Russie : Le remplacement de Choïgou à la Défense «est une surprise», Poutine change «de cheval au milieu du gué»

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Dans une annonce surprise dimanche 12 mai au soir, le président russe Vladimir Poutine a limogé son emblématique ministre de la Défense Sergueï Choïgou, en poste depuis 2012. Limogé, mais aussi promu, puisqu’il devient secrétaire du Conseil de sécurité. C’est Andréï Belooussov, un économiste de formation, qui le remplace à la tête du ministère de la Défense. Avec Arnaud Dubien, Directeur de l’Observatoire franco-russe et chercheur associé à l’Iris, RFI analyse ce remaniement inattendu.

Ce remaniement intervient deux ans et demi après le déclenchement de la guerre par la Russie contre l’Ukraine, quelques jours après une offensive russe dans la région de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, située au nord-est du pays.

RFI : Comment analysez-vous le limogeage de Sergueï Choïgou par Vladimir Poutine ?

Arnaud Dubien : Il faut rappeler qui est Sergueï Choïgou. Il dirige le ministère de Défense depuis une douzaine d’années. Mais surtout, c’est le ministre le plus ancien en Russie. Je rappelle qu’il était déjà dans les gouvernements de l’ex-président Boris Eltsine en 1992. Il a d’ailleurs gagné une grande popularité en Russie dans les années 1990, lorsqu’il était à la tête du ministère des Situations d’urgence, la Sécurité civile. Historiquement, il ne faisait pas partie du premier cercle de Vladimir Poutine, mais il y est entré. On se souvient notamment de ces photos de vacances avec Vladimir Poutine, en Sibérie, dans la petite république de Touva, dont est originaire Choïgou.

Alors pourquoi changer Sergueï Choïgou aujourd’hui ? Il s’agit sans doute de rationaliser la dépense publique ou plutôt de viser une plus grande efficacité. Cela alors que les budgets de la défense sont en hausse et qu’il y a une très forte demande vis-à-vis de la production industrielle militaire. Choïgou était, par ailleurs, affaibli par la démission pour corruption de son adjoint Timour Ivanov, il y a quelques semaines.

Mais c’est une surprise. On estimait généralement, à Moscou, que Vladimir Poutine ne changerait pas de chevaux au milieu du gué. Il l’a fait, mais il ne sort pas du système puisque, vous l’avez dit, il sera promu à la tête du Conseil de sécurité national, une instance importante ces dernières années dans le pays.

Vous le dîtes, on ne s’attendait pas à ce que Vladimir Poutine change de cheval au milieu du gué. Pourquoi, selon vous, le choix de ce moment ?

Du point de vue de Vladimir Poutine, c’est un moment idéal et c’est effectivement conforme à ce que fait Vladimir Poutine. Généralement, on ne change pas les gens quand ils sont en difficulté ou sous la pression des circonstances. Il est plus facile du point de vue du Kremlin de limoger aujourd’hui Sergueï Choïgou sur fond de succès militaire en Ukraine, qu’à l’automne 2022, quand l’armée russe reculait du côté de Kharkiv ou de Kherson.

Ce qui a pu jouer également contre Sergueï Choïgou, c’est l’affaire Evguény Prigojine. Même si le cas Evguéni Prigojine a été réglé rapidement et de façon expéditive, Sergueï Choïgou est exfiltré un peu plus tard. Mais on peut penser que ça a joué contre lui.

 

Pour remplacer Sergueï Choïgou, Vladimir Poutine fait le choix de nommer Andreï Belooussov, un économiste sans expérience militaire, alors que la Russie mène une guerre en Ukraine. Qu’attend véritablement Vladimir Poutine de ce nouveau ministre de la Défense ? Le mot innovation a été prononcé.

Il faut rappeler que Sergueï Choïgou n’est pas un militaire, même s’il paradait, y compris le 9 mai dernier, sur la place Rouge en uniforme – ce qui lui était d’ailleurs parfois reproché. Ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine nomme un civil à la tête du ministère de la Défense. En 2007, la nomination d’Anatoly Serdyukov avait été un grand choc culturel et l’expérience s’était plutôt mal terminée, mais il avait lancé des réformes très puissantes contre un appareil encore très soviétisé.

Concernant Andreï Belooussov, d’abord, il faut rappeler que c’est une vieille connaissance de Vladimir Poutine. Ils se connaissent depuis au moins une quinzaine d’années. Andreï Beloousov a rédigé une partie des programmes économiques du président russe. Il l’a suivi à la Maison-Blanche, qui est le siège du gouvernement russe, en 2008, lorsque Vladimir Poutine est devenu Premier ministre. Il a une réputation d’économiste interventionniste. C’est quelqu’un de très honnête. Quelqu’un également de très croyant, qui devrait bien s’entendre avec les industriels et les militaires. C’est quelqu’un qui effectivement, face aux profils de Choïgou et d’Ivanov, fait un peu figure d’ascète néo-soviétique.

