar Senghor ». 3e ex aequo de cette compétition, il a reçu son prix à Milan le 19 décembre 2015.
Faut-il le souligner, parmi le trio gagnant de la section française de cette première édition du Prix international de la poésie, « sur les traces de Léopold Sédar Senghor », Jérôme-Michel Tossavi est le seul Béninois et Africain. Il a été classé 3e ex aequo par un jury présidé par le Sénégalais Pap Khouma poète auteur des « Pensées au grelot », derrière le Français Mario Urbanet, auteur du poème « Couleurs noires » et la française Maria Salamone, auteur du poème « Celle que je suis ».
Poète et dramaturge, Jérôme-Michel Tossavi a, à son actif, un recueil intitulé « Signatures et balivernes » publié en 2012, des pièces théâtrales publiées en 2014 et un poème à forme courte de trois vers en 2015 qui lui a valu le prix Haikus en finale.
Passionné de mots et des lettres, il a fait le département des Lettres Modernes à l’Université d’Abomey-Calavi jusqu’à l’obtention d’une Licence classique es-Sciences et Lettres, avant de tenter l’aventure dans le domaine de la bibliothéconomie. Il a eu une formation à distance sur la plateforme Médiadix de l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense sous la caution de l’Institut Français de Cotonou qui l’a engagé en tant qu’Aide bibliothécaire depuis 2009. Il a effectué un stage pratique d’un mois en France pour la réception de son diplôme de compétence en gestion de médiathèque. Il officie à la médiathèque de l’Institut Français de Cotonou où il entreprend des activités ludiques et académiques autour des livres et de l’écriture. Son expertise est souvent sollicitée par ses contemporains pour des ateliers d’écriture, des rencontres du livre et de la parole et surtout dans le domaine de la bibliothéconomie où il est souvent appelé pour implanter, concevoir et animer des bibliothèques en gestation.
La Rédaction