Environnement : L’Afrique de l’Est et australe entre intempéries et sécheresses

Société

Depuis plusieurs mois, l’Afrique de l’Est est touchée par des événements climatiques extrêmes, avec dans certains pays des pluies abondantes qui ont créé d’importants dégâts. Dans d’autres, elle fait face à une sécheresse tout aussi destructrice. Le rôle du phénomène El Niño est pointé par de nombreux spécialistes pour expliquer cette violence de la nature, amplifié par le changement climatique d’origine humaine. Dans les différents pays touchés, ces événements créent de nouveaux défis et sollicitent la résilience des populations. Reportages dans l’est de la République démocratique du Congo, au Kenya et plus au sud en Zambie.

Assise à même le sol, à l’entrée de sa maison, au nord de Kalemie, Sifa Abia observe ses deux petites filles qui font la vaisselle sous un arbre. À l’intérieur de cette bâtisse inachevée située dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), elle a seulement installé une petite table et quelques ustensiles de cuisine.

Cette sexagénaire s’est réfugiée ici il y a deux mois, sa maison du quartier Lubuye s’étant écroulée. Elle confie son incompréhension : « Elle était inondée et s’est écroulée à la suite des grosses pluies. Je me retrouve dehors. Je me demande qu’est-ce qu’il m’arrive ? »

En RDC, des inondations répétées

Cette catastrophe lui rappelle des souvenirs. Il y a quatre ans, elle avait déjà tout perdu dans la ville d’Uvira, au Sud-Kivu, lors des précédentes inondations : « Je suis une rescapée du débordement des eaux de la rivière Mulongwe, raconte-t-elle à notre correspondante à Lubumbashi, Denise Maheho. J’avais une maison comme celle-là, deux voitures, un tracteur pour mon mari… Tout a été emporté par la rivière. »

André Mirebo, un jeune marié, a fui le quartier Kamkolobondo, l’un des plus touchés par les inondations de Kalemie. Aujourd’hui, lui et sa femme se sont déplacés vers les collines au nord de la ville. Il décrit comment les rues ont été envahies : « D’abord, on a observé qu’à la suite des grosses pluies, l’eau stagnait partout. Puis la rivière Kalemie a débordé et l’eau s’est répandue dans le quartier Kamkolobondo, et elle atteint la hauteur des fenêtres de la maison. Nous étions obligés de fuir. Aujourd’hui, il n’est pas possible d’y retourner car le lac renvoie aussi de l’eau dans le quartier ! »

Plus la pluie tombe, plus le niveau d’eau du lac et des rivières augmente, poussant chaque jour des dizaines de familles à abandonner leurs maisons. Certains sinistrés ont même monté un camp de fortune au village Katanika. « Les gens ont monté des tentes en bâche pour s’abriter. Nous vivons comme des réfugiés dans notre pays ! » s’exclame Malik Ilunga, l’un d’eux.

Il y a peu, le ministère des Affaires humanitaires dans la province du Tanganyika, a déclaré avoir identifié un site afin de reloger les sinistrés. Mais le processus n’a pas encore démarré.

À Kalemie, 2 282 habitations sont soit inondées, soit endommagées en raison de ces fortes pluies et des inondations de ces derniers mois, selon le dernier rapport du bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies en RDC. Face au manque d’assistance humanitaire, la solidarité locale s’organise autour des victimes.

Mukuku, au nord de la ville, est l’un des villages qui accueille un grand nombre de sinistrés des inondations. André, le chef de la localité, fait visiter quelques endroits où les déplacés ont été réinstallés : « Celle-ci, montre-t-il, est une maison nouvellement occupée. Et puis, il y a celle de notre frère qui est le directeur d’école. Tous ont fui les inondations. Et l’autre là, plus bas, ce monsieur était le premier à aménager ici. »

À quelques mètres de la résidence du chef de la localité, trois jeunes gens déchargent dans une camionnette des valises, des meubles, des ustensiles de cuisine. Un habitant du village a cédé sa maison en chantier à Jeanne Feza, dont l’habitation est envahie par l’eau : « J’ai rencontré le propriétaire de la maison, raconte-t-elle. Il m’a autorisé à venir vivre ici avec mes enfants. J’ai vu que c’était un homme au bon cœur. Ce chantier n’avait ni toiture ni portes. Nous avons enlevé les tôles, les portes et les fenêtres sur notre maison inondée et nous les avons placées ici pour que la maison soit habitable. »

Au Kenya, scepticisme sur la politique de relocalisation

Mai Mahiu, à une centaine de kilomètres au Nord de Nairobi, la capitale kenyane. Ici aussi les pluies abondantes ont bouleversé la vie des populations. L’effondrement d’une retenue d’eau a tué 62 personnes.

