Bénin : La décision de la Cour constitutionnelle sur la loi organique sur le CES

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La Cour constitutionnelle du Bénin a déclaré, mardi 16 juillet 2024, la nouvelle loi organique sur le Conseil économique et social, conforme à la Constitution, en toutes ses dispositions. Voici l’intégralité de la décision.

DÉCISION DCC 24-140 DU 16 JUILLET 2024

La Cour constitutionnelle,

Saisie par correspondance n°156-c/PR/CAB/SP, en date à Cotonou du 03 juillet 2024, enregistrée à son secrétariat, à la même date, sous le numéro 1332/233/REC-24, par laquelle monsieur le Président de la République défère au contrôle de conformité à la Constitution, la loi n° 2024-26 portant loi organique sur le Conseil économique et social (CES), adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 21 juin 2024 ;

Saisie par requête en date à Porto-Novo du 08 juillet 2024, enregistrée à son secrétariat, à la même date, sous le numéro 1364/239/REC-24, par laquelle monsieur Célestin Nounagnon HOUNSOU, membre de l’Assemblée nationale, du groupe parlementaire « LES DÉMOCRATES », téléphone : 97 44 73 97, forme un recours en inconstitutionnalité de la même loi ;

Vu la Constitution ;

VU la loi n°2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle ;

VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï monsieur Cossi Dorothé SOSSA en son rapport ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant qu’au soutien de son recours, le député Célestin Nounagnon HOUNSOU, après avoir fait la genèse du CES, expose que la loi organique déférée au contrôle viole l’article 26 de la Constitution, au motif que les organisations syndicales des travailleurs, contrairement à leurs homologues des employeurs, en ont été purement et simplement exclus ;

Qu’il fait, par ailleurs, observer que le texte ayant abouti au vote de la loi le 21 juin 2024 est, en réalité, une proposition de loi qui devrait, de ce fait, respecter les exigences de l’article 107 de la Constitution ;

Qu’il soutient, en effet, que le fait pour les députés d’avoir fait passer le nombre des membres du CES de trente (30) à cent dix-sept (117), avec pour conséquence une aggravation des charges publiques, sans, en contrepartie, une proposition d’augmentation de recettes ou de réalisation d’économies, est contraire à l’article 107 de la Constitution ;

Qu’il fait également remarquer que l’article 139 de la Constitution énumérait limitativement les attributions du CES ;
Qu’en dépit de cette énumération, la loi votée le 21 juin 2024 a ajouté à celles-ci deux nouvelles attributions ;

Que le répété en déduit qu’il ya violation de l’article 139 de la Constitution ;
Que de même, il soutient que la loi querellée, en créant des démembrements au niveau départemental, alors que le CES est conçu pour être une institution nationale, contrairement à la lettre et à l’esprit de l’article 140 de la Constitution ;

Qu’enfin, il relève que dans son format prévu par la loi votée le 21 juin 2024, la composition du CES est fortement politisée au détriment des catégories socioprofessionnelles de telle sorte, qu’au décompte final, 65% de ses membres sont désignés par l’Assemblée nationale et le Président de la République ;
Qu’il conclut à la dénaturation du CES transformé en une représentation politique plutôt que sociale et économique ;

Que dans un mémoire en réplique aux observations de l’Assemblée nationale, produit par son conseil, il précise que l’avis du patronat sur une loi, un décret ou sur un choix politique, n’est pas nécessairement celui des syndicats des travailleurs, ces deux types de groupement ayant des visions différentes de la société ;

Considérant qu’en réponse, le secrétaire général du gouvernement, après avoir demandé à la Cour de déclarer le recours du député Célestin Nounagnon HOUNSOU recevable en la forme, fait remarquer, au fond, qu’en renvoyant au législateur le pouvoir de définir la composition du CES, l’article 140, alinéa 2, de la Constitution n’a apporté aucune limite, ni indication, permettant de considérer que la présence au sein de cette institution de représentants d’organisations d’employeurs devrait s’accompagner, corrélativement, de celle de représentants des organisations syndicales de travailleurs ;

Qu’il note que, les organisations d’employeurs et de travailleurs, ne seraient-ce que du point de vue de leur vocation respective, ne sont pas des personnes placées dans une situation identique devant recevoir le même traitement justifiant, en l’espèce. , le chagrin de discrimination et donc, de violation de l’article 26 de la Constitution ;

 

Qu’il souligne que, c’est inexactement que le prévoyant affirmer que la loi adoptée est une proposition de loi et que, la création des conseils économiques et sociaux départementaux et l’augmentation du nombre des membres de l’institution induisant des charges nouvelles , devraient être accompagnés de propositions de ressources équivalentes, en application de l’article 107 de la Constitution ;
Qu’il conclut que cette nouvelle configuration ne change aucunement la mission originelle du CES et ne peut donc être assimilée à une dénaturation de l’institution ;

