(« Le Bénin n’a pas d’or, mais il peut se prévaloir d’une grande richesse culturelle », dit-il)
Dans une interview au « Monde Afrique » réalisée par son envoyée spéciale à Cotonou, Morgane Le Cam, le ministre béninois de la culture Jean-Michel Abimbola explique les enjeux pour son pays de la restitution par la France de 26 œuvres béninoises. Lire l’interview.
C’est un dossier aussi épineux qu’historique. La restitution de 26 œuvres béninoises annoncée par Emmanuel Macron fin 2018 interviendra enfin « au troisième ou quatrième trimestre 2021 », selon Jean-Michel Abimbola, le ministre du tourisme, de la culture et des arts du Bénin. Les statues, trônes et autres symboles de la royauté du Dahomey, pillés en 1892 par l’armée coloniale française, seront exposés dans deux musées, en rénovation et en construction pour l’occasion, à Ouidah et Abomey.
Dans une interview accordée au Monde Afrique le 22 octobre, Jean-Michel Abimbola revient sur les discussions avec la France qui ont abouti à ces restitutions. Un retour qui « amorce une pompe », estime le ministre, et enclenchera peut-être de nouveaux échanges patrimoniaux.
Comment percevez-vous cette restitution et la sélection par la France de ces 26 œuvres ?
Le Bénin s’en réjouit, mais ne s’en satisfait pas. Les pièces bientôt restituées avaient été récupérées par le général français Alfred Dodds, qui en a ensuite fait donation à la France. Ce choix a donc sa cohérence. Mais les 26 œuvres ne constituent évidemment pas la totalité de ce que le gouvernement et le peuple du Bénin souhaitent. Elles amorcent une pompe. Nous avons exprimé à la partie française notre souhait d’avoir d’autres pièces, comme des objets liés aux amazones ou la statue du dieu Gou, le dieu de la guerre. La France n’a pas refusé…
Avez-vous eu accès à un inventaire de l’ensemble des œuvres béninoises détenues dans les collections publiques françaises, comme le préconisait le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en 2018 ?
Nous avons pu identifier un certain nombre d’œuvres importantes, mais il en existe d’autres qui n’ont pas fait l’objet d’un catalogue. Au moment où ces biens ont été pris, nous n’avions pas un Etat organisé et structuré, mais plusieurs royaumes. Il nous faudrait un accès aux archives françaises pour pouvoir lister ce qui se trouve, selon nous, dans les musées publics en France. Cette question a fait l’objet de plusieurs échanges avec la partie française. L’accord de principe a été obtenu.
Quelle est l’importance culturelle de ces œuvres pour le Bénin ?
La symbolique du retour est importante pour les jeunesses béninoise et africaine. Cela leur permet de se réapproprier leur culture, leur histoire. Tous les Béninois et les Africains ne peuvent pas s’offrir un billet d’avion vers Paris pour pouvoir observer ces œuvres. Nous sommes heureux que le président Macron ait saisi l’importance de ce souhait du Bénin de voir revenir ces œuvres, même si pour l’instant il est obligé d’être très prudent et de ne pas prendre à rebrousse-poil son opinion publique.
En France, les débats se sont multipliés ces derniers mois, remettant en doute la capacité des Etats africains à conserver leur patrimoine dans de bonnes conditions. Qu’en avez-vous pensé ?
Ceux qui se prononcent sur ce dossier devraient s’informer un peu et ne pas rester dans la caricature d’une Afrique non professionnelle, non rigoureuse. Le Bénin met un point d’honneur à élever le niveau technique des infrastructures aux normes internationales et à assurer la formation des ressources humaines pour la prise en charge de ces œuvres. Avec la Banque mondiale à Ouidah et l’Agence française de développement (AFD) à Abomey, nous sommes en train de construire deux musées de niveau international dans le cadre de la coopération muséale mise en place avec la France. Cela va nous permettre de restructurer notre économie culturelle.
Pour le Bénin, l’importance de cette restitution est donc aussi économique…
Absolument. C’est le soubassement même de la demande béninoise, formulée dès 2016 par le président Patrice Talon à son homologue français. Notre pays veut fonder son développement sur le tourisme et la culture. A certains égards, notre pays peut être comparé à la France : nous n’avons ni pétrole ni or, mais nous pouvons nous prévaloir de notre grande richesse culturelle. Nous avons besoin de ces œuvres, comme intrants, pour construire une économie créatrice d’emplois et de richesses qui nourrisse la jeunesse béninoise. La partie française est en phase avec nous. Nous travaillons fermement ensemble sur les restitutions et surtout sur la circulation des œuvres sous forme de prêts, d’expositions, de copies.
Faire circuler plutôt que restituer : est-ce aussi un moyen de lever les obstacles soulevés par le caractère inaliénable des œuvres africaines détenues dans les collections publiques françaises ?
C’est une affaire délicate. Seule une loi peut changer cela en France. C’est ce qui a été fait pour permettre le retour de ces 26 œuvres, avec une loi ciblée. Nous avons dit à la partie française qu’il aurait fallu un texte de portée générale, mais elle a estimé que des lois ciblées pourraient être plus appropriées. Cela étant, cela crée un précédent. Jusqu’à présent, ça ne s’était jamais fait. C’était tabou. Nous sommes heureux que cette coopération ait permis d’arriver à ce résultat.
Avec S.E.