Le régime voulait ma mort » déclare le juge Houssou

Politique

Le régime voulait ma mort » déclare le juge Houssou

.Afrika 7 : Juge Angelo Houssou, vous êtes au cœur d’une affaire d’Etat, qui a dépassé les frontières du Bénin. Après être entré illégalement aux Etats-Unis, vous avez été placé dans un centre de détention, puis libéré. Quel est aujourd’hui votre statut juridique à New York ?

A ma libération du centre de détention Elizabeth, du New Jersey, ce vendredi 20 décembre, l’officier de déportation en charge de mon dossier m’a remis un I94.
Ce papier est essentiellement provisoire, en ce qu’il est valide pour une année renouvelable. Il a été délivré en attendant l’aboutissement de la procédure d’asile devant le juge de l’immigration.
En termes de droit, il me confère le statut d’un résident légal demandeur d’asile et me permet de circuler librement dans tous les Etats des USA.
La procédure d’asile aux Etats-Unis connait deux étapes : la première est purement administrative et consiste en une étude sommaire du caractère crédible de la peur alléguée qui fait que vous ne pouvez retourner dans votre pays d’origine.
Dès que la peur est jugée crédible, l’officier de l’immigration vous met en liberté et renvoie le dossier au tribunal de l’immigration.
A contrario, lorsque votre peur est jugée insuffisamment crédible, une décision de déportation est immédiatement prise à votre encontre.
La seconde étape est essentiellement judiciaire et consiste en un examen plus approfondi des éléments et pièces versés à l’appui de la peur alléguée par le juge de l’immigration.

Afrika 7 : En clair, vous n’êtes pas dans l’illégalité aux Etats-Unis, en ce moment…

Non, je ne suis pas dans l’illégalité aux Etats-Unis, je suis considéré comme un citoyen régulier, un résident légal, impliqué dans une procédure d’instance d’asile.

Afrika 7 : Pourquoi avoir essayé de quitter une deuxième fois le Bénin ?
Il ne s’agit pas d’une deuxième tentative de fuite. Il s’agit plutôt d’une fuite. C’est une première tentative, c’est un départ forcé.

Quand j’ai décidé de quitter cette géhenne, j’ai organisé ma fuite en l’espace de vingt-quatre heures, en prenant de court tous les agents commis à ma filature.
Vous comprenez que le 17 mai 2013, il n’était pas question d’une tentative de fuite…

Afrika7 : Vous vouliez juste aller en week-end au Nigeria…
Voilà. Car celui qui veut prendre la fuite ne se soumet pas aux formalités d’usage. Or, ce vendredi 17 mai 2013, c’est moi-même qui me suis délibérément porté, en toute connaissance de cause, vers l’agent de police de faction, qui était une femme. Elle ne savait pas que c’était moi le Angelo Houssou au sujet duquel on a donné des consignes fermes d’arrestation. Ce n’est donc pas une tentative de fuite, c’est une première sortie forcée.

Afrika 7 : On vous reproche d’avoir quitté le pays, à la veille de la décision de la Cour d’appel de Paris, qui devait se prononcer sur la demande d’extradition de Patrice Talon vers le Bénin. Le juge que vous êtes peut comprendre que cette fuite ait pu influencer la décision de vos confrères parisiens. Avez-vous délibérément fui le Bénin, pour faciliter la décision des juges français ?
Mon départ du pays a été forcé, en ce sens que j’avais marre du traitement auquel le gouvernement m’a soumis depuis le 17 mai 2013.
Les informations qui me parviennent régulièrement des proches du gouvernement n’étaient pas toujours bonnes.
Depuis les réquisitoires défavorables du procureur général à Paris, le 23 octobre 2013, ces informations relatives aux actes attentatoires à ma vie ont pris de l’ampleur. Je n’ai pas manqué d’informer l’Unamab – le syndicat des magistrats, NDLR – de mes réelles inquiétudes quant à la sécurité de ma vie. C’est d’ailleurs pour cela que dans la motion de grève du mardi 3 décembre 2013, la question de ma sécurité a été inscrite au premier plan. Le coup fatal qui était en préparation contre ma personne, en cas de rejet de la demande d’extradition de Patrice Talon, m’a été révélé par des agents de renseignements ulcérés par l’acharnement systématique contre ma personne.
Les voitures aux vitres teintées qui me suivaient discrètement, partout depuis le début du mois de novembre et à bord desquelles se trouvaient des inconnus, me permettent de dire qu’il ne s’agissait pas de simples rumeurs.
Dans ces conditions, avais-je besoin d’attendre la décision du 4 décembre 2013, dont l’issue défavorable par rapport à l’extradition était déjà connue de toute personne raisonnable, pour prendre la poudre d’escampette ?
Quand la maison brûle, on n’attend pas le juge avant d’envoyer les sapeurs-pompiers.
Maintenant, que les gens établissent un lien entre mon départ forcé et l’issue défavorable de cette audience, libre à eux. C’est infantiliser les juges de la cour d’appel de Paris que de vouloir établir un quelconque rapport entre leur arrêt de rejet de la demande d’extradition et le 29 novembre, date à laquelle j’ai précipitamment et clandestinement quitté le Bénin.
Au demeurant, il ne s’agit pas d’une date choisie, mais d’une date imposée, au regard des informations alarmantes en ma possession, au regard de la sécurité de ma personne et de ma famille.

