Bombardements israéliens et autres missiles au Liban : « Je suis fatiguée de pleurer, j’attends mon heure », dixit une domestique camerounaise

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Les bruits assourdissants des bombardements israéliens et autres missiles au Liban ont remplacé la musique douce que Claire a l’habitude d’écouter dans le salon de ses patrons tous les matins. A cela s’ajoute, nous explique-t-elle, les aboiements des chiens des voisins et les soubresauts qui traversent par moment ce quartier du Sud de Beyrouth où habitent la jeune dame et ses employeurs.

Claire, cette jeune femme camerounaise qui habite au Liban depuis près de 10 ans. BBC Afrique a réussi à avoir au téléphone depuis le Liban, ce mercredi 8 octobre. Claire n’est pas son vrai prénom, la camerounaise n’a pas souhaité dévoiler sa véritable identité. « Ça pourrait me causer des problèmes là où je travaille », nous souffle-t-elle.

Mais c’est une personne presque au bord de la dépression. Elle semble perdre espoir en un retour de la paix dans son pays d’accueil. L’intensité des bombardements la plonge dans une fatalité, nous dit-elle. « Je suis fatiguée de pleurer. J’attends mon heure », déclare-t-elle.

Cette phrase montre l’ampleur de la situation et la menace à laquelle sont confrontées ces travailleuses domestiques actuellement. « C’est grave. Depuis le matin, on lance des missiles. Je vis dans la peur depuis trois semaines », ajoute-t-elle.

Maeva Koko, une Togolaise travaillant dans un ménage au Liban, quant à elle, allait mettre l’enfant de sa patronne au lit quand elle a entendu soudain un grand bruit. Une explosion qui a même secoué son immeuble. « L’enfant s’est réveillé en pleurs, l’explosion était trop forte », nous dit-elle.

Une explosion qui a sonné le début d’un cauchemar que Maeva et ses patrons vivent aujourd’hui. La guerre d’Israël contre le Hezbollah venait donc de commencer au Liban ce jour où tout était pourtant calme au début.

Il n’a fallu que quelques secondes à Maeva et ses patrons pour se rendre à l’évidence que le Liban est attaqué, avec des bombardements intensifs. Puisque plusieurs autres explosions ont suivi la première, plongeant ce pays dans la guerre avec Israël.

Cette domestique togolaise au Liban depuis 12 ans s’est aujourd’hui réfugiée avec ses employeurs dans un village proche de la capitale libanaise, Beyrouth.

Comme Claire et Maeva, nombreuses sont les travailleuses domestiques africaines coincées au Liban et qui vivent ces bombardements, sans pouvoir faire grand-chose. Elles ne peuvent même pas se déplacer de peur de perdre leur vie dans ces frappes israéliennes de plus en plus intenses.

Il est difficile de fuir

Cette guerre déclenchée par Israël il y a quelques jours, fait des déplacés et beaucoup de victimes. Au nombre de ces victimes, des Africaines travailleuses domestiques dans les familles libanaises. Ces dernières sont prises entre les feux de ces bombardements et cherchent des moyens pour fuir et trouver des zones calmes pour se mettre à l’abri.

La nuit du dimanche 6 au lundi 7 octobre a connu de nouvelles frappes israéliennes sur le sud de Beyrouth. L’armée israélienne a annoncé avoir visé le siège du Hezbollah lors de ces bombardements. Les bilans font état de douze personnes tuées dimanche dans ces frappes.

L’armée israélienne attaque ainsi les zones frontalières du Liban, surtout le sud de Beyrouth avec plusieurs centaines de morts selon les chiffres officiels.

Lorsque BBC Afrique a contacté Mme Gentille Margarite Klugan, présidente de l’association Solidarité togolaise du Liban (STL) depuis Beyrouth, elle a indiqué que sa communauté composée de Togolaises travailleuses domestiques au Liban, prie seulement que la guerre s’arrête. Parce que, selon elle, il n’y a pas possibilité de fuir ou quitter le pays.

Mme Gentille Margarite Klugan

« Ces travailleuses ne peuvent même pas quitter le pays, puisque l’aéroport a été fermé », dit-elle, en ajoutant qu’elle remet le sort de tous ses compatriotes entre les mains de Dieu.

