Contraints au chômage après leur formation par une politique du gouvernement qui limite le nombre de recrutements à la Fonction publique, des médecins diplômés Camerounais, pour survivre, sont obligés d’émigrer ou de faire des activités différentes de leur métier. BBC Afrique s’est penché sur la question dans l’émission Au Cœur de l’Actu.
Depuis 2020, le nombre de médecins au chômage au Cameroun a grimpé en flèche à cause d’un changement de politique gouvernementale qui limite drastiquement le nombre de recrutements de nouveaux diplômés à la fonction publique.
Ainsi pour gagner leur vie ou pour survivre, certains jeunes médecins trouvent d’autres moyens différents de leur métier de cœur.
Bon nombre de ces jeunes médecins sont obligés de pratiquer la médecine de manière illégale ou d’émigrer.
Tenir la boutique pour survivre
C’est dans sa ferme que Dr Clément Difo nous a donné rendez-vous. Il souhaiterait voir des patients, mais au lieu de cela, il nourrit ses poulets.
« Tout récemment, on a perdu beaucoup… », explique-t-il.
Il est l’un des milliers de médecins au chômage au Cameroun. Et comme ses nombreux collègues, il a regardé au-delà de la médecine pour gagner sa vie. En plus d’élever des poulets, il a aussi une entreprise de fabrication de briques et une boutique dans un marché animé de Douala.
Pour lui et ses camarades de promotion, c’est une question de survie. Il faut nécessairement s’organiser pour tirer son épingle du jeu.
Si les médecins diplômés des universités publiques du Cameroun avaient toujours eu la garantie d’un emploi dans le système de santé publique, ils ont eux été victimes de la fin en 2020 de cette politique gouvernementale.
« J’ai toujours le sentiment qu’ici ce n’est pas ma place. Un médecin ne doit pas se retrouver en train de faire la boutique. Mais puisque je dois avoir quelque chose pour mon gagne-pain quotidien, je suis obligé », dit-il.
« Je pense que c’est à la dernière année en Faculté de médecine que les données ont changé. On se disait même que c’était une blague », confie le jeune médecin-entrepreneur.
Après avoir nourri ses poulets, Dr Clément Difo se rend au marché pour chercher un produit qu’un client a acheté en ligne dans sa boutique.
Il s’efforce de réunir les fonds nécessaires pour la création d’une clinique privée même si les coûts sont considérables et que la demande qu’il a déposée pourrait prendre des années.
« Avec le temps qui passe, j’ai l’impression que j’ai accumulé un peu des retards mais on garde espoir. On tient bon et on pense qu’un jour, certainement ça va aller. »
Exercer dans la clandestinité, malgré ses compétences
Il y a environ un médecin pour 7 000 habitants au Cameroun, selon le gouvernement. Mais la plupart sont concentrés dans les centres urbains, laissant de nombreux vides sanitaires dans le pays.
Certains diplômés refusent de renoncer à leurs compétences durement acquises même s’ils doivent les utiliser en dehors du cadre règlementaire.
Cette situation ouvre une brèche, une opportunité pour certains de ces jeunes médecins diplômés, non recrutés par le gouvernement ou les cliniques privées, de pratiquer leur métier en cachette.
Il est 20h30 dans une banlieue reculée de Douala. L’un de ces médecins, qui souhaite rester anonyme, nous l’appellerons ici Marcel, se rend prudemment dans l’obscurité au domicile d’un patient âgé.
C’est sous un faible éclairage qu’il examine sa patiente allongée sur trois chaises alignées qui font office de lit. L’examen terminé, il rédige une ordonnance et se voit remettre un billet de 5 000 FCFA.
« Toute la journée comme ça, un médecin a seulement 5 000, ça c’est… » (il coupe la phrase par un rire révélateur du profond regret qu’il ressent pour sa situation)
Il explique que lorsqu’il rentrera chez lui, il aura dépensé près de 3 000 de ces 5 000 FCFA en transport. La veille de cette visite à domicile, nous l’avons rencontré devant la Faculté de médecine où il a étudié pendant 7 ans.
C’était pour lui, comme revenir sur un lieu de « crime ». C’est là où son espoir a été « assassiné », « sacrifié ».
« Le rêve qu’on avait lorsqu’on entrait dans cette école nous a été volé par l’Etat et puis ce n’est qu’un désespoir, ce ne sont que des pleurs », raconte-t-il.
Le syndicat des Médecins du Cameroun estime qu’au moins 2 000 médecins généralistes ont été diplômés au cours des trois dernières années et que la grande majorité d’entre eux sont au chômage.
Cette année, comme les deux précédentes, seuls 50 d’entre eux seront intégrés à la Fonction publique par voie de concours.
« Si le médecin n’est pas intégré, il souffre … mais c’est la population camerounaise en général qui souffre parce qu’elle n’est pas bien prise en charge sur le plan médical. Mais cela crée également une grande fuite de cerveaux », regrette-t-il.
