Du 28 au 30 septembre dernier s’est tenue à Dahè dans la commune de Houéyogbé au Bénin sous l’égide de sa majesté HOUDEGBE, une conférence internationale des têtes couronnées d’Afrique. Initiée par l’Ong ESPERANZA-CADE, cette conférence a accouché de la création du Conseil Panafricain des Autorités Traditionnelles et Coutumières pour la promotion du dialogue interculturel, la paix et le développement. Dans un entretien, Mme Espérance Ezeu, Secrétaire exécutive de l’Association ESPERANZA-CADE, une association civile de droit camerounais, nous parle de la genèse de l’initiative, son objectif et du choix porté sur sa majesté Dada Awiyan Houdégbé de Dahè pour conduire le Conseil.
Les 4 Vérités : Mme la Secrétaire exécutive de l’Association ESPERANZA-CADE, du 28 au 30 septembre dernier sur le couvert de votre Ong s’est tenue à Dahè une Conférence internationale des têtes couronnées d’Afrique pour la création du Conseil Panafricain des Autorités Traditionnelles et Coutumières, le CPATC. Parlez nous de la genèse de l’initiative.
Mme Espérance Ezeu : La genèse de l’initiative part d’abord du Cameroun. On se rend compte qu’au Cameroun on a plus de 250 ethnies avec beaucoup de rois et des problèmes de tribalisme et autres. On s’est mis dans l’association pour essayer de briser les barrières et langues. On a commencé à travailler sur le plan national sur des rencontres d’échanges entre les majestés qui n’ont pas les mêmes cultures parce qu’on s’est rendu compte que cette divergence de culture crée des conflits même mortels. Nous sommes dans le même pays mais on se plaise à dire que celui là est musulman, l’autre nordiste, l’autre Bamiléké et l’autre Béti. Dès lors, on a commencé à travailler en synergie sur le plan national avec des rois du pays. Après on a fait une activité à Libreville où on a ouvert la porte à d’autre rois qui étaient venus. On s’est rendu compte que le problème que nous rencontrons au Cameroun se pose aussi dans d’autres pays d’Afrique. Il se pose donc un problème d’intégration. Ayant assisté à la conférence de 2003 organisée par l’Unesco sur le dialogue inter culturel au service de la paix, on a décidé de faire de cette situation notre cheval de bataille en travaillant pour rassembler les rois de différents pays, briser les barrières de cultures et travailler pour la synergie afin que le problème de paix, de sécurité et de développement soit aussi l’affaire des rois. Ceci parce que les rois, ce sont ceux qui ont les peuples à la base. Voilà un peu la genèse de l’initiative.
Dites-nous, quand est-ce que votre initiative a-t-elle commencé ?
Cela fait quatre ans qu’on a commencé à travailler. La conférence de Dahè est le troisième pas du projet. On a fait un séminaire à Bafoussam au Cameroun du 24 au 26 juin 2014 à l’initiative de l’Association Esperanza-CADE après on est allé à Yaoundé. Il fallait quelqu’un pour recevoir cette troisième rencontre. Le roi de Dahè a alors accepté de porter l’initiative parce qu’on n’a pas de financement. Le roi de Dahè a accepté porter toute la partie financière de l’organisation. On essaie de fédérer le maximum de personnes. L’étape de Dahè est une étape de sensibilisation pour qu’on ouvre les portes et sensibiliser le maximum qui puissent nous retrouver dans la dynamique.
Qu’est-ce qu’on peut retenir des assises de Dahè ?
Quand on partait du Cameroun, il était question de donner une forme juridique à cette association parce qu’après la Conférence du Cameroun, les partenaires qui étaient prêts à nous accompagner financièrement ont signifié que les rois d’Afrique n’ont pas un statut juridique ni de règlement intérieur. Donc on a travaillé pour les propositions de statuts. Donc l’étape de Dahè était que les rois adoptent ce statut en ajoutant les choses qui les intéressent ou en soustrayant ce qui ne cadre pas avec leur vision. Les professeurs qui ont animé les débats ont essayé de recentrer les choses, de dire aux majestés quelle est leur place dans la société. On a mené les débats et à la sortie de cette étape, ils ont adopté les statuts. C’était un gros travail mais à la fin on a adopté les statuts et il y a eu une déclaration finale. La prochaine étape sera de faire adopter le règlement intérieur. Ça serait à Libreville.
Après les travaux, les têtes couronnées présentes à cette conférence ont porté leur choix sur le roi de Dahè pour conduire le Conseil. Selon vous qu’est ce qui motive ce choix ?