Cependant, de nombreux travailleurs domestiques africains au Liban ont leur regard tourné vers les dirigeants de leur pays. Beaucoup appellent à organiser des rapatriements. D’autres préfèrent faire des déplacements internes et se mettre à l’abri, surtout migrer vers Beyrouth ou le nord de la capitale libanaise.

Qui travaille comme domestique au Liban ?

Selon un rapport de Amnesty International, plus de 250.000 personnes venues d’Afrique et d’Asie travaillent en tant que domestiques au Liban. Ces travailleurs, pour la plupart des femmes, sont exclus des protections du droit de travail dont jouissent les autres travailleurs au Liban et dans le monde.

Ils ne bénéficient pas de certains avantages liés au nombre d’heures de travail, la rémunération d’heures supplémentaires et autres. Ces travailleurs sont liés par la Kafala ou système de parrainage qui est largement connu au Liban. C’est une mesure tirée du droit musulman et qui se substitue à l’adoption. Celle-ci étant ill »gale en droit musulman. Au Liban, la kafala est réputée comme étant une mesure qui soumet les travailleuses domestiques migrantes à des conditions de travail dures ainsi qu’à une précarité économique.

A la recherche d’une meilleure situation de vie, nombreux sont ces Africains qui travaillent et vivent dans ces pays. Leur objectif est de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles restées en Afrique.

 

Cette guerre qui a commencé depuis quelques jours les rend encore plus vulnérables.

« On a vraiment peur »

« Moi j’ai envie de quitter, mais je ne peux pas », confie Oboubé, une béninoise, travailleuse domestique au Liban.

Mais elle a eu une chance que d’autres travailleuses africaines n’ont pas. En fuyant la guerre, ses patrons qui ont quitté Beyrouth pour se réfugier dans un village proche de la capitale libanaise, l’ont amené avec eux. « Actuellement je suis dans un village appelé Mesrallah, non loin de Beyrouth avec mes patrons. On a vraiment peur ».

D’autres travailleuses domestiques n’ont pas la chance d’accompagner leurs patrons pour se mettre à l’abri. Dans la plupart des situations, ces domestiques sont laissées à leur sort, dans les maisons où elles travaillent.

« Nous sommes dans un grand problème ici. Tout le monde attend que notre président nous vienne en aide », espère la Camerounaise Claire.

2 500 travailleuses domestiques togolaises coincées au Liban

Selon la présidente de la communauté togolaise, plus de 2 500 travailleuses domestiques togolaises sont au Liban. Une estimation du ministère libanais du Travail, nous dit-elle. Toutes ces personnes sont menacées et vivent dans la peur tous les jours depuis le début de la guerre.

« Il y a eu des morts et des blessés du côté des ressortissants africains, mais nous n’avons pas encore des chiffres officiels. La grande majorité de ceux qui résidaient au sud du Liban et dans la zone à hauts risques ont rejoint Beyrouth et ses environs », indique Mme Klugan.

Cette Togolaise résident au Liban souligne que c’est la panique générale dans la communauté togolaise dans ce pays où Israël mène une guerre contre le groupe paramilitaire Hezbollah.

« Depuis l’intensification des frappes israéliennes, nous sommes partiellement confinés, nos déplacements sont considérablement réduits, nos compatriotes qui résidaient au sud du Liban ont rejoint la capitale Beyrouth pour des raisons de sécurité », ajoute la responsable de cette communauté.

Pour le moment, aucun processus de rapatriement n’est en vue, selon la responsable. « Plusieurs pays de l’Union Européenne et certains pays du Moyen-Orient ont rapatrié leurs ressortissants, mais du côté de la communauté togolaise, aucun processus de rapatriement n’est envisagé. Mais les retours volontaires sont possibles. Nous prions plutôt pour le retour de la paix et la sécurité dans le pays », dit-elle.

Elle souligne par ailleurs que de nombreux Togolaises trouvent refuge dans l’agence de recrutement grâce à laquelle elles sont partis au Liban. Elles sont enregistrées pour un possible retour au Togo, dans l’espoir que le gouvernement de ce pays décidera dans un bref délai le rapatriement.

