Gabon : «Il ne fait aucun doute que le général Oligui Nguema briguera la magistrature suprême»

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Au Gabon, on l’a appris ce mercredi 22 janvier, c’est dans moins de trois mois, le 12 avril 2025, que se tiendra la présidentielle qui amorcera le retour à un régime civil, près de deux ans après le coup d’État militaire du 30 août 2023. L’auteur de ce putsch, le général Oligui Nguema, sera-t-il candidat à ce scrutin ? Et si oui, y aura-t-il en face de lui des poids lourds de l’opposition ? Rien n’est moins sûr. Bergès Mietté est enseignant chercheur à l’université internationale de Libreville et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde, à Sciences Po Bordeaux. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Le 8 janvier dernier, quatre figures de l’opposition, le professeur Albert Ondo Ossa, l’ancien vice-président Pierre-Claver Maganga Moussavou, l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze et l’ancien ministre Ali Akbar Onanga Y’Obegue, ont exigé une interdiction formelle pour tout militaire du CTRI, le Comité pour la transition et la restauration des institutions, de se porter candidat aux prochaines élections. Mais est-ce que le code électoral ne prend pas le contrepied de cette demande ? 

Bergès Mietté : Oui, tout à fait, puisque le nouveau code électoral dit que désormais, les militaires, comme tous les autres citoyens de la République, peuvent prétendre à des fonctions politiques électives. Donc, lorsque les principaux leaders de l’opposition, que vous citez, ont appelé les militaires, en réalité ont appelé Brice Clotaire Oligui Nguema à ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle à venir, c’était simplement un appel pour que le président tienne les engagements qu’il a pris à l’égard du peuple gabonais au moment du coup d’Etat, puisque, officiellement lui-même, il avait déclaré qu’il devrait, à l’issue de la transition, rendre le pouvoir aux civils. Je pense que c’est surtout sur cet aspect-là que ces leaders-là se sont prononcés. 

Donc, au terme du nouveau code électoral, le général Oligui Nguema, s’il le décide, va pouvoir se présenter le 12 avril prochain. Comment va réagir l’opinion publique gabonaise par rapport à la promesse qu’il avait faite le 30 août 2023 ?

Je pense qu’il ne fait aucun doute que le général briguera la magistrature suprême. Ce que l’opinion gabonaise attend davantage, c’est la capacité du président de moderniser le pays. Est-ce que Brice Clotaire Oligui Nguema est capable, mieux que le régime précédent, de transformer le pays, de répartir équitablement les ressources du pays de manière à ce que tous les Gabonais puissent en profiter ? Je pense que la vraie question, c’est à ce niveau-là. Maintenant, si les leaders de l’opposition estiment qu’ils ont la capacité de porter et de réaliser ce projet-là, je pense qu’ils ont tout à gagner à se porter candidat à l’élection présidentielle, de sorte que le meilleur l’emporte.

Mais si l’opposition fait campagne contre le fait qu’un militaire soit candidat, vous pensez que ça n’aura pas beaucoup d’écho dans la population gabonaise ?

C’est vrai que, depuis quelque temps, l’euphorie qui accompagnait « le coup de libération » de 2023 s’est plus ou moins estompée. Certains Gabonais deviennent de plus en plus critiques à l’égard des nouvelles autorités. Qu’à cela ne tienne, Brice Clotaire Oligui Nguema a encore des soutiens au niveau national et, globalement, je pense que beaucoup parmi les Gabonais ne verraient aucun obstacle à ce qu’il puisse se porter candidat à l’élection présidentielle.

Alors pour cette élection du 12 avril, les conditions d’éligibilité sont très restrictives. Est-ce qu’il restera des leaders de l’opposition qui seront éligibles ?

Oui. Les nouvelles autorités se sont employées plutôt avec maestria à neutraliser l’opposition traditionnelle. Si bien qu’aujourd’hui, si la candidature de Brice Clotaire Oligui Nguema ne fait plus de doute, la vraie question, me semble-t-il, est de savoir face à qui il sera opposé le 12 avril prochain.

Justement, qui sont les leaders actuels de la classe politique gabonaise qui ne seront ni trop vieux, ni binationaux, ni enfants de parents pas gabonais, ni marié à un conjoint ou une conjointe pas gabonaise… Qui pourra se présenter ?

Je pense que c’est le vrai enjeu, effectivement. Ce scrutin sera-t-il réellement compétitif ? Ou alors il sera question d’un match amical sans doute entre le général et un opposant de circonstance ou quelqu’un sans réelle envergure.

Et parmi les opposants éligibles, faut-il envisager que certains décident de boycotter ce scrutin ?

Oui, sans doute. C’est possible, puisque c’est un phénomène qui est quelquefois récurrent au Gabon.

À quelles conditions cette élection sera-t-elle transparente le 12 avril ?

On se souvient que la transition intervient à l’issue des élections générales du 26 août 2023, dont les résultats ont été jugés frauduleux par les militaires. Donc, ils ont pris le pouvoir pour restaurer la dignité des Gabonais et les institutions de la République qui ont été mises à mal par l’ancien régime. Et je pense que ce scrutin-là, c’est un test.

Alors, vous évoquez le problème de la transparence des élections. Si elles restent organisées par le ministère gabonais de l’Intérieur, est-ce que cela ne va pas jeter la suspicion sur leurs résultats ?

Désormais, au Gabon, le ministère de l’Intérieur est le principal organisme de gestion des élections. Certains doutent de la capacité du ministère de l’Intérieur d’organiser de manière démocratique des élections à venir, mais je pense qu’il est trop tôt pour faire ce procès-là. On attend de voir comment est-ce que, de manière pratique, les élections à venir seront organisées.