Considérant que, le président de l’Assemblée nationale, par l’organe de son secrétaire général adjoint, rappelle, d’une part, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 11- 042 du 21 juin 2011, et conclu à l’absence de discrimination dans la loi objet de contrôle ;

Que, d’autre part, il rappelle aussi que les différents documents exploités par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du texte de loi objet du présent recours, à savoir le décret n° 2004-92 du 24 février 2004 portant transmission à l’Assemblée nationale du projet de loi portant loi organique sur le Conseil économique et social, le tableau comparatif de l’étude ainsi que le rapport de commission, prouvent à souhait qu’il s’agit bien d’un projet de loi ;
Qu’il soutient que l’ampleur des amendements ne transforme pas un projet de loi en une proposition de loi ;

Qu’il développe également que les deux nouvelles missions assignées au CES, contenues dans la loi et contestées par le préalable, correspondant à la logique de l’article 139 de la Constitution et ne lui sont donc pas contraires ;
Qu’enfin, au motif que le recours n’apporte aucune preuve relative à ses allégations sur la dénaturation du CES, il demande à la Cour de les déclarer mal fondées ;

Considérant qu’à l’audience plénière du jeudi 11 juillet 2024, le représentant du président de l’Assemblée nationale a réitéré les mentions contenues dans la réponse du secrétaire général adjoint de l’Assemblée nationale ;
Qu’au cours de la même audience, le requérant a maintenu ses prétentions qui ont été confirmées par son conseil, suivantes observations en réponse » reçues à la Cour le 12 juillet 2024 ;

Vu les articles 26, alinéa 1e, 107, 139 et 140 de la Constitution ;

Sur la recevabilité des requêtes

Considérant que la saisine de monsieur le Président de la République et celle du député Célestin Nounagnon HOUNSOU sont intervenues dans les formes et délais prévus par la Constitution et la loi organique sur la Cour constitutionnelle ;

Qu’il y a lieu de les déclarer recevables ;

Sur la jonction des recours 1332/233/REC-24 et 1364/239/REC-24

Considérant que le recours du Président de la République et celui du député Célestin Nounagnon HOUNSOU porte sur le même objet et tend aux mêmes fins ;

Qu’il y a lieu, pour une bonne administration de la justice, de les joindre sous le numéro 1332/233/REC-24, pour y être statué par une seule et même décision ;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 26 de la Constitution

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 26, alinéa le, de la Constitution : « L’État assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou position sociale. » ;

Que conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la notion d’égalité s’analyse comme un principe général selon lequel la loi doit être la même pour tous, dans son adoption et dans son application et ne doit contenir aucune discrimination injustifiée ;

Qu’il en découle que les personnes se trouvant dans la même catégorie doivent être, sauf motif légitime, traitées de manière identique ;

Qu’en l’espèce, la Constitution, en disposant en son article 140, « La composition, l’organisation et le fonctionnement du Conseil économique et social sont fixés par une loi organique », n’a pas indiqué les différentes catégories socio- les professionnelles qui doivent en être membres ;

Que, par ailleurs, la pratique consistant à faire siéger, par le passé, les organisations syndicales des travailleurs, à l’instar des représentants des employeurs, ne pourront être retenues comme régulateur ces deux types d’organisation, appartenant à deux catégories socio- professionnelles différentes et distinctes, dans une même situation juridique ;

Qu’au demeurant, d’autres catégories, telles les associations de développement, n’ont pas été aussi reconduites dans la nouvelle loi ; Qu’il s’ensuit qu’il n’y a pas violation de l’article 26 de la Constitution ;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 107 de la Constitution

Considérant que l’article 107 de la Constitution prescrit : « Les propositions et amendements déposés par les députés ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique, à moins qu’ils ne soient accompagnés d’une proposition d’augmentation de recettes ou d’économies équivalentes. » ;

Qu’en l’espèce, il résulte du dossier que le texte de loi, soumis au contrôle de constitutionnalité, est issue d’un projet de loi et non d’une proposition de loi ;

Que ledit projet, en effet, a été transmis à l’Assemblée nationale par décret n° 2004-092 du 24 février 2004 ;

Que, par ailleurs, il importe de rappeler que, le droit d’amendement revêt trois (03) caractères :

-il est entre le gouvernement et les parlementaires ;

-il est individuel ou collectif, les amendements pouvant être co-signés ;

-il est, surtout, un droit illimité sous réserve des restrictions prévues aux articles 98, 104 et 107 de la Constitution ;

Que du caractère illimité de ce droit, il découle que l’importance des amendements subis par un texte législatif, conçu par un parlementaire ou par le gouvernement, est sans effet sur sa nature de proposition ou de projet de loi ;

