Laurent Metognon se prononce sur l’affaire Dangnivo dont le procès s’ouvre mardi 11 mars 2025 au tribunal de Cotonou: » Seuls les ravisseurs savent ce qui s’est réellement passé », a déclaré le syndicaliste à Bip radio.
Le procès dans l’affaire Dagnivo est programmé du 11 au 14 mars 2025. Ce sera lors d’une session criminelle du tribunal de première instance de Cotonou. Le 17 aout 2010, le syndicaliste du ministère des Finances Pierre Urbain Dagnivo a disparu et n’a pas été retrouvé jusqu’aujourd’hui. Laurent Metognon, ancien leader syndical et témoin de l’affaire, revient sur les incohérences des enquêtes, les doutes autour des résultats ADN, et les espoirs toujours vifs de la famille. Il répond aux questions de Bip radio.
Bip radio : Bonjour Monsieur Laurent Metognon. Vous faites partie des voix que l’on a beaucoup entendues lorsque l’affaire Dangnivo a éclaté. Que savez-vous de ce dossier ?
Laurent Metognon: Ce cadre, ce 17 août 2010, est sorti du bureau comme tout travailleur à la fin de services, est passé voir son épouse, Kakpo Anne, à la cité Houeyihô, et n’est plus jamais réapparu, quinze ans après. Nous avons alerté l’opinion publique de cette disparition et nous avions demandé à l’époque que la puissance publique nous aide à faire les recherches de ce camarade. Jusque-là, nous sommes dans l’attente, et je pense que le procès qui s’ouvre nous donnera plus de précisions.
Mais il y a eu des investigations. Qu’avez-vous appris depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui ?
Depuis ce temps, on nous a présenté un certain féticheur du nom d’Alofa, qui serait l’assassin de Pierre Urbain Dangnivo.
Lors du premier procès, qui s’était ouvert de façon tonitruante, des baffles avaient été placés du palais jusque sur la voie, permettant à tout le monde d’écouter ce procès en direct. Plus tard, un autre procès a eu lieu, où Alofa s’est rebiffé et a affirmé qu’il n’était pas le meurtrier de Dangnivo. Jusqu’à présent, c’est ce qu’il dit.
Je sais qu’il y a eu des tests d’ADN lors des premières recherches. Mais c’est là que je parle de disparition mystérieuse. Le procès en lui-même sera mystérieux, car parmi les premiers enquêteurs, certains sont déjà morts.
Peut-être ont-ils laissé des rapports qui consignent ce qu’ils ont vu ?
Oui, ils ont laissé des rapports, mais s’ils étaient encore en vie, on pourrait leur poser des questions pour mieux comprendre ces rapports. L’un des valeureux avocats qui nous a beaucoup accompagnés dans ce dossier, Maître SAMBAO, est lui aussi décédé. Paix à son âme !
Monsieur Metognon, qui était Pierre Urbain Dangnivo ?
Pierre Urbain Dangnivo était un administrateur des banques. Il faisait partie de la première promotion de l’INE et était devenu un cadre émérite au ministère des Finances. Il s’occupait notamment de projets liés à la douane, etc. C’était un homme calme.
J’ai encore en mémoire l’image de lui montant les escaliers chaque matin. Mon bureau faisait face aux escaliers, et il s’arrêtait toujours pour me saluer : « Bonjour fofo ! » avant de monter au quatrième étage. C’était un homme sans histoire. C´est pourquoi sa disparition a surpris de nombreux travailleurs, qui ont pesé de tout leur poids pour qu’il y ait des recherches approfondies. Mais cette affaire a connu beaucoup de contradictions dans les faits qui nous ont été révélés.
Lesquelles ?
D’abord, un point très important : Alofa, trois jours avant la disparition de Dangnivo, était déjà détenu au commissariat de Godomey pour vol d’engins. Il s’est évadé de ce commissariat, avant d’être retrouvé là où l’on a procédé à l’exhumation, à Womè, dans une cabane considérée comme sa maison. À quelques mètres de cette cabane, on a exhumé un corps en état de putréfaction avancée.
Vous avez vu le corps ?
Oui, moi, j’ai vu le corps.
Vous avez pu l’identifier ?
Non, c’était impossible. Le corps que j’ai vu était déjà en putréfaction très avancée. Or, Dangnivo avait disparu le 17 août, et moins d’un mois plus tard, on exhumait un corps en état de décomposition avancée. Il y avait de quoi se poser des questions. D’autant plus que la famille, présente lors de l’exhumation, a affirmé que ce n’était pas leur frère.
Pensez-vous qu’on pourrait encore le retrouver vivant après 15 ans ?
Le procès de demain nous le dira. Le test ADN réalisé par le pouvoir a été contesté par la famille, qui a décidé d’en faire un autre par elle-même. Je ne sais pas si elle a déjà obtenu les résultats. C’est peut-être, l’une des raisons qui motivent l’ouverture de ce procès. Mais une chose est sûre : seuls les ravisseurs savent ce qui s’est réellement passé le 17 août.
Il y a forcément eu des individus qui l’ont intercepté après qu’il a quitté sa femme à Houeyihô. Ils l’ont suivi jusqu’à un certain point et l’ont enlevé, car il a disparu avec toute sa voiture. Or, à ce jour, sa voiture n’a toujours pas été retrouvée.
Que faisait-il exactement au ministère des Finances ? Est-ce qu’il savait des choses qui auraient pu motiver son enlèvement ? Était-il un syndicaliste comme vous ?
