En Afrique, la possible arrivée du Rassemblement national au pouvoir en France préoccupe la société civile, notamment ceux ayant des proches dans l’Hexagone. Surtout depuis que le leader du parti, Jordan Bardella, a annoncé lundi son intention d’interdire aux binationaux l’accès à des emplois sensibles.
À deux jours du premier tour des élections législatives en France, le 30 juin, l’extrême droite est toujours donnée en tête des sondages, devant l’union de gauche, le Nouveau Front populaire. Cette ascension fulgurante du Rassemblement national (RN) est suivie de près sur le continent africain, et fait réagir nombre de citoyens, notamment inquiets pour la diaspora en France. Surtout après l’annonce par le RN de sa volonté d’interdire certains emplois sensibles, par exemple dans la défense, aux binationaux.
Alioune Tine, fondateur du think tank AkricaJom Center, est basé à Dakar et travaille sur les questions de démocratie et de paix en Afrique de l’Ouest. Il appelle les leaders africains à se prononcer contre l’extrême droite, et s’alarme du programme du RN.
« Quand on entend ce que dit Jordan Bardella, on est totalement indigné, surtout par rapport aux Français qui ont une double nationalité et qui ne pourraient pas exercer certaines fonctions. C’est ahurissant qu’on puisse considérer que maintenant, il y a deux types de Français dans la République : les Français de France, de souche. Et les autres. C’est toujours et encore une pratique qui est raciste. C’est extrêmement dangereux, ce serait une régression énorme pour la France », déplore-t-il.
Nous estimons que par rapport à cette situation, les leaders africains doivent prendre leur responsabilité et demander à ce que la diaspora africaine ne donne pas une seule voix à l’extrême droite.
La crainte des jeunes africains avec des liens en France
Les jeunes sénégalais aussi suivent la montée du RN avec crainte. À l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, les étudiants ont souvent des liens avec la France, qu’ils soient familiaux ou académiques. Ousmane Diangar, en première année de nutrition, suit de très près la politique française et les débats de ces dernières semaines.
« Le RN prône des opinions qui divisent notamment quand ils disent qu’ils vont limiter les binationalités. Ça me préoccupe parce que j’ai de la famille en France qui nous aide ici. Surtout leurs postes, ils sont plus en sécurité », rapporte-t-il au micro de Juliette Dubois, correspondante à Dakar.
Ousmane envisage aussi de poursuivre ses études dans l’Hexagone, mais il se demande si ce sera possible. « Dans mon cursus de nutrition et diététique, ici il n’y a que des masters, il n’y a pas de doctorat. Donc forcément, les pays qui sont ouverts à moi sont la France et le Canada. Avec la France, ce serait beaucoup plus facile puisque c’est un pays dans lequel j’ai des liens, mais j’ai peur de ce qu’il va se passer quand les extrêmistes arriveront au pouvoir », poursuit-il.
Oum Kalsoum Ba elle est en première année de droit. Elle a renoncé à envisager de se rendre en France pour une partie de son cursus. « C’était dans mes projets, mais plus maintenant. Parce que j’ai vu ce qu’il s’est passé en France et ce n’est pas normal. J’ai peur d’être mal accueillie et mal traitée là-bas, surtout pour nous les femmes voilées. Nous sommes marginalisées là-bas », confie-t-elle. Selon l’OCDE, environ 160 000 émigrés sénégalais résidaient en France en 2020.
Le monde artistique africain aussi secoué par l’ascension du RN
Leur alarme est partagée par Serge Aimé Coulibaly. Cet artiste, danseur et chorégraphe burkinabè exporte ses spectacles depuis plus de 20 ans en France et dans le reste du monde. Depuis l’Australie où il jouera un spectacle début juillet, il surveille également la politique française. Pour lui, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite risque d’avoir de lourdes conséquences pour les artistes africains, même s’il rappelle que les restrictions de visas empêchaient déjà un grand nombre d’artistes africains de se produire en Europe.
« Ça va avoir énormément d’impact sur notre travail, sur nos circulations. Mais l’impact sera moins important que ce que l’on pense, parce qu’on est déjà dedans. Ça a toujours été quelque chose de très compliqué pour nous artistes du continent africain qui voulons juste circuler. C’est comme si nous, on ne faisait pas partie du monde », assène-t-il.