Afrika 7 : Parlez-nous maintenant des conditions de votre départ du Bénin. Comment cela s’est-il organisé ?
Pour des raisons de convenance personnelle, je ne voudrais pas relater ces conditions. Cependant, je puis vous dire tout simplement que ce vendredi 29 novembre 2013, j’ai laissé ma voiture à mon domicile, pour faire croire aux agents commis à ma filature, qui sont positionnés en face de ma rue, que j’étais bien à la maison. Après avoir changé de voiture à trois reprises, je me suis retrouvé dans le Mono. D’abord, par la brousse, puis en pirogue, je me suis retrouvé à Lomé, puis Accra, où j’ai passé la nuit. Le lendemain, samedi, autour de 23 heures, j’ai pris le vol Delta Airways, pour me rendre à New York.

Afrika 7 : N’aviez-vous pas peur d’être rattrapé à tout moment par les forces de l’ordre du Bénin ?
Pourquoi la police béninoise viendrait-elle me rattraper aux Etats-Unis ? En vertu de quoi ? Etais-je recherché au Bénin ou suis-je sous le coup d’un mandat d’arrêt international ? Et dans le cadre de quelle procédure judiciaire ? Ici aux Etats-Unis, les gens sont plus sérieux. La police béninoise ferait mieux de s’occuper véritablement de la sécurité de ses populations.

Afrika 7 : Que vous reprochent exactement les autorités béninoises ?

C’est aux autorités béninoises qu’il faut poser cette question. Je sais au moins que le chef de l’Etat ne supporte pas d’avoir perdu dans une affaire dans laquelle il prétend être victime, alors même qu’il est en fonction.

Quand vous dites qu’il prétend être victime, pensez-vous donc qu’il ne l’est pas ?

Il faut tirer toutes les conséquences juridiques de la décision de non-lieu. Quand une procédure d’instruction se solde par un non-lieu, c’est que la victime n’a pas gain de cause. Elle prétend être victime, mais c’est à l’occasion de l’instruction qu’on peut savoir si la victime a subi effectivement un préjudice. C’est donc un non-lieu, dans le cas présent. C’est ce qui lui fait mal ; il considère cela comme une humiliation. Or la règle de droit est la même pour tout le monde, y compris le chef de l’Etat. Et la seule manière légale de contester un juge dans ses décisions, c’est de relever appel.
Appel a été relevé depuis le 1er juillet 2013, la cour d’appel a confirmé ces ordonnances. De sorte qu’aujourd’hui, devant la Cour Suprême, ce ne sont plus mes ordonnances qui sont querellées. Ce sont plutôt les arrêts de la chambre d’accusation qui font l’objet d’une étude en cassation, auprès de la Cour Suprême. Je me demande donc pourquoi, en définitive, il y a tant d’agitation au sujet d’une affaire qui reste et demeure un non-lieu.

Afrika 7 : Au Bénin, la presse a relayé des rumeurs faisant état de ce que vous auriez déjeuné avec le chef de l’Etat, peu avant de rendre votre décision. Confirmez-vous cette information ?

C’est la première fois que j’entends parler de ça. Cela n’engage que ceux qui le disent. Vous savez, moi je suis un magistrat. Ce n’est pas bien qu’on parle ainsi d’un magistrat. Que ceux qui le disent apportent les preuves de leurs allégations. Moi je suis un juge indépendant, je ne suis pas le procureur. Ce sont les procureurs qui sont tout le temps avec le ministre de la Justice. Il parait que le chef de l’Etat appelle directement les procureurs. Mais moi je suis un juge indépendant. Alors, que ceux qui le disent en apportent la preuve.