Non, il n’était pas syndicaliste, mais il était membre du syndicat. Dangnivo faisait partie de l’UN ( Ndlr: Union fait la Nation, parti politique d’opposition). Est-ce qu’il en savait de trop ? Je ne peux pas l’affirmer. Moi, je suis membre du Parti Communiste, et lui appartenait à l’UN. À l’époque, nos points de vue étaient différents. Ce sont les commanditaires ou les ravisseurs qui détiennent les vraies réponses.
Si vous le permettez, revenons sur les contradictions dont vous parliez. Vous disiez qu’il y avait beaucoup de contradictions dans les résultats des enquêtes. Quelles autres incohérences avez-vous notées ?
Les contradictions étaient au sommet du pouvoir, car lorsque nous avons commencé les mouvements, c’était uniquement pour faire avancer l’enquête et éviter un trop grand écart entre l’enquête et les résultats. Je me souviens même que le chef de l’État de l’époque, lorsqu’il a reçu la famille, a promis en ces mots : « Si Dieu le veut, je vais retrouver votre fils », sans doute parce qu’il voyait que l’enquête progressait et qu’on pouvait espérer connaître la vérité.
Mais aujourd’hui encore, ALOFA nous dira peut-être demain si c’est vraiment lui qui a tué DANGNIVO. Parce que si, par extraordinaire, les tests ADN confirment toujours la même chose et qu’ALOFA maintient qu’il n’est pas le coupable, quel serait le verdict ? Lui, qui est en prison depuis longtemps, je l’ai vu le jour de l’exhumation. ALOFA n’est pas plus grand que moi, alors que DANGNIVO faisait au moins deux fois sa taille.
On a donc quelqu’un qui est en prison depuis des années, qui est fatigué, qui avait d’abord avoué puis s’est rétracté. S’il persiste demain à dire qu’il n’a rien à voir avec ce crime et que les tests ADN prouvent le contraire, qui alors a tué DANGNIVO ? Cette question restera toujours en suspens. C’est pourquoi je dis que cette affaire est mystérieuse.
Comment avez-vous trouvé le déroulement des procès jusqu’à maintenant ?
Les juges se sont basés sur les pièces disponibles pour rendre leur jugement, mais peut-être que l’enquête n’avait pas réuni tous les éléments nécessaires. J’ai assisté au premier procès, mais il a été brutalement interrompu : on a déconnecté les haut-parleurs et le procès s’est poursuivi presque à huis clos, avant de s’éteindre complètement.
On a repris, je crois, lors de la deuxième ou troisième tentative sous le pouvoir actuel. J’étais en prison, mais on m’a extrait pour que je puisse y assister. Pourtant, même en pleine audience, le procès a de nouveau été stoppé.
Aujourd’hui, il est réouvert, mais je sais que la mobilisation n’a jamais cessé. Dans son village, un comité de lutte a été mis en place et, chaque année, à travers des manifestations, il exigeait la reprise du procès. Je crois qu’ils ont adressé une correspondance au ministre de la Justice, le 11 novembre, pour demander cette réouverture.
Est-ce cette correspondance qui a motivé la reprise ou bien le pouvoir avait-il déjà l’intention de le rouvrir ? Peut-être aussi que la lettre envoyée par ALOFA a joué un rôle. Mais aujourd’hui, s’il dit, après toutes ces années en prison, qu’il est innocent et demande sa libération, alors qu’il avait été déclaré coupable, je ne sais pas ce qui se passera à l’issue de ce procès.
Qu’attendez-vous de ce procès ?
En tant qu’humain, mon souhait serait qu’on nous dise que DAGNIVO est vivant quelque part et qu’on puisse aller le chercher.
Ce que je trouve mystérieux, c’est qu’il est arrivé un moment où l’on pensait que nous avions un intérêt personnel dans la recherche de ce cadre disparu.
Quand vous parlez de contradictions, on a entendu des conseillers venir à la télévision dire que l’assassin de DANGNIVO avait été retrouvé, qu’on était sur une bonne piste…
Tout cela a été dit. Mais aujourd’hui, si ses enfants entendent encore ces déclarations, ils seront traumatisés. Ceux qui aimaient Pierre Urbain DANGNIVO ne peuvent qu’en souffrir. Tout se paie ici-bas.
Avez-vous des nouvelles de la famille ?
Bien sûr. J’ai été en contact avec son jeune frère Grégoire, il y a à peine une semaine, après mon retour de prison. Même lorsque j’y étais, nous communiquions. Sa femme et ses enfants vont bien.
J’espère que ce procès apportera une réponse définitive pour que les enfants sachent enfin quoi faire. Jusqu’à présent, ils gardent l’espoir, malgré les 15 années écoulées. Si demain on leur dit la vérité, cela signifiera que l’enquête a enfin abouti. Tout le peuple béninois sera informé et, si une page doit être tournée définitivement, ce procès le déterminera.
Que vous confie la famille, notamment les enfants ?
Leur amertume. Imaginez : votre mari part au travail et ne revient jamais, pendant 15 ans. Quel serait votre sentiment ?
Si on vous dit qu’il est mort, vous faites votre deuil et, si vous le souhaitez, vous refaites votre vie. Mais si on ne vous dit rien, vous restez dans l’attente, avec l’espoir qu’un jour il revienne, même diminué, même fou.
C’est dans cette situation que vivent ses enfants jusqu’à aujourd’hui, tout comme ceux qui avaient de l’affection pour Urbain DAGNIVO.
A lire aussi:
Steve Amoussou dit qu’il n’est pas l’initiateur de « l’avatar frère Hounvi »