Le roi de Dahè était venu au Cameroun comme simple participant. On l’avait invité comme participant et il devrait donner une communication en tant que roi et professeur. Et on voulait que les majestés qui sont avec eux se rendent compte que seul leur titre de majesté ne suffit pas. On peut travailler pour avoir un autre cachet. Donc le roi de Dahè était invité comme roi mais comme orateur. J’ai l’impression que pour avoir été orateur, il a séduit ses pairs. Après ça la réunion qui a été fait à Yaoundé, nous n’étions pas là en tant qu’association. On a décidé que les rois se concertent eux mêmes pour désigner leur interlocuteur qui puissent conduire les prochaines étapes. Donc ce sont les rois. Il y avait le Congo Brazzaville, le Congo Kinshassa, le Cameroun, la Centrafrique, le Bénin. Il y avait six pays. Les rois de ces six pays ont décidé unanimement de porter leur choix sur le roi de Dahè pour qu’il puisse être leur interlocuteur auprès de nous. Nous, nous n’étions pas là. Ce sont eux mêmes, les rois qui savent pourquoi ils ont choisi le roi de Dahè. Je pense qu’ils ne regrettent pas. L’étape de Dahè a confirmé cette position qu’on lui avait donnée et c’est lui qui va encore conduire l’assemblée générale. Pour dire vrai c’était la personne qu’il fallait à cet instant. Vous savez c’est difficile de manager les rois .Il faut quelqu’un qui puisse avoir la poigne de dire stop, ça suffit ou de conduire la troupe. On a trouvé en lui un leader, ce papa. Nous en tant qu’association nous sommes ces enfants, il fallait quelqu’un pour nous porter. Il a accepté nous porter sur son dos et de porter la voix des majestés un peu plus haut. Donc jusque là, nous sommes satisfaits au delà de nos attentes. On ne s’attendait pas que ça soit aussi grandiose l’accueil. Ce que j’ai vu à Dahè quand je suis venue avec les rois montre qu’il a transformé la localité pour nous recevoir. Tous les rois sont partis avec le sentiment d’avoir vu en cette majesté, ce leader, la personne qu’ils attendaient depuis longtemps.
Depuis la colonisation, les rois ont perdu la main au sujet de la gestion des affaires de la cité. Peut-on dire désormais qu’à travers cette initiative ils auront désormais leurs mots à dire ?
C’est ça même la mission fondamentale que nous avons en mettant sur pied ce projet. Dans l’Association, il y a plusieurs combats que nous menons. Au Cameroun par exemple on considère le roi comme un auxiliaire de d’administration. On est souvent surpris qu’à une cérémonie officielle, les rois soient les derniers sur la liste. Ce qui n’est pas normal. On est en train de se battre pour que les rois reprennent leur autorité. Qu’on revienne à notre culture en tant qu’africain. On est en train de copier le modèle des blancs, le modèle du colonisateur. Allez en Angleterre et voyez comment la reine malgré la démocratie est vénérée, comment elle est respectée. Nous, on se bat pour ça. Ensemble on est plus fort. Lorsque les rois se mettront ensemble pour porter un peu plus haut leur voix, je crois qu’on va changer des choses. Il faudrait qu’on change le statut des rois. Que leurs enfants qui sont à la place des chefs d’Etat, des gouverneurs, préfets se rendent compte qu’ils doivent travailler pour faire restaurer cette autorité parce qu’on ne peut pas faire le développement en marge de notre culture. Ce n’est pas possible.
Le roi Houdégbé à la cérémonie de clôture de la conférence de Dahè a lancé un appel aux autorités béninoises et africaines sur ce sujet préoccupant qu’est la prolifération des royautés. Votre appréciation sur la question.
A ce niveau, il faut savoir que le phénomène est partout. Même au Cameroun, c’est le même combat que nous menons. C’est à nous mêmes africains de nous battre pour rester sur le fondement de notre société. On ne devient pas roi, on ne s’autoproclame pas roi. C’est le minimum qu’on devrait savoir. On ne peut pas servir dans la société en n’étant que roi. Le roi n’est pas roi lorsqu’il est seul. Il y a la cour, les princes, les princesses, les reines. Donc il faudrait que nous mêmes en tant qu’africains, nous ne diluons pas notre culture. Parce que si on se met à le diluer, dans cinquante ans, on ne parlera plus de cette histoire. Tout le monde sera roi, reine et ça n’aura plus son pesant d’or. Donc nous, on s’engage avec les rois pour ce combat à travers des sensibilisations. Le plus dur, c’est qu’il faut que les gens comprennent le pourquoi. Ce n’est pas seulement parce qu’on est roi qu’on a droit à une autorité ou des privilèges. Là où vous êtes vous participez à l’avancement du royaume sans être roi. Chacun à son niveau doit jouer sa partition pour que la symphonie soit belle. Regardez un chef d’Etat. Il est fait avec tout un gouvernement. Lorsqu’il échoue, ce n’est pas lui seul qui échoue. Ce sont les ministres et tout avec. Chacun à sa place doit jouer sa partition. Si chacun se bat pour être président, ça fait un bordel et après on ne se retrouve plus dedans.
Votre appel à l’endroit des dirigeants africains à divers niveaux…
D’abord, on est content que le gouvernement ait envoyé le ministre en charge des relations avec les institutions lors de la cérémonie de clôture. C’est un message fort. Ça veut dire que ce qu’on fait est bien perçu. Au départ les chefs d’Etats avaient l’impression que les chefs traditionnels étaient leurs concurrents alors que ce n’est pas la même chose. C’est des couloirs différents. On voudrait que ce dialogue déjà entre les rois grandisse. Entre les rois et leurs dirigeants, que le débat s’ouvre pour que chacun se rend compte de la place de l’autre et accepte l’autre tel qu’il est pour qu’on avance. Regardez la Chine, regardez l’Inde, ils ont fait ce pas parce qu’ils sont restés attachés à leur culture. Si ce sont nos dirigeants eux-mêmes qui déstabilisent et fragilisent notre culture, d’ici cinquante ans, l’Afrique n’aura pas à avancer, on n’aura pas à émerger.
Je remercie tout ceux qui sont venus nous accompagner et nous prions que la presse soit toujours là parce que notre action ne sera forte que lorsqu’elle sera relayée et le maximum de personne sera au courant de ce que nous faisons. Nous vous remercions et nous souhaitons que chaque fois quand on aura des actions à faire, vous nous accompagniez dans le processus. Je vous remercie.