Le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Cotonou a prononcé, ce mardi 16 mai 2017, un non-lieu dans l’affaire PPEA II (Programme Pluriannuel d’appui au secteur Eau et l’Assainissement), a-t-on appris.
L’affaire PPEA II ou encore le « scandale de l’eau » est désormais vidé. Cette affaire de prévarication qui a terni l’image du Bénin est une affaire de détournement présumé de 8 milliards FCFA dont 2,6 milliards FCFA du contribuable néerlandais et environ 5 milliards FCFA du budget national destiné au deuxième compact du Programme Pluriannuel du secteur de l’Eau et de l’Assainissement. Le ministre de l’eau au moment des faits, Barthélémy Kassa, a été contraint à la démission puis son dossier confié à l’Assemblée nationale pour qu’il soit traduit devant la Haute Cour de Justice. Barthélémy Kassa a été écouté le lundi 10 août 2015 par la commission spéciale du Parlement devant étudier la demande de levée de son immunité. Le jeudi 20 août 2015, l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire suite à la demande de levée d’immunité parlementaire de l’ex-ministre chargée de l’Eau Barthélémy Kassa a rejeté cette demande. Au total, 45 députés ont bloqué la procédure de poursuite de l’honorable Barthélémy Kassa devant la Haute Cour de Justice enclenchée par l’ex-Président Boni Yayi.
La partie néerlandaise tenait aux sanctions des personnes mises en cause
L’affaire PPEA II a éclaté en avril 2015. Le Bénin a fauté dans la mise en œuvre du Programme pluriannuel d’appui au secteur Eau et Assainissement (PPEA II) financé par le royaume des Pays-Bas. Dans la mise en œuvre dudit programme, il a été révélé par un audit international commandité par le gouvernement béninois à la demande du partenaire financier suite à des soupçons, le détournement de quelques 8 milliards FCFA dont 2,6 milliards FCFA du contribuable néerlandais et environ 5 milliards FCFA du budget national. Fiducia Consulting Group chargé de faire l’audit technique, financier et de performance de la gestion 2014 de la deuxième phase du Programme Pluriannuel d’appui au secteur de l’Eau et de l’Assainissement (PPEA II) dit avoir constaté plusieurs irrégularités (voir encadré).
Cette affaire avait dégradé les relations diplomatiques entre le Bénin et les Pays-Bas. La partie néerlandaise tenait aux sanctions des différentes personnes mises en cause. Plusieurs noms ont été cités dans cette affaire. Outre celui de l’ex ministre Kassa, il y avait, entre autres, Rémi Kodo, Rock Niéri etc.
Le Président de la République (au moment des faits), Boni Yayi, a été convoqué expressément par le Chef du gouvernement néerlandais à venir s’expliquer sur cette affaire. La nouvelle de cette invitation a été rendue publique par l’Ambassadeur des Pays-Bas au Bénin (au moment des faits), Jos Van Aggelen, qui, le vendredi 21 août 2015, s’est rendu au palais de la Marina pour remettre à Boni Yayi une correspondance du premier ministre néerlandais, correspondance qui faisait suite à celle adressée le 7 août dernier par Yayi à l’autorité néerlandaise. A travers cette correspondance, le premier ministre des Pays-Bas a salué les efforts du Bénin en vue du rétablissement des relations entre les deux pays, relations alors suspendues.
Faut-il le rappeler, le vendredi 31 juillet 2015, dans son discours à la nation dans le cadre de la célébration du 55ème anniversaire de l’accession du Bénin à la souveraineté nationale et internationale, le président Boni Yayi, est revenu sur ce scandale de l’eau qui a valu au Bénin la suspension de sa coopération bilatérale avec les Pays-Bas. Boni Yayi après avoir reconnu la faute du Bénin, a présenté les excuses du Bénin au partenaire financier. « je présente la gratitude et les excuses publiques de tout le peuple béninois », a déclaré Boni Yayi avant de réaffirmer sa détermination à « sévèrement » sanctionner tous ceux qui sont impliqués dans ce scandale dramatique.
« Le scandale de l’eau sous Boni Yayi ne restera pas impuni », dixit Talon
Le pouvoir étant une continuité, après son investiture en avril 2016, le nouveau président de la république, Patrice Talon, a promis des sanctions aux mis en cause dans cette affaire. Interrogé par nos confrères du journal français « Le Monde Afrique », le Président Patrice Talon a été on ne peut plus clair. Pour lui, le scandale de l’eau sous Boni Yayi ne restera pas impuni. « A mon sens, il n’y a pas de dossier Barthélemy Kassa, il y a un dossier sur les détournements de l’aide des Pays-Bas dans le domaine de l’eau. Et ce dossier n’est pas fermé. Je regrette la décision du Parlement, qui met M. Kassa à l’abri de poursuites judiciaires. Cela montre bien le besoin urgent de réformes. L’eau est vitale pour le pays, toute la lumière doit être faite. J’ai dit aux Néerlandais que nous ferons tous les efforts possibles pour déterminer où est passé leur argent. Et les responsables devront comparaître », avait en effet déclaré le Président Talon à nos confrères du journal le Monde qui lui ont demandé s’il allait rouvrir des dossiers de corruption, comme l’affaire Kassa.