Que dès lors, le chagrin selon lequel le projet de loi serait une proposition de loi déguisée est inopérant ;Que, d’un autre côté, les amendements sont déposés en commission ou en séance plénière ;

Que lorsqu’ils sont introduits en commission, il revient au président de la commission et, en cas de doute, à son bureau, d’apprécier la recevabilité de l’amendement, au regard, notamment de l’article 107 de la Constitution et , au besoin, après avis du président ou du rapporteur de la commission des finances ;

Que les amendements déclarés irrecevables ne sont pas examinés par la commission ;

Que le gouvernement ou un député peut s’opposer, à tout moment, à l’article 107 de la Constitution à une modification apportée par une commission au texte d’un projet ou d’une proposition de loi, c’est-à-dire à un amendement adopté par une commission et intégré dans le texte qui servira de base à la discussion en séance plénière ;

Qu’en l’espèce, il n’est pas prouvé par le recours qu’un quelconque amendement, répondant à l’une des procédures requises, a été présenté avant l’adoption de la loi querellée, ou que le gouvernement ait eu demandé de porter à la connaissance de l’Assemblée nationale le moindre point de désaccord sur le texte présenté en séance plénière, en application de l’article 85, alinéa 2, du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ;

Que, dès lors, la loi n° 2024-26 portant loi organique sur le Conseil économique et social, n’a pas violé l’article 107 de la Constitution ;
Sur le moyen tiré de la dénaturation du CES et de la violation des articles 139 et 140 de la Constitution
Considérant que l’article 139 de la Constitution, qui définit les attributions du CES, dispose : « Le Conseil économique et social donne son avis sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis.

Les projets de loi de programme à caractère économique et social lui sont obligatoirement soumis à avis.

Le Président de la République peut consulter le Conseil économique et social sur tout problème à caractère économique, social, culturel, scientifique et technique.
Le Conseil économique et social peut, de sa propre initiative, sous forme de recommandation, attirer l’attention de l’Assemblée nationale et du gouvernement sur les réformes d’ordre économique et social qui lui paraissent conformes ou contraires à l’intérêt général.

Sur la demande du Gouvernement, le Conseil économique et social désigne un de ses membres pour exposer devant les commissions de l’Assemblée nationale l’avis du Conseil sur les projets ou propositions de lois qui lui ont été soumis » ;
Qu’en outre, l’article 140 de la Constitution prévoit, en son alinéa 2 : « La composition, l’organisation et le fonctionnement du Conseil économique et social sont fixés par une loi organique » ;

Qu’en l’espèce, en prévoyant qu’une loi organique définit les règles relatives à la composition, à l’organisation et au fonctionnement du CES, l’article 140 sus-cité a réservé au régulateur organique le pouvoir de fixer librement et discrétionnairement ces domaines ;

Qu’aucune limite spécifique n’est dès lors opposable au législateur dans la fixation de la composition, de l’organisation et du fonctionnement du CES ;
Que l’extension querellée, des attributions du CES, relative aux alinéas 6 et 7 de l’article ler de la loi organique sous examen, vise à mieux prendre en compte les préoccupations des populations et institutions dans les domaines économiques et sociaux, pour renforcer sa fonction principale de conseil ;

 

Que de telles attributions ne violent pas la Constitution ;

Sur la conformité de la loi n° 2024-26 du 21 juin 2024 à la Constitution

Considérant que l’examen de chacun des articles de la loi objet de

le contrôle n’a révélé la violation d’aucune disposition constitutionnelle ; Qu’il convient, dès lors, de la déclarer conforme à la Constitution ;

EN CONSÉQUENCE,

 

Article 1er : Ordonne la jonction des recours numéros 1332/233/REC-24 et 1364/239/REC-24 sous le numéro 1332/233/REC-24.

Article 2 : Déclarer les recours du Président de la République et du député Célestin Nounagnon HOUNSOU recevables.

 

Article 3 : Dit qu’il n’y a pas violation des articles 26, 107, 139 et 140 de la Constitution.

 

Article 4 : Déclarer la loi n° 2024-26 portant loi organique sur le Conseil économique et social, adopté par l’Assemblée nationale en sa séance du 21 juin 2024, conforme à la Constitution, en toutes ses dispositions.

La présente décision sera notifiée à monsieur le Président de la République, au président de l’Assemblée nationale, à monsieur Célestin Nounagnon HOUNSOU, député à l’Assemblée nationale, à maître Renaud Vignilé AGBODJO et publié au Journal officiel.

 

Ont siégé à Cotonou, le seize juillet deux mille vingt-quatre,

Messieurs

Cossi Dorothé SOSSA (Président)

Nicolas Luc A. ASSOGBA (Vice-président)
Vincent Codjo ASAKRO (Membre)

Michel ADJAKA (Membre)

Mesdames

Aleyya GOUDA BACO (Membre)

Dandi GNAMOU (Membre)