Mais peut-il acquérir la confiance de la hiérarchie militaire de l’État-major ? Vous faisiez référence à la nomination en 2007 d’Anatoly Serdyukov, qui avait réalisé une partie de sa carrière notamment dans le secteur de la vente de meubles. Il avait été nommé pour moderniser l’armée russe et lutter contre la corruption, mais lors de son départ en 2012 et son remplacement par Sergueï Choïgou, on avait vu la profonde défiance de la hiérarchie militaire à son égard. Belooussov peut-il obtenir la confiance de la hiérarchie militaire ?

Je le pense, même si je ne suis pas sûr que ce soit ce que le Kremlin lui demande. En fait, on va assister à une division du travail entre le ministre qui sera chargé de l’intendance – dans un contexte très particulier où il s’agit de produire, de produire et encore de produire – et l’état-major général, à la tête duquel le général Gherassimov – reconduit pour quelque temps en tout cas – est lui chargé des opérations militaires.

Donc il ne va plus y avoir de confusion des genres. Le ministre fera tourner les industries de défense pour fournir une armée, dont les plans seront confiés à l’État-major général, donc aux militaires. Ils l’étaient d’ailleurs déjà, mais le seront plus clairement encore.

Est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres limogeages ? On pense effectivement à Valeri Gherassimov que vous évoquez à l’instant, qui mène les opérations militaires en Ukraine. 

Le général Gherassimov devrait être reconduit. C’est ce qu’a dit dimanche 12 mai Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Ce qu’il faudrait avoir, en revanche, ce sont les adjoints du nouveau ministre de la Défense. Il est probable que quelques-uns d’entre eux, réputés proches de Choïgou, soient remplacés. Il est possible que certaines nouvelles figures ayant peut-être vocation à remplacer soit Beloousov, soit Gherassimov au terme de la guerre en Ukraine émergent.

On peut donc penser que Belooussov sera un ministre de transition après les 12 ans de règne de Sergueï Choïgou à la tête du ministère de la Défense ?

Douze ans, personne n’y croit, d’abord parce que Beloousov a 65 ans. Ensuite, il y a une échéance politique en Russie en 2026, les élections législatives. Elles pourront donner lieu à de nouveaux ajustements, dans deux ans et demi. C’est en tout cas, le pari qui est fait ici, que « l’opération spéciale » soit terminée, qu’un travail de reconstruction dans la durée de l’appareil sécuritaire russe s’engage.

Donc ce n’est pas une nomination pour quelques semaines, que les choses soient claires, mais ce n’est pas une nomination pour 10 ou 15 ans, c’est sûr.

Sergueï Choïgou est limogé du ministère de la Défense, mais est nommé au Conseil de sécurité russe. Un limogeage donc sur fond de promotion. Si on prend de la hauteur en analysant ce remaniement, est-il possible de tirer des enseignements en ce qui concerne les influences des différents clans qui sont présents au Kremlin ?

Oui bien sûr. Alors, il faudrait entrer dans les détails. Nicolas Patrouchev n’est plus secrétaire du Conseil de sécurité national. Un poste important en tout cas, qui est devenu important grâce à lui, alors que c’était plutôt un placard précédemment pour ex-hauts fonctionnaires. On verra d’ailleurs si Choïgou reste sur cette trajectoire ou si cela redevient un placard.

Concernant Nicolas Patrouchev, il n’est pas certain du tout qu’il sorte du système. Dmitri Peskov, dimanche soir, a annoncé que ses nouvelles fonctions seraient dévoilées d’ici à quelques jours. Il se murmure qu’il pourrait prendre la tête de l’administration présidentielle, cas échéant. Ce serait une promotion en réalité. Et puis il y a l’un de ses fils, Dimitri, qui était ministre de l’Agriculture, qui devient vice-Premier ministre.

L’agriculture est un secteur extrêmement important. C’est, je dirais, la « success story » de ces 10 dernières années en Russie, avec un secteur qui était toujours sous le coup de la tragédie stalinienne de la collectivisation avec beaucoup d’importations, et qui aujourd’hui est exportateur et contributeur net au budget russe, avec de très puissantes industries. C’est une promotion pour lui. Il entre en piste dans le bal possible des successeurs, en 2030 vraisemblablement.

Un remaniement dans la continuité ?

Je ne vois pas de grande rupture. En tout cas, il n’y a pas de changement de cap politique. L’objectif central, pour reprendre un slogan soviétique, c’est « tout pour la victoire » et les dirigeants russes, à tort ou à raison, y croient de plus en plus, et je dirais que le jeu de patience se mettra en place soit en 2026, soit après.

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