Dans un petit deux pièces, loué par les autorités, Suzan boit le thé avec une amie. Suzan fuit la solitude pour éviter de penser à sa fille de huit mois, emportée par les eaux : « Je tenais mon bébé dans les bras, mais quand les eaux sont arrivées, elles étaient tellement fortes que je l’ai lâché. Ça me hante. Je fais de cauchemars, parfois je vois ma petite fille… je ne vais pas bien du tout. » Suzan reçoit la visite chaque semaine de John Kinuthia, du Centre de ressources et d’information pour le handicap. Bénévolement, il s’occupe de certaines victimes, car aucun suivi psychologique n’a été proposé par les autorités.

« Ces personnes ont traversé beaucoup de choses, explique le psychologue à notre correspondante à Nairobi, Gaëlle Laleix. Certains refusent toujours de croire à ce qui s’est passé, d’autres n’arrivent pas à l’exprimer. Ils souffrent d’angoisse, de dépression. Et puis certains sont toujours dans le déni. Mais tous méritent un suivi durable. »

Selon le gouvernement, plus de 380 000 Kényans ont été affectés par les inondations depuis mars. Les pluies de ces derniers mois ont fait plus de 290 morts. Ce sont les inondations les plus meurtrières depuis des dizaines d’années. Un véritable choc pour les populations.

Faute de ce suivi, c’est surtout vers l’Église que se tournent les victimes. Mary est convaincue d’avoir vécu une expérience mystique durant l’accident : « Mon corps était sur terre, mais mon esprit était ailleurs, et il pouvait voir mon corps là en bas. Tout ça n’est pas facile. Oui, mais c’est très difficile de mettre des mots, c’est douloureux. Je ne veux même pas y penser. Je prie. »

Le gouvernement, quoi qu’il en soit, poursuit son programme d’éviction dans les zones inondables. Un vaste plan d’évacuation, mais aussi de destruction des bâtiments en zones dangereuses.

Impitoyablement, depuis 3 semaines, les bulldozers poursuivent leur progression à Mathare, le bidonville de Nairobi le plus touché par les inondations. La maison de Byron Dede sera détruite bientôt. Devant qui veut bien l’entendre, cet homme interpelle le chef de l’État William Ruto : « J’habite ici, zone 4B de Mathare, mais ma maison est juste en bas, vers la rivière. Je n’ai pas de travail. Je n’ai nulle part où aller. Monsieur le président, s’il vous plait, repensez-y, et essayez de trouver où nous allons vivre et comment nous allons survivre, avant de faire ce que vous vous apprêtez à faire. »

À Mabatini, un quartier de Mathare, les habitants tentent de sauver le peu de biens qu’ils possèdent : meubles, vaisselle, plaques de tôle… Dominic Otieno est le directeur de l’école Why not academy : « Les voisins, explique-t-il, sont en train de détruire leurs maisons qui, selon les autorités, doivent être retirées des bords de la rivière. Donc les objets que vous voyez dehors leur appartiennent. Ils dorment ici à l’école, c’est l’endroit le plus sûr donc on les accueille. »

« Le gouvernement ment quand il dit avoir un plan »

Le président William Ruto a promis 10 000 shillings d’aide (environ 70 euros) aux populations déplacées, et la construction de logements sociaux. Des promesses en l’air, selon Wanjira Wanjiru, du Centre pour la justice sociale de Mathare : « Partout où il y a des évictions, estime-t-elle, le gouvernement ment quand il dit avoir un plan. Les gens vivent dans des tentes, des églises, des écoles. Ces endroits n’ont pas de toilettes, de salles de bain, de commodités de base. Ce sont des incubateurs à choléra. Il y a une épidémie en ce moment même à Mathare. »

Selon les chiffres du gouvernement kényan, les logements sociaux ne représentent que 2 % de l’ensemble des constructions dans le pays, chaque année.

En Zambie, les conséquences de la sécheresse

Région de Kabwé, à 200 kilomètres au nord de la capitale, Lusaka. Ici, ce n’est pas la surabondance de l’eau qui pose problème, bien au contraire : les nuages ont déserté le ciel et le soleil tape fort. Le pays, comme toute une partie de l’Afrique australe, est frappé depuis plusieurs mois par sa pire sécheresse de mi-saison depuis plus d’un siècle.

