Bénin : Franck OKE réagit au projet de loi qui permettra au président de suspendre l’exécution d’une décision de justice

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(« … tout aménagement normatif infra – constitutionnel qui confère un pouvoir d’immixtion au président de la république violerait la constitution», dixit l’homme de droit Franck OKE)

En conseil des ministres 21 septembre 2022, le gouvernement a annoncé la transmission à l’Assemblée nationale du projet de loi portant modification et complément de la loi n°2018-14 du 18 mai 2018 portant code de procédure pénale en République du Bénin. C’est un projet de loi pour permettre au président de la république de suspendre l’exécution d’une décision de justice. « … tout aménagement normatif infra – constitutionnel qui confère un pouvoir d’immixtion au président de la république violerait la constitution», dixit l’homme de droit Franck OKE, réagit l’homme de droit, Franck OKE.

Le conseil rappelle qu’en vue d’humaniser et de moderniser les peines prévues par le code pénal, le législateur béninois a supprimé la peine de mort, les travaux forcés, puis introduit les peines alternatives et renforcé le régime de l’aménagement des peines.

Toutefois, fait savoir le gouvernement Talon, les restrictions et conditions légales pour jouir de ces mesures en limitent la portée. En effet, elles ne sont admises que pour les peines correctionnelles, excluant dès lors les personnes condamnées pour des faits criminels. Elles ne permettent donc pas au gouvernement d’apporter des réponses adaptées aux situations exceptionnelles d’ordre social et humanitaire. C’est pourquoi, explique l’Exécutif,  il apparaît nécessaire de compléter le dispositif de la libération anticipée.

Selon le gouvernement, la réforme proposée vise à conférer au Président de la République, après avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature, le pouvoir d’ordonner la suspension de l’exécution de la peine lorsque celle-ci est justifiée pour des raisons sociales et humanitaires.

Dans les dispositions du projet de loi, « les condamnés à une peine privative de liberté peuvent également et exceptionnellement bénéficier de la suspension de l’exécution de la peine lorsque, l’exécution entamée, il est établi à leur égard une conduite de nature à justifier la mesure ou que celle-ci est dictée par les considérations d’ordre social et humanitaire significatives ».

Le texte soumis à l’étude de l’Assemblée nationale par le gouvernement précise que cette suspension est faite à la requête de la personne condamnée, pour une durée qui ne saurait excéder 5 années civiles, renouvelable une seule fois. En plus, aucune suspension de l’exécution de la peine ne saurait excéder 10 ans, mais lorsqu’après le renouvellement, la durée de 10 années est expirée, la suspension produit les effets d’une grâce présidentielle.

Par ailleurs, le même texte précise que « lorsque le renouvellement n’est pas ordonné au terme de la première période de 5 années, l’exécution de la peine reprend son cours sur réquisition du procureur de la République près le tribunal du lieu d’exécution de la peine et selon les dispositions du code de procédure pénale ». Toutefois, « lorsque la peine prononcée est la réclusion ou la détention à perpétuité, la suspension de son exécution est exclue ».

Entre autres réactions à cette décision du conseil des ministres, celle de l’homme de droit Franck OKE. Il l’a fait savoir au cours d’un débat sur les réseaux sociaux ce jeudi 22 septembre 2022.

Réaction de l’homme de droit, Franck OKE

« Du point de vue constitutionnel, le Président de la République est le garant de l’exécution des décisions de justice. Ceci est un corollaire du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Ce principe a été renforcé par une jurisprudence constante de la cour constitutionnelle dont la plus marquante reste la décision DCC 07 -175 du 27 décembre 2007.

En effet, saisie par six requêtes pour violation de la constitution par une décision du conseil des ministres en date du 10 octobre 2007 suspendant l’exécution des décisions de justice rendues notamment en matière domaniale en milieu urbain, le juge constitutionnel, avant de se prononcer sur l’acte posé par le gouvernement, fait une analyse de la constitution, plus précisément *des prérogatives* du Président de la République et du gouvernement en matière *d’exécution des décisions judiciaires*. La cour constitutionnelle rappelle qu’ *en cas de refus du Président de la République ou du gouvernement de prêter son concours à l’exécution des décisions judiciaires, non seulement il y a déni de l’indépendance de la justice, mais en plus il y a engagement de la responsabilité de l’État qui doit indemniser la victime en raison, dans le cas d’espèce de son droit de propriété conforté par les décisions de justice relatives aux litiges fonciers.

En clair, la décision du conseil des ministres suspendant l’exécution des décisions de justice constitue une ingérence dans le fonctionnement normal du pouvoir judiciaire et porte atteinte au  principe de la séparation des pouvoirs.

C’est donc tout logiquement qu’elle a été déclarée non conforme à la constitution. Rappelons que la démocratie et la séparation des pouvoirs ne supportent guère de limitation ou de réduction de leurs composantes même si déjà la constitution confère au Président de la République  le droit de grâce ( article 60) qu’il exerce dans les conditions définies par l’article 130 et à l’Assemblée nationale la possibilité d’adopter une loi d’amnistie aux termes des dispositions de l’article 98 tiret 5 de la constitution.

En conclusion, tout aménagement normatif infra – constitutionnel ( réglementaire ou législatif) qui confère un pouvoir d’immixtion au président de la république dans l’espace très sensible des décisions judiciaires ( aux fins d’en suspendre les exécutions) violerait la constitution de notre pays qui rappelle à l’entame de son préambule l’affirmation de sa détermination de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, fondé sur la séparation des pouvoirs, la garantie et la protection de la justice »n a réagit ce jeudi l’homme de droit Franck OKE dans un débat sur les réseaux sociaux.

Il faut préciser que suite à la transmission de  ce projet de loi à l’Assemblée nationale, le gouvernement a instruit le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation  à l’effet d’en exposer les motifs et de soutenir la discussion devant la Représentation nationale. Et pour certains observateurs, ce projet de loi sera une fois encore adopté à l’unanimité par la 8e législature où siègent des députés issus des deux blocs soutenant le chef de l’État.

A.C.C.