« Les personnes qui viennent à l’agence, ce sont celles dont les patrons ont quitté le Liban pour d’autres pays », souligne Mme Klugan. Parce que, poursuit-elle, la conséquence directe de cette guerre, « c’est la rupture des contrats de travail de certains compatriotes, ceux qui travaillent peuvent également se retrouver sans salaire ».

Certains pays africains annoncent des rapatriements

Sur le continent, des gouvernements se préparent à faire quitter leurs ressortissants du Liban en guerre avec Israël. C’est le cas de la République démocratique du Congo (RDC) qui a annoncé avoir mis en place un processus de rapatriement volontaire.

« En raison de la détérioration de la situation sécuritaire au Liban, le gouvernement congolais annonce un processus de rapatriement volontaire pour les Congolais ainsi que leurs familles », informe un communiqué signé du premier Conseiller de l’ambassade de la RDC en Egypte, Nzimoto Kamesi.

Mercredi dernier, le Kenya a demandé à tous ses ressortissants au Liban de s’inscrire sur une liste avant le 12 octobre pour un rapatriement. Le ministère kenyan des Affaires étrangères et de la diaspora a indiqué que deux groupes de ses ressortissants ont déjà été évacués.

Il souligne que le gouvernement du Kenya donne la priorité à ceux qui sont inscrits. Ils seront priorisés par rapport à ceux qui ne l’étaient pas, au moment de l’évacuation.

Le Nigeria a également demandé à ses ressortissants de quitter le Liban pour se mettre à l’abri de cette guerre.

Cri d’alerte du Mouvement Martin Luther King aux dirigeants africains

Le Mouvement Martin Luther King (MMLK) basé au Togo a exprimé ce lundi sa préoccupation quant à la situation des travailleuses domestiques africaines, notamment togolaises au Liban. Il intervient au moment où les attaques aux missiles par l’Iran sur Israël et le bombardement des sites militaires de Hezbollah au Liban continuent en Moyen-Orient.

« Ce qui préoccupe le MMLK en ce moment précis est le sort des femmes travailleuses domestiques dont les pays du Golfe et du Moyen-Orient sont majoritairement leur destination avec des conditions de vie souvent déplorables », s’inquiète le Pasteur Edoh Komi, président du mouvement et Maire-adjoint de la commune Golfe 2 à Lomé, la capitale togolaise.

Pasteur Edoh Komi, président du mouvement et Maire-adjoint de la commune Golfe 2 à Lomé

Il regrette également que les employeurs de ces domestiques ne prennent aucune mesure pour les protéger « en ces temps durs où le dialogue vers un cessez-le-feu, le calme et la paix peinent à être envisagé ».

« Face à cette nouvelle escalade où des vies humaines sont encore plus menacées que jamais, le MMLK appelle et exhorte les pays africains plus spécifiquement les dirigeants à une prise de décision rapide pour la protection ou le rapatriement de ces compatriotes coincés dans cette situation subversive sans issue. Il est temps d’agir pour protéger la vie des ressortissants africains dans cette partie du monde désormais instable et vulnérable ».

Il laisse entendre que déjà ces travailleuses domestiques travaillent dans des conditions déplorables, et la situation actuelle vient rendre les choses plus confuses.

« Aucune d’entre elles n’a encore émis le vœu de rentrer, parce qu’il que faut les aéroports tiennent debout, qu’il y ait une possibilité de les évacuer. Mais, nous continuons de travailler sur cette situation et dès qu’il y a une opportunité nous n’hésiterons pas à la saisir pour voler au secours de nos sœurs », déclare le Pasteur Edoh Komi.

Il lance un appel particulièrement au gouvernement togolais pour le rapatriement de ses compatriotes.

« Notre mouvement demande au gouvernement togolais d’oeuvrer pour rapatrier nos compatriotes. Le ministère des Affaires étrangères doit prendre toutes les mesures avec les représentations diplomatiques du Liban pour que les Togolaises puissent rentrer, parce que la situation s’empire », ajoute-t-il.

Mais pour l’instant, ces travailleuses domestiques africaines prennent leur mal en patience. Pour elles, tout peut leur arriver à tout moment, surtout celles qui sont abandonnées par leurs patrons.