Lorsqu’il a été élu il y a à peine plus d’un an, le président Bola Tinubu a lancé des réformes économiques essentielles mais brutales pour les Nigérians les plus pauvres. Notamment la dévaluation du naira et la suppression d’une partie des subventions sur l’essence. Ces derniers mois, la devise nationale s’est effondrée face au dollar et l’inflation a explosé. Philip Anegbe, vice-président de Cardinal Stone, un cabinet de conseil basé à Lagos, revient sur les mécanismes de cette crise
RFI : Quelles sont les causes de cette inflation importante au Nigeria ?
Philip Anegbe : L’inflation à laquelle nous faisons face depuis six à huit mois est incomparable par rapport à tout ce que nous avons connu jusque-là. C’est une des conséquences des réformes du président Bola Tinubu, au moins sur le court terme. La levée partielle des subventions sur l’essence, les efforts pour déréguler le taux de change, tout ça a fait augmenter les coûts et ça a un impact sur les prix. Et puis, il y a toujours le problème de l’insécurité dans les régions agricoles, qui cause de l’insécurité alimentaire. Beaucoup d’agriculteurs ont été déplacés au cours des dernières années. Donc il n’y a plus assez de nourriture qui entre sur le marché, et cela se traduit aussi par une hausse des prix.
Pour les autorités, la contrebande aux frontières est aussi un facteur d’inflation. Aujourd’hui, le naira est très instable, plus que le franc CFA qui est utilisé dans les pays voisins. Qu’est-ce que ça signifie ?
Avec la dépréciation du naira face au franc CFA, il est devenu plus intéressant d’exporter depuis le Nigeria vers les pays voisins. Par la voie légale ou simplement en faisant sortir discrètement la production nigériane pour la vendre à l’étranger. Mais cela peut provoquer des pénuries dans notre propre pays. C’était pour lutter contre la contrebande que le Nigeria avait fermé ses frontières terrestres en 2019.
Par contre, si nous parvenons à renforcer nos réserves de change, cela permettra de réduire les charges pour les entreprises, de faire baisser le prix de la nourriture, et donc ça réduira forcément la contrebande vers les pays voisins.
Sauf que les réformes engagées n’ont pas encore porté leurs fruits et les plus pauvres souffrent. Combien de temps cette crise peut-elle durer ?
Il y a dix jours, un dollar s’échangeait contre quasi 2 000 nairas. Mais c’est fini, le taux s’est stabilisé autour de 1 500. Donc ça, c’est quand même un signe qu’il y a quelques progrès. C’est très clair, qu’il y a une intervention des autorités.
Mais personne n’a dit que ce serait facile. Si vous voulez vraiment faire avancer l’économie, alors il faut s’attendre à essuyer des balles perdues. Les réformes, ça peut être dur. Il faudrait des filets sociaux, et le gouvernement nigérian cherche par exemple à revaloriser le salaire minimum. On espère aussi que le secteur privé suivra l’exemple.