L’Assemblée nationale s’attaque ce jeudi 7 juin aux « fake news », les fausses informations qui se répandent via les réseaux sociaux et empoisonnent la vie publique. Deux propositions de loi seront présentées aux députés. Objectif : éviter que des fake news ne déstabilisent la vie politique française.
Voulus par Emmanuel Macron, les deux propositions de loi du groupe parlementaire LREM visent à lutter contre « la manipulation de l’information » en période électorale. Pour la majorité présidentielle, il s’agit de combattre un fléau qui se répand grâce aux nouvelles technologies et qui a notamment perturbé les élections présidentielles aux Etats-Unis et en France, ou le référendum sur le Brexit.
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait lui-même été la cible de fausses informations concernant sa vie privée et la possession d’un compte au Bahamas. Evoquée par la candidate d’extrême droite Marine Le Pen durant le débat télévisé de l’entre-deux tours, cette « intox » avait été partagée plusieurs centaines de milliers de fois en quelques heures.
Une procédure d’urgence
Les deux propositions doivent permettre à un candidat ou un parti politique de saisir les juges des référés pour faire cesser la diffusion de « fausses informations », durant les trois mois précédant celui d’un scrutin national. Le juge pourra alors dans un délai de 48 heures exiger le retrait ou le blocage du contenu illicite à l’encontre des hébergeurs de contenus et fournisseurs d’accès à Internet.
En commission, les députés ont défini la « fausse information » comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Afin de protéger les journalistes, la procédure de référé sera limitée « aux cas dans lesquels il est établi que la diffusion de fausses informations procède de la mauvaise foi ».
Les textes présentés à l’Assemblée ce jeudi prévoient également d’imposer des obligations de transparence renforcées aux plateformes numériques, pour permettre notamment aux internautes de connaître l’annonceur de contenus sponsorisés et la somme versée. De nouveaux pouvoirs seront par ailleurs donnés au Conseil supérieur de l’audiovisuel qui pourra empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés « par un Etat étranger ou sous influence de cet Etat », et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
Sans être nommés, la chaîne de télévision RT (Russia Today) et le site Sputnik semblent être particulièrement visés par le projet de loi. Emmanuel Macron les avait accusés d’agir pour le Kremlin en « organes d’influence » et « de propagande mensongère ».
Controverse
Mais ces propositions suscitent la controverse. Pour le Syndicat national des journalistes (SNJ), le texte est « inefficace et potentiellement dangereux car on met le pas vers quelque chose qui pourrait conduire à de la censure ».
Dans un communiqué dressant une liste de contre-propositions, l’organisation Reporters sans frontières met quant à elle en garde contre des solutions qui « pourraient se révéler inopérantes voire contre-productives ». « Le texte a été conçu dans l’urgence, et ne prend pas suffisamment en compte les possibles effets pervers juridiques et politiques, dans un contexte de guerres de l’information menées par des régimes autoritaires », avertit l’ONG.
A l’Assemblée aussi, nombreux sont ceux à être vent debout contre un texte que le député LR Claude Goasguen qualifie d’« aberrant ». Risque de censure, de judiciarisation du combat politique, à droite comme à gauche, on s’apprête à batailler ferme ce jeudi. « Il y aura une vérité officielle. Et qui en décidera ? Ce n’est pas le citoyen qui fera son propre jugement, ce sont des magistrats. C’est l’Union soviétique. Bientôt on va nous mettre dans des hôpitaux psychiatriques comme Soljenitsyne parce qu’on ne pense pas comme le régime », s’alarme Nicolas Dupont-Aignan.
Pour l’élu de La France insoumise Alexis Corbière, en plus d’être liberticide, ce texte est inutile. « Aujourd’hui, la 17e chambre à Paris passe son temps à légiférer sur des fausses informations. Il peut y avoir une décision en référé qui retire une information en l’espace de 72h. On ne va pas non plus nous faire croire que M. Macron a inventé l’eau chaude », s’exclame-t-il.
Des critiques que le chef de fil des députés En Marche Richard Ferrand se contente de minimiser : « C’est comme au patinage artistique, il y a des figures imposées. Il est toujours de bon ton de vouloir laisser penser qu’une mesure d’hygiène démocratique puisse passer pour une mesure de restriction démocratique. »
Reste que les débats à l’Assemblée sur les fake news pourraient ne pas s’achever ce jeudi soir : 209 amendements ont été déposés, dont de nombreux de La France insoumise sur la concentration des médias, la nomination des membres du CSA, les aides à la presse ou encore la création d’un conseil de la déontologie.