Cette décision du non-lieu du juge d’instruction dans l’affaire PPEA II intervenue ce mardi 16 mai 2017 libère donc les présumés coupables. Elle intervient quelques jours après la déclaration de soutien de l’ex ministre de l’eau, Barthélémy Kassa (aujourd’hui député) au Programme d’Action du Gouvernement du Nouveau départ. Comme lui, les personnes impliquées dans ce dossier peuvent respirer. Surtout que certaines personnes interpellées ont été ensuite écrouées à la prison civile de Cotonou. Il s’agit notamment du Coordonnateur du Projet, du Directeur général de l’eau et du Directeur de la programmation et de la prospective du ministère en charge de l’eau au moment des faits. Par ailleurs, certaines autorités du même ministère à l’époque des faits qui se sont évadées dans la nature ou étaient en cavale peuvent maintenant sortir de leur cachette. L’affaire « scandale de l’eau » étant terminée.
L’audit de Fiducia Consulting Group qui a révélé l’affaire
Par contrat de services n°COT0119210 en date du 15 octobre 2014, Fiducia Consulting Group a été chargé de faire l’audit technique, financier et de performance de la gestion 2014 de la deuxième phase du Programme Pluriannuel d’appui au secteur de l’Eau et de l’Assainissement (PPEA II). Plusieurs irrégularités ont été constatées.
Les diligences mises en œuvre dans le cadre de l’audit ont consisté à assurer les auditeurs du respect par les différentes entités, des dispositions du Code des marchés publics en République du Bénin dans le cadre de la passation des marchés. Ce sont ces diligences qui ont amené à faire les observations ci-après:
– Des cas ont été relevés où des Pièces administratives des entreprises consultées ne sont souvent pas validées par rapport à la date de dépôt mentionnée dans les lettres de demande de cotation.
– De nombreux cas de fractionnement de marchés ont été constatés en entorse aux règles de passation des marchés publics.
– Des cas où les lettres d’invitation adressées aux soumissionnaires n’incluent pas les instructions aux Candidats (tant sur la qualité dès leur importance que sur les travaux / prestations à
– Des cas où des entreprises ont été recrutées mais ces dernières ne sont pas spécialisées pour les prestations concernées.
– Des cas de paiement de trop perçus suite aux erreurs dans les devis estimatifs et quantitatifs (DQE) de certains attributaires.
– Cas d’erreur de sommation de la note totale attribuée à l’offre technique de l’adjudicataire ayant entraîné une mauvaise attribution du marché.
– Non respect dans certains dossiers du délai exigé par le code pour le dépôt des offres des soumissionnaires.
– La fourniture d’attestations de bonne fin d’exécution portant référence 2009 par l’attributaire alors que suivant son registre de commerce, la société est créée en 2010.
– Erreur de correction de l’offre financière de l’attributaire ayant impacté l’attribution du marché.
– Des marchés de prestations intellectuelles ont été passés par demande de cotation alors que les montants dépassent le seuil prévu par le Code des Marchés Publics pour leur passation par avis à manifestation d’intérêt et demandes de propositions.
– Non respect du délai d’exécution de certains contrats. En effet, certains marchés ont été exécutés avec beaucoup de retard sans l’application des pénalités.
– Approbation de certains marchés au-delà de la période de validité des offres.
– Insuffisance dans le système d’archivage des dossiers d’appel d’offres entraînant la non obtention totale ou partielle des documents relatifs à certains marchés passés.
– Absence de paraphes des membres des commissions sur les pages ne portant pas de signatures des PV d’ouverture, d’analyse et d’adjudication des offres.
– Absence de preuves d’une réelle mise en concurrence pour certains marchés.
– Défaut de l’avis de la Cellule Départementale de Passation des Marchés Publics (CDPMP) aux différentes étapes du processus de passation des marchés dans certains départements.
– Absence de Plan de passation des marchés (PPM) dans certaines entités.
– Absence de preuve de la souscription des polices d’assurance (Risque chantier et autres) conformément aux clauses contractuelles pour la plupart des marchés y applicables.
– Non respect du délai d’approbation de certains marchés par la tutelle au niveau des communes.
– Ces observations ainsi énumérées ont été détaillées dans le rapport de chacune des entités concernées et ont fait l’objet de recommandations.
L’audit a également consisté à s’assurer si les ressources du Programme ont été utilisées de façon rationnelle et pertinente. A ce titre, des insuffisances ont été révélées. Les plus importantes se présentent comme suit:
– Des dépenses non prévues au PTA adopté en Comité de pilotage ont été payées sans l’avis de non objection du bailleur entraînant la non réalisation des activités normalement prévues et a négativement impacté celles qui ont connu un début de réalisation car elles l’ont été partiellement.
– Double paiements des frais d’entretien sur la base de deux états de paiement différents portant le même objet.
– Paiement des frais d’abonnement internet ADSL non prévus sur les fonds PPEA délégués.
– Certains prix pratiqués par les prestataires dans le cadre des marchés passés en 2014 paraissent élevés par rapport à la juste valeur des biens de même nature sur le marché.
– Paiements des frais sans que les états de paiements ne soient signés par les bénéficiaires.
– Des choix non pertinents des participants aux ateliers ont été remarqués.
– Des trop perçus ont été relevés sur certains états de paiement de frais de mission.
– Exécution partielle de certaines missions du fait que toutes les localités prévues pour être visitées sur l’ordre de mission ne l’ont pas été mais les frais de mission ont été entièrement dépensés.
– Sorties de carburant qui ne sont pas toujours en lien avec les activités du Programme.
– Incomplétude et absence des pièces justificatives pour certaines dépenses.
– Mauvaise planification dans la prévision des personnes devant participer aux ateliers entraînant ainsi des écarts importants entre le nombre de personnes prévues et le nombre de participants pour certains ateliers.
Source : La Presse du Jour