Afrika 7 : On vous accuse également d’avoir été acheté par Patrice Talon…

Demandez à M. Patrice Talon s’il me connait. Et puis, cela n’engage que ceux qui le disent et ceux qui y croient. Une affirmation telle que celle-là mérite d’être prouvée. Je crois que le gouvernement a les moyens d’investigation, les moyens de savoir si oui ou non j’ai été acheté par la partie gagnante. C’est un peu comme si on disait que même les juges de la cour d’appel, ainsi que les juges français, ont été achetés. Je crois que c’est suffisamment sérieux pour qu’on cesse d’infantiliser les gens et qu’on tire toutes les conséquences. C’est une affaire qui, comme je vous l’ai dit, devait en rester à un non-lieu.

Afrika 7 : M. le juge, beaucoup se sont inquiétés pour la vie de vos proches. Comment se porte votre famille aujourd’hui ?

Je ne sais comment se porte ma famille. Je prends tout le peuple béninois à témoin quant à sa sécurité et je rends le gouvernement responsable de tout ce qui pourrait arriver aux miens de fâcheux.

Afrika 7 : Depuis le début de cette affaire, avez-vous parlé avec M. Patrice Talon ?

Demandez donc à M. Patrice Talon s’il me connait.

Afrika 7 : J’imagine que la réponse est non.

Posez-lui la question de savoir s’il me connait, en dehors des photos sur l’Internet.

Afrika 7 : Mais puisque nous vous avons en face, vous… Connaissez-vous, oui ou non, M. Talon ?

La réponse est négative. Vous la sentez dans ce que je vous dis.
Demandez à Partrice Talon s’il me connait. Je demande à ceux qui disent que je suis en contact avec M. Talon d’aller dans les détails pour dire à quelle époque, de quelle manière nous nous sommes connus. Il s’agit d’affirmations gratuites ; on devrait dire la même chose des juges de la cour d’appel qui ont confirmé l’arrêt. On devrait en dire autant des juges français.
Vous savez que même ici aux Etats-Unis, le gouvernement béninois a prétendu que Patrice Talon m’a pris des avocats, de brillants avocats, pour défendre ma cause et que ces derniers travaillaient pour ma libération, alors que j’ai subi mon interview au centre de détention d’Elizabeth Center, sans la présence d’un avocat. J’ai subi seul mon interview. Jusqu’à présent, je n’ai pas reçu la visite d’un seul avocat. Vous comprenez que ce qui se dit ne correspond donc pas à la vérité.

Afrika 7 : En ce qui concerne votre visa d’entrée aux Etats-Unis, qui vous avait été délivré par l’ambassade américaine à Cotonou, puis annulé, vous a-t-on signifié les raisons de cette annulation ?

La raison de l’annulation de mon visa ne m’a été notifiée, ni dans la correspondance non-signée du 20 mai 2013 qui m’a été adressée par l’ambassade des Etats-Unis à Cotonou, ni à l’aéroport JFK de New York. J’en conclus donc qu’elle n’existe pas, puisque les motifs d’annulation d’un visa américain sont clairement connus. Je dis en définitive qu’il s’agit d’une annulation fantaisiste.

Afrika 7 : Revenons à présent sur vos ordonnances du 17 mai 2013, qui ont fait l’effet d’un coup de tonnerre. Aviez-vous conscience de la gravité de l’acte que vous avez posé ?

Il ne s’agit pas d’un acte grave. Prendre une décision de justice est un acte ordinaire de ma fonction de juge. Et c’est ce que j’ai fait ce 17 mai 2013. Les gens lui donnent un caractère grave parce que les décisions sont contraires à la volonté d’un chef d’Etat dont le souci doit être de respecter la magistrature.

Afrika 7 : Vous auriez fait l’objet de menaces de mort, après la publication de vos ordonnances. De la part de qui venaient ces menaces ?

J’ai fait l’objet de menaces de mort de la part du chef de l’Etat et de ses valets. Mais il ne s’agit pas de menaces ouvertes. C’est dans les états-majors fermés du palais de la République que la question est sérieusement discutée. Le problème qu’ils ont, c’est comment trouver un caractère déguisé à mon assassinat. C’est cela qui leur a posé problème. Je suis au parfum de tout ceci. Quand on a l’information, il faut anticiper. C’est ainsi que j’ai devancé mes détracteurs, en prenant la fuite. La tentative d’assassinat du mari de ma tante, Martin Assogba, le lundi 9 décembre 2013, ne vient que corroborer une petite partie de tout ce qui se tramait sur ma personne.

Lire l’intégralité de cette interview dans l’e-book d’Afrika7 consacré à l’affaire : Cliquez sur le lien ou copiez-le et collez-le dans votre barre de tâche

http://orishacom.com/multimedia/pdf/ebook_a72013.pdf

26/12/2013