Démission d'Ariel Henry : La transition politique plonge Haïti dans une période d’incertitude

International

Le Premier ministre haïtien, au pouvoir depuis 30 mois, a fini par céder face à la pression des gangs et de la communauté internationale. Il a confirmé sa démission lundi soir, après les annonces de la Caricom, réunie en Jamaïque. Elle interviendra donc après la nomination d’un conseil présidentiel de transition, après plusieurs jours de violence des gangs dans le pays, mais aussi de pressions internationales, et notamment américaines.

En début de semaine dernière, le département d’État américain souhaitait officiellement le retour d’Ariel Henry à Port-au-Prince. Mercredi encore, il démentait des informations de presse selon lesquelles il poussait Ariel Henry à la démission. Mais la situation sur le terrain avec les violences de gangs demandant le départ du Premier ministre, ainsi que les appels des gouvernements de la région ont fini par convaincre l’administration Biden.

Dès jeudi, les États-Unis, sans appeler formellement au départ d’un Premier ministre qu’ils ont longtemps soutenu, l’encourageaient fortement et publiquement, par la voix de leur ambassadrice aux Nations unies, à s’engager vers une transition rapide, mettant de fait un terme à leur soutien. En accueillant Ariel Henry à Porto-Rico, un territoire américain alors qu’il ne pouvait rentrer à Port-au-Prince, et en offrant à Ariel Henry de rester, la diplomatie américaine clarifie encore un peu plus son message.

La dernière étape se déroulait ce lundi avec la participation à Kingston, en Jamaïque, du secrétaire d’État, Antony Blinken, à la réunion de la Caricom, pour préparer l’après. En officialisant leur soutien au plan de transition et en renforçant leur soutien financier à la future force multinationale censée aider à la stabilisation de la situation sécuritaire après le départ d’Ariel Henry, les États-Unis officialisent leur passage à une suite très incertaine.

Une démarche « loin d’être idéale »

Sous la houlette de l’organisation, les acteurs politiques et de la société civile haïtienne se sont entendus pour la mise en place d’un conseil présidentiel chargé de la transition. « Loin d’être idéale, c’est une démarche qui a le mérite d’être inclusive », résume une source haïtienne, prudente quant à son potentiel succès. Le pire ou le meilleur pourrait advenir, estime de son côté une partie de la presse du pays. La volonté d’inclure un maximum d’acteurs aux intérêts et objectifs divergents dans ce conseil présidentiel pourraient en effet compliquer l’équation. Et révéler, si ce n’est la fragilité de l’accord conclu, l’intensité des rapports de force

« Les partis politiques en Haïti sont peu structurés, ils sont peu représentatifs. Ce sont souvent des coquilles vides autour d’une personne sans véritable programme politique. Et donc c’est cette dispersion, cette fragmentation des partis politiques ne facilite pas non plus la construction d’un consensus national », explique Frédéric Thomas, chercheur au Centre tricontinental, basé en Belgique.

Les plus pessimistes diront donc que les luttes de pouvoirs internes pourraient encore retarder la nomination d’un Premier ministre, puis d’un gouvernement de transition, et donc l’organisation d’élections maintes fois promises, le tout sous le regard des gangs qui contrôlent aujourd’hui plus de 80% de l’ère métropolitaine de Port-au-Prince.

Un pas en avant ?

Après des mois de blocage, c’est un pas en avant, mais sans doute pas une résolution de la crise multiforme que traverse Haïti. Ce conseil présidentiel chargé de conduire la transition et réaliser des élections, selon les ambitions affichées, est à cette heure une coquille vide. Élaboré par les États de la Caricom, il est le résultat de différentes propositions émanant des secteurs politiques et civils haïtiens, qui doivent à présent s’entendre sur les sept membres et les deux observateurs qui le composeront…

Et c’est ici que le plus dur commence : comment, dans les 24 heures qui leur sont imparties, ces acteurs vont-ils parvenir à se mettre d’accord, eux qui représentent des intérêts divergents, chacun avec leurs ambitions ? Et ce alors qu’ils ne sont jamais parvenus à élaborer une quelconque position commune, à part réclamer le départ d’Ariel Henry, tout en sachant que parmi ces acteurs, des partisans du Premier ministre démissionnaire sont présents.

Quid aussi des gangs, qui ne font pas partie de cette solution ? Vont-ils accepter aussi facilement d’être mis à l’écart, alors que leur pression a indéniablement pesé ?

Une fois ce conseil présidentiel constitué, Ariel Henry quittera effectivement ses fonctions. Ce conseil présidentiel devra alors nommer un Premier ministre. Et là aussi, on peut imaginer les luttes internes à venir. Haïti est plongée dans un océan d’inconnues, avec une solution de transition qui apparait selon plusieurs observateurs comme imposée une fois de plus par la communauté internationale.

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Le Kenya suspend sa mission de police en Haïti , selon un haut responsable du ministère kényan des Affaires étrangères

Le Kenya a décidé de suspendre l’envoi prévu de policiers en Haïti, dans le cadre d’une mission internationale soutenue par l’ONU, a indiqué un haut responsable du ministère kényan des Affaires étrangères. Les États-Unis ont immédiatement réagi. Le département d’État a affirmé ne pas voir de raison de retarder cette mission de police, estimant qu’un accord de transition permettra la mise en place d’un nouveau gouvernement, comme le souhaite Nairobi.

« Il y a eu un changement radical à la suite de l’effondrement complet de l’ordre public et de la démission du Premier ministre d’Haïti » Ariel Henry, a déclaré Korir Sing’oei, secrétaire général du ministère kényan. « Sans administration politique en Haïti, il n’y a pas de point d’ancrage sur lequel un déploiement de la police puisse reposer, le gouvernement kényan attendra donc l’installation d’une nouvelle autorité constitutionnelle en Haïti avant de prendre d’autres décisions sur la question », a-t-il ajouté.

Il a ajouté que Nairobi restait toutefois disposé à « fournir un leadership » à la mission internationale, qui avait été approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU en octobre. Le Kenya s’était dit prêt à envoyer un millier de policiers en Haïti, en proie au chaos en raison d’affrontements entre la police et des bandes armées, mais ce projet s’est heurté au Kenya à de nombreux obstacles juridiques.