L’Inde pensait avoir surmonté le pire de la pandémie, lorsqu’une deuxième vague s’est abattue sur le pays. Les hôpitaux manquent de tout. Or, le Premier ministre Narendra Modi n’a qu’une priorité en tête, celle de gagner les élections, estime Jean-Joseph Boillot, économiste et spécialiste de l’Inde qui vient de publier « Utopies made in Monde, le Sage et l’économiste », aux Éditions Odile Jacob. Le chercheur globe-trotteur dénonce une gabegie. Entretien.
RFI : Le système hospitalier indien est au bord de l’effondrement. Manque de lits, de médicaments et un marché noir florissant pour l’oxygène. Le désespoir, mais aussi la colère des Indiens embrasent les réseaux sociaux. Est-ce que cette catastrophe sanitaire illustre, selon l’un de vos tweets, « un régime hindouiste à la dérive » ?
Jean-Joseph Boillot : À la dérive, je ne sais pas. Mais en tout cas, il est effectivement étonnant que l’on continue de reprendre des chiffres officiels, dont on sait qu’il faut les multiplier par 30 pour le nombre de cas, c’est-à-dire que plusieurs millions d’Indiens, chaque jour, sont atteints par cette nouvelle vague. Oui, il y a gabegie. Depuis le retour « à la normale », Narendra Modi ne pense qu’à une chose : les élections, les élections, les élections. Donc, il n’y a eu aucune préparation. Même en termes de vaccination, je suis très surpris de constater qu’en gros, moins de 5% de la population indienne a reçu les deux doses. Pour quelqu’un qui, depuis juin dernier, a joué de la diplomatie du vaccin, c’est assez révoltant aux yeux des Indiens. Beaucoup de mes amis meurent. Il y a une panique, il y a une catastrophe dont la responsabilité première, tout comme au Brésil avec Jair Bolsonaro, est liée, en Inde, à Narendra Modi et aux nationalistes fondamentalistes hindous.
Le Bengale occidental est durement frappé par le Covid-19. Or, le Premier ministre Narendra Modi s’entête à y organiser des rassemblements électoraux monstres pour y remporter la victoire, cruciale pour son parti, le BJP. Ne prend-il pas le risque que cette négligence se retourne contre lui et qu’il en sortira affaibli et décrédibilisé ?
Ce n’est pas parce que vous avez, sur les réseaux sociaux, un phénomène de révolte et d’indignation que vous avez nécessairement une sanction sur le plan électoral. Il faut deux conditions pour cela. La première est qu’il y ait une alternative, une relève. Or, la victoire probable du parti hindouiste BJP au Bengale occidental s’explique, historiquement pour la première fois, par la division des partis de l’opposition. Ceci est aussi vrai à l’échelle de l’ensemble de l’Inde : il n’y a pas véritablement de relève et de capacité d’union des partis d’opposition.
Vous ne vous attendez donc à aucune sanction dans les urnes ?
Ça pourrait marcher, cette idée de sanction dans les urnes, s’il y avait véritablement une énergie, une force notamment chez la jeunesse indienne. Or, vous y avez plutôt un phénomène de désespérance. On constate finalement un autre phénomène, connu dans les prises de pouvoir par des régimes néofascistes, c’est-à-dire que vous avez un leader charismatique qui fait croire qu’il va vous sauver du naufrage. Je crains, hélas, qu’avec Narendra Modi on soit dans cette configuration.
L’Inde se vantait d’être « l’usine du monde » pour les vaccins, alors même qu’aujourd’hui, des centres indiens de vaccination ferment pour cause de pénurie. N’est-ce pas une énorme perte de face pour ce pays qui se présente pourtant comme une grande puissance régionale moderne ?
Une perte de face, je ne sais pas. Mais vous allez avoir, bien sûr, une vision plus réaliste de ce qu’a été ce discours sur la « diplomatie des vaccins », et de la capacité de l’Inde de faire face à la Chine.
Justement, la Chine, compte-t-elle tirer profit de l’échec indien ?
C’est, pour Pékin, probablement le renforcement de sa crédibilité.
La Chine livre des vaccins à tous les pays en développement. Le virus y est immédiatement contrôlé, testé, isolé. Il n’y a donc pas de reprise de l’épidémie en Chine. Donc voilà, cela montre tout simplement ce que je dis depuis des années, que l’Inde est un grand pays du point de vue démographique, mais qu’elle reste une puissance secondaire. Tant mieux, car si l’Inde était une superpuissance, alors cela pourrait présenter des dangers, et la montée des fondamentalistes néofascistes hindous me confortent dans cette idée-là. Donc, prenons l’Inde telle qu’elle est, telle qu’elle se présente.
Avec RFI