Le roi d’Espagne Felipe VI et son épouse Letizia se sont rendus dimanche 3 novembre sur les lieux des inondations. Face à la colère des sinistrés, leur visite a été écourtée. À Valence ou à Paiporta, les habitants se plaignent de la lenteur des secours et le chef de l’opposition de droite est monté au créneau contre le gouvernement.
Chiva, Paiporta, Catarroja, Torrent, Picaña… Autant de communes de la banlieue de Valence, les plus touchées par la terrible Goutte froide, couvertes de boues, et qui pleure ses morts. C’est précisément ces lieux que le couple royal, le roi Felipe VI et la reine Letizia ont choisi pour apporter leur soutien symbolique et montrer que le chef d’État se préoccupe de ces Espagnols qui souffrent, relate notre correspondant à Madrid, François Musseau. En présence du chef du gouvernement Pedro Sanchez, ils ont rencontré les maires de toutes ces petites villes sinistrées. Ils se sont aussi approchés des gens affectés, et là, la tension est monté à plusieurs reprises.
La colère des riverains était même souvent au rendez-vous : « Hors de là », « Vous saviez très bien ce qui allait arriver », « assassin », a-t-on pu entendre. À Chiva, il y a même eu un moment très critique où les policiers ont dû évacuer Felipe VI et Letizia devant les menaces de certains habitants. Le roi n’a pas eu peur, s’est approché d’eux, leur a parlé. Cela s’est calmé. La visite du roi Felipe VI d’Espagne et de la reine Letizia a, par la suite, été suspendue, a annoncé la télévision nationale. Mais, devant l’énormité du drame, il est à prévoir que des manifestations de colère continuent de se produire à l’avenir.
Il faut « comprendre la colère et la frustration » des gens affectés par les inondations qui ont ravagé la région de Valence, a affirmé le roi d’Espagne Felipe VI dans une vidéo mise en ligne dimanche soir sur les réseaux sociaux. Le souverain a appelé à « leur donner de l’espoir et leur garantir que l’État dans toute sa plénitude est présent ».
L’hostilité de ces habitants est aussi dirigée contre le président de droite de la région de Valence Carlos Mazón et le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez. « Mazón démission ! », « combien de morts ? », a hurlé la foule qui accuse les autorités de les avoir abandonnés à leur sort.
Un problème d’anticipation ?
Dans la banlieue de Valence, à Paiporta, particulièrement affectée, les habitants sont en colère. Le souvenir de cette soirée dantesque pour Laura Cascales, entre l’eau qui monte à toute vitesse, les coups de boutoir des voitures contre le mur de la maison et la crainte qu’il ne tienne pas le choc, c’est aussi cette alerte tardive sur le téléphone. Les mobiles ont hurlé entre 20h et 21h, mais c’était trop tard : « À 21 h, il y avait presque deux mètres d’eau chez moi ! C’est une honte. Ils ne pouvaient pas alerter davantage ? Je suis rentrée du travail. Une minute de plus, un feu rouge et je ne serais pas arrivée chez moi à temps, s’indigne-t-elle au micro de l’envoyée spéciale de RFI en Espagne. Je suis descendue de ma voiture et la police a crié : « le canal déborde, rentrez tous ! » Bon dieu ! Vous ne pouviez pas avertir avant ? »
Entre l’alerte tardive et les secours qui arrivent au compte-gouttes, Marisa Planeis aussi est furieuse : « On a l’aide des voisins, des gens des alentours. Mais on n’a aucune aide du gouvernement. Ma grand-mère ne peut pas sortir. Cela fait quatre jours qu’elle est bloquée à l’étage chez elle parce qu’ils n’ont pas pu nettoyer la rue. »
Dans le centre-ville, des voitures de police et de la protection civile vont et viennent. Quelques véhicules de l’armée sont également arrivés, bien moins nombreux que les volontaires. Le navire Galicia de la marine espagnole fait route vers Valence avec à son bord plusieurs blocs opératoires et des hélicoptères de secours. L’équipage est formé aux interventions d’urgence.