« Je n’ai jamais vu ça de ma vie, déplore Grace à notre envoyé spécial en Zambie, Igor Strauss. C’est la première fois et ça me fait de la peine. La ferme nous permet juste de survivre, mais là c’est très difficile. »

Alors qu’habituellement, la pluie arrose sa ferme entre janvier et mars, le phénomène climatique El Niño n’a cette fois apporté que fortes chaleurs et sécheresse : les températures ont dépassé de plus de 5°C les normales de saison.

Comme chez Grace, les conséquences sont dévastatrices pour l’agriculture du pays. La Zambie, tout comme le Zimbabwe et le Malawi, a déclaré l’état de désastre national en conséquence des mauvaises récoltes, dans cette région où 70 % des petits exploitants agricoles dépendent de l’agriculture pluviale pour leur subsistance. « Je dois demander de l’aide à mes enfants et être un fardeau pour eux. Je ne sais pas comment je vais survivre cette année. Peut-être que j’y arriverais en vendant des arachides. Par la grâce de Dieu », espère Grace.

Dans les régions affectées par la sécheresse, le manque d’eau a également lourdement frappé les élevages et endommagé les champs. « Regardez celui-ci : il est abimé. À cause du manque de pluie, mais également par les attaques des insectes. À cause de la sécheresse, on ne sait pas comment on va survivre cette année. »

Pride Mappé cultive du maïs dans la région de Kabwé. Il sème des semences hybrides, censées être plus résistantes à la sécheresse, mais elles n’ont pas résisté face à cet épisode d’El Niño. Ce père de trois enfants tirait du maïs ses maigres revenus et ses repas quotidiens.

Selon un rapport des Nations unies, ce sont plus de 18 millions de personnes dans la région qui sont désormais en besoin urgent d’assistance humanitaire, avec des niveaux d’insécurité alimentaire qui ne seront que croissants avec l’arrivée de la saison sèche.

En Zambie, les prix de la nourriture ont augmenté de 82 % dans certaines zones. Chez Grace, on survit en plantant et en vendant des arachides : « Je ne sais pas comment on tiendrait sans ça. Il y a des familles qui dépendent uniquement du maïs pour vivre. Aujourd’hui, elles n’ont plus rien. Tout à l’heure, trois de mes voisins sont venus pour me demander quelque chose à manger. Je leur ai donné ce que j’avais pour qu’ils puissent se nourrir. Mais demain ? »

riplement des prix alimentaires, barrages secs, délestages

Lusaka, la capitale, n’est pas épargnée. Sur le marché de Chilenje, Messimwéné attend derrière son étal de légumes de rares clients. « Avant, les tomates coûtaient 5 Kwatchas (soit 17 centimes d’euros). Maintenant, c’est 15 Kwatchas. Tout est devenu très cher. » Le prix des aubergines a doublé, celui du piment et des herbes aromatiques a triplé.

Messimwéné vend désormais en trois ou quatre jours ce qu’elle écoulait en une matinée. « Avant, c’était un très bon business. Je pouvais gagner jusqu’à 800 Kwatchas par jour. J’en ai maintenant 200 ou 300, c’est devenu très dur. »

La sécheresse qui ne cesse de durer n’affecte pas seulement le secteur agricole zambien. Dépendant essentiellement de l’hydroélectricité, les lacs de barrages le long du Zambèze sont à sec, comme à Kariba.

En conséquence, les délestages sont nombreux et viennent encore plus compliquer la vie de la population. À Lusaka, Jackson Chulu est soudeur, mais il est au chômage technique la majeure partie de la journée : « Je suis venu à 7 heures dans mon commerce, mais deux heures plus tard, il n’y avait plus d’électricité. Je vais devoir attendre toute la journée, et je ne sais pas quand ils vont remettre le courant. Je ne peux pas travailler la nuit, nous sommes sur un marché qui ferme à 20 heures. Si seulement on avait des groupes électrogènes, on pourrait se débrouiller pour acheter de l’essence. Mais là, c’est très dur. »

Jackson fait très vite le lien avec ce qu’il voit aux informations : « Ce n’est pas seulement en Zambie ! Je vois ce qui se passe au Kenya, au Brésil, à Dubaï. Partout dans le monde, nous sommes affectés par les conséquences du changement climatique. Il faut prendre ça au sérieux et agir ». 

Il sourit et cite son modèle : Greta Thunberg, la militante suédoise à l’origine du mouvement des Jeunes pour le climat : « Je l’adore ! Comme elle, il faut dire aux gens la vérité sur le changement climatique ».