(Lire la décision DCC 20-536 du 16 Juillet 2020)
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Parakou du 28 février 2019 ( sous le mandat du maire Charles TOKO, ndlr) enregistrée à son secrétariat le 12 mars 2019 sous le numéro 0588/113/Rec-19, par laquelle monsieur Abibou MAMA SENI, demeurant à Parakou, quartier Kabassira, 02 BP 250 Parakou, forme un recours en inconstitutionnalité du communiqué radio n°50/009/MPKOU/SG/DAJC/DRH-SP/SA du 25 février 2019 portant interdiction des manifestations publiques à caractère revendicatif dans la commune de Parakou ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Razaki AMOUDA ISSIFOU en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 : « Les décisions et avis de la Cour constitutionnelle sont rendus par cinq conseillers au moins, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal » ; que l’épidémie du coronavirus constitue un cas de force majeure qui habilite la Cour à statuer avec seulement quatre de ses membres ;
Considérant que le requérant expose que par communiqué radio ci-dessus cité, le maire de Parakou a interdit les manifestations publiques à caractère revendicatif dans le ressort de sa commune ; qu’il estime que l’arrêté querellé méconnaît les articles 25 et 26 de la Constitution, d’une part, en ce qu’il empêche la jouissance d’un droit fondamental, la liberté de manifestation, et d’autre part, en ce qu’il évoque le caractère revendicatif des manifestations qui rompt l’égalité de tous devant la loi ;
Considérant que le maire de la commune de Parakou, invité à plusieurs reprises, n’a pas cru devoir ni se présenter ou se faire représenter devant la cour, ni produire des observations ;
Vu les 25, 26, 68, et 98.2 de la Constitution ;
Considérant que selon les articles 25 et 98 alinéa 1 de la Constitution, « L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation » ; « Sont du domaine de la loi les règles concernant : – la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; les sujétions imposées, dans l’intérêt de la défense nationale et la sécurité publique, aux citoyens en leur personne et en leurs biens » ; qu’il en résulte que la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation est constitutionnellement garantie et que si la loi peut en règlementer l’exercice, voire la limiter, en revanche, elle ne saurait en aucun cas la supprimer ou l’annihiler, fût-ce même temporairement, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques étant du domaine de la loi ; que le pouvoir exécutif ou règlementaire ne peut donc s’immiscer dans ce domaine, si ce n’est seulement pour préciser les modalités d’application de la loi ;
Considérant que par ailleurs, aux termes de l’article 68 de la Constitution, lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et constitutionnels est menacé ou interrompu, le Président de la République, après consultation du Président de l’Assemblée nationale et du Président de la Cour constitutionnelle, prend en conseil des Ministres les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus ; qu’il résulte de cette disposition que le souci légitime de préserver l’ordre public ne saurait justifier, même en période de crise, une suspension des droits des citoyens garantis par la Constitution ; qu’aucune mesure exceptionnelle ne peut donc porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens garantis par la Constitution et les instruments juridiques dont le Bénin est partie ;
Considérant qu’en l’espèce, il ressortit des dispositions de l’arrêté querellé que ledit arrêté interdit, non seulement, la jouissance d’un droit fondamental reconnu et garanti aux citoyens par la Constitution, mais aussi, qu’il établit de façon discriminatoire, la jouissance de ce droit, en distinguant entre les manifestations à caractère revendicatif et celles à caractère non revendicatif ; que ce faisant, l’autorité communale a opéré une discrimination entre les manifestations, violant de ce fait l’article 26 alinéa 1 de la Constitution qui dispose : « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale » ; que dès lors, il échet pour la Cour de juger que l’arrêté querellé est donc contraire à la Constitution ;
EN CONSEQUENCE,
Dit que le communiqué radio n° 50/009/MPKOU/SG/DAJC/
DRH-SP/SA du 25 février 2019 portant interdiction des manifestations publiques à caractère revendicatif dans la commune de Parakou est contraire à la Constitution.
La présente décision sera notifiée à monsieur Abibou MAMA SENI, à monsieur le maire de la commune de Parakou et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le seize juillet deux mille vingt,
Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
Razaki AMOUDA ISSIFOU Vice-Président
Madame Cécile Marie José de DRAVO ZINZINDOHOUE Membre
Monsieur Rigobert A. AZON Membre