Le phénomène météorologique de « goutte froide » à l’origine de la catastrophe est bien connu dans cette zone de la Méditerranée. Des sinistres similaires ont déjà eu lieu par le passé. Selon l’historien spécialiste de l’Espagne Benoît Pellistrandi, c’est tout un modèle de société qu’il faut repenser pour parer à de nouveaux drames.
« Avec le réchauffement climatique, on le sait, c’est une mutation des esprits qui doit être faite, mais par l’ensemble de la société », alerte-t-il. « C’est trop simple de dire que c’est de la faute du gouvernement. Nous sommes tous responsables de la manière dont nous avons surdensifié la côte méditerranéenne dont nous attendons de ces régions qu’elle nous donne à la fois le loisir, l’agriculture, l’économie, le plaisir et tout cela, effectivement, a un coût considérable. Et quand je dis ça, je ne veux pas accuser les populations de Valence qui sont aujourd’hui dans une situation dramatique. »
Des tensions entre opposition et gouvernement
En Espagne, tragédie ne rime pas forcément avec union nationale. « Dans une urgence nationale, aucun gouvernement ne peut rester à attendre les bras croisés », reproche Alberto Nuñez Feijoo, chef de l’opposition de droite au gouvernement de Pedro Sanchez. Mais sa stratégie zigzagante est soulignée par les commentateurs : entre tacler le gouvernement et ne pas accabler le président du gouvernement régional de Valence, Carlos Mazón étiqueté PP, et dont la gestion de la crise interroge, Feijoo est sur une ligne de crête. Les règlements de comptes viendront plus tard, glissent des barons du Parti populaire. D’autant que dans le débat, des questions d’ordre pratique et institutionnel sur les prérogatives des régions et du gouvernement fédéral se posent.
Pour l’historien Benoît Pellistrandi, cet épisode fera date et écorne encore plus l’image des politiques en Espagne, jusqu’à favoriser selon lui la montée de l’extrême droite dans la région. « Je pense que le gouvernement central va être considérablement affaibli. Il l’était déjà avant les événements, mais là, on va voir comment les choses se passent ».
Je dirais que la chance pour [le gouvernement], c’est que comme l’opposition tient à la communauté de Valence, il est aussi tenu pour responsable. Je crains que ça nourrisse les extrêmes et notamment l’extrême droite, Vox, qui a dans son discours un argument tout prêt qui est celui de la critique de l’état des autonomies, c’est-à-dire d’une décentralisation qui, selon Vox, est allée trop loin et qui empêche l’action des gouvernements.
De nouvelles pluies de forte intensité sont attendues. Une alerte rouge a notamment été lancée pour la région d’Almeria, au sud de la péninsule, ce dimanche matin. La persistance des pluies risque de compliquer l’organisation des secours dont les sinistrés ont un besoin urgent.
Le Premier ministre espagnol a annoncé, hier samedi, l’envoi de 5 000 militaires et de 5 000 policiers et gendarmes supplémentaires pour venir en aide aux habitants du sud-est du pays, ravagé par des inondations dramatiques. Une réponse au cinquième jour de la crise à la colère des sinistrés.
Une aide internationale
À Valence aussi, l’entraide s’organise. De nombreux habitants de la région se rendent dans les zones touchées pour dégager les rues et les maisons. Et depuis quelques jours, un élan de solidarité trouve un écho international. Une cagnotte d’aide a été mise en ligne à l’initiative des centres dédiés à la promotion de la culture de la région de Valence, situés à Bruxelles, Paris et Montpellier. « J’ai des membres de ma famille qui vivent à un troisième étage et qui sont toujours isolés par les décombres, des branches, la boue et des tas de voitures », explique Corine Romero, présidente du centre de Montpellier, au micro de Grégoire Mothe.
Les centres du Chili ou de Londres sont également mobilisés. L’objectif est de prendre le relais du secours d’urgence, avec une aide matérielle. « L’aide matérielle, ça sera des lits, des matelas, beaucoup d’habits, de quoi meubler, de quoi dormir et pouvoir se faire à manger, énumère Corine Romero. Et de retrouver un semblant d’autonomie et d’indépendance. » Du matériel qui devrait arriver dans la région de Valence d’ici au mois de décembre.