La grande fuite de cerveaux
A défaut de travailler dans d’autres secteurs et de faires des visites clandestines à domicile, plusieurs de ces jeunes médecins préfèrent quitter le Cameroun.
Falonne Niakam Mbouleup faisait partie de la première promotion touchée par la nouvelle politique du gouvernement camerounais.
Confrontée à la faiblesse des salaires dans les cliniques privées et au coût élevé de la formation continue, elle s’est installée au Sénégal où elle s’est spécialisée en neurologie.
Elle espère revenir au pays un jour, mais dans de bonnes conditions.
« Quand je regarde le Cameroun, je pense qu’il y a encore beaucoup à faire, surtout dans mon domaine. Et du coup, ce serait un gâchis de ne pas y retourner même si les conditions de travail ne sont adéquates, même si on ne paie pas forcément bien les médecins », indique la neurologue.
Toutefois, elle a des doutes en pensant à toutes les conditions qui lui ont fait quitter son pays.
« Quand je pense à tout cela, retourner au Cameroun… ça craint. Même si on aime bien travailler au Cameroun, c’est bien qu’on puisse vivre de ce pourquoi on est allé à l’école », confie-t-elle.
Le Gouvernement n’a pas encore la solution au problème
Dr Malachie Manaouda, Ministre Camerounais de la Santé Publique s’est bien livré à nos questions sur le sujet. Mais il ressort de ces réponses dans cet entretien que le gouvernement du Cameroun n’a pas encore la solution à ce problème.
M. le ministre, comment peut-on comprendre cette politique de non-intégration des médecins au Cameroun ?
Nous parlons peut-être d’une non-intégration de ceux qui sortent des écoles, mais nous refusons certainement de parler de l’intégration automatique qu’il y a eu pendant cinq ans durant. C’est simplement qu’on est à la fin de ces cinq ans.
Les raisons sont simples. Vous savez très bien qu’il y a une politique de planification des ressources humaines d’un Etat en fonction également de la trésorerie de l’Etat. Nous sommes simplement arrivés à la fin de ces cinq ans. Et aujourd’hui, en fonction de la trésorerie de l’Etat, en fonction de la programmation, c’est-à-dire du plan des effectifs de l’Etat, des concours sont organisés, mais ce n’est plus systématiquement comme ça l’était.
Mais chaque année, quand même l’Etat lance, ce n’est pas beaucoup, mais il y a des places qui sont ouvertes au niveau de la Fonction publique pour prendre certainement les meilleurs parce que c’est par voie de concours.
Maintenant, est-ce que la seule voie qui existe c’est la Fonction publique ? Je ne pense pas. Il n’y a pas que les hôpitaux publics. Non ! D’ailleurs, nous avons beaucoup plus d’hôpitaux privés. Mais ils doivent employer tout ce monde-là.
On peut quand même se demander, pourquoi arrêter cette intégration automatique alors que le besoin est bien présent ?
Evidemment que nous avons un gap. Nous avons en ce moment 3184 généralistes qui exercent sur le terrain. Nous avons près de 1250 spécialistes qui exercent sur le terrain.
Maintenant, le gap, il est également de 3000 généralistes et de 3000 spécialistes que nous sommes en train en réalité de susciter pour pouvoir les avoir à notre disposition, en faisant un certain nombre d’équilibre entre les régions, entre les formations sanitaires, de manière à ce qu’aucune population ne puisse manquer de soins appropriés.
Le système, le dispositif sanitaire camerounais aujourd’hui, bien que souffrant de ce manque de personnel, réussit à donner le meilleur, réussit à dispenser des soins de qualité à nos populations.
Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que les médecins formés par les écoles Camerounaises vont se chercher sous d’autres cieux alors que leur pays formateur est dans le besoin ?
Il y a deux manières de considérer le départ du Cameroun : ça peut être un départ pour aller mieux acquérir d’expériences et revenir pour mieux servir son pays. Cela est un bon départ à notre sens.
Il y a le départ pour partir et dire ‘bon, je n’en veux plus’ et jouer un mauvais rôle, ça c’est un mauvais départ. Et donc, il ne faut pas classer tous ceux qui sont partis dans ce panier de départs en dépit parce qu’ils sont déçus par le système. Non.
Et d’ailleurs, nous sommes aujourd’hui en train de créer des conditions de collaboration avec cette diaspora médicale camerounaise parce qu’il y en a beaucoup qui veulent revenir. Il y en a beaucoup qui veulent servir le Cameroun même étant de l’extérieur.
Et donc, nous sommes en train de mettre en place une passerelle ; ce qui devrait leur permettre chacun à son niveau, chacun suivant sa disponibilité pouvoir permettre à contribuer à faire évoluer le système et le dispositif sanitaire camerounais.
Est-il prévu de revenir à un système d’intégration automatique à la fonction publique de médecins formés ?
Pour le moment, je ne saurais vous le dire. Cela ne relève pas de mes compétences. Il y a tout au moins des discussions qui sont en cours.
Source: BBC