L’Ivoirien Charles Blé Goudé sera de nouveau devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), ce lundi 13 décembre. Définitivement acquitté de crimes contre l’humanité au printemps, il réclame désormais des compensations pour « erreur judiciaire ».
Charles Blé Goudé a-t-il été la victime d’une erreur judiciaire ? L’ancien ministre de Laurent Gbagbo l’affirme et réclame à la Cour 819 300 euros de compensations pour les années passées en détention préventive depuis son transfèrement à La Haye le 22 mars 2014. Accusé de crimes contre l’humanité commis lors des violences qui avaient suivi la présidentielle de novembre 2010, Charles Blé Goudé a été définitivement acquitté le 31 mars dernier.
Mais dans sa requête, le président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) affirme que sa carrière politique était promise à un bel avenir, « s’il n’avait pas passé ses années les plus productives en détention » pour une affaire « entachant irréversiblement sa réputation ». Des années qu’il a passées « à des milliers de kilomètres de sa famille », ajoute-t-il, et sans revenus. Il réclame donc plus de 819 000 euros, soit 300 euros par journée passée dans la prison de Scheveningen, ou à défaut 381 900 euros, depuis que le procureur a bouclé la présentation de ses témoins, début 2018.
Le procureur défend son dossier
Dans leur décision d’acquittement de janvier 2019, les juges avaient largement critiqué le dossier de l’accusation et la qualité des enquêtes. Mais cela n’en fait pas pour autant une erreur judiciaire, avance le procureur qui estime que si « l’accusation doit enquêter avec intégrité […], elle n’est pas obligée, ni ne peut s’attendre, à garantir un résultat particulier dans une procédure pénale ».
Dans son mémoire en réponse à l’ancien chef des Jeunes patriotes, l’accusation considère que « le dossier du procureur était complexe et largement basé sur des preuves circonstancielles. Mais la majorité des juges au procès et en appel, en dépit de leurs critiques, n’ont pas établi qu’il y ait eu une quelconque erreur judiciaire ». Elle rappelle encore que deux des cinq juges préconisaient d’organiser un nouveau procès, de tout reprendre à zéro.
Cent cinquante-sept témoins, des milliers d’archives
En réclamant des compensations, Charles Blé Goudé donne l’opportunité au procureur de défendre son travail. Dans son mémoire, l’accusation affirme avoir interrogé 157 témoins, récolté des milliers d’archives gouvernementales, dont celles des ministères de la Police, de l’Intérieur et de la Défense, ainsi que celles retrouvées au palais présidentiel et à la résidence de l’ex-chef d’État.
Elle évoque encore les témoins de l’intérieur, dont les généraux Philippe Mangou et Edouard Kassaraté, qui, à la barre, n’avaient pourtant pas soutenu les thèses de l’accusation. Et si les juges ont considéré que les documents fournis par le gouvernement ivoirien étaient mal authentifiés, le procureur rappelle que les procès « comportent généralement des documents obtenus d’anciennes archives gouvernementales à la suite d’une période de violence ou de conflit pour lesquels les auteurs des documents ne sont pas disponibles pour témoigner ».
Suite à la décision d’acquittement, en janvier 2019, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient restés deux semaines supplémentaires en détention, à la demande du procureur. Ils avaient ensuite été placés en liberté conditionnelle, le temps pour la Cour de trancher l’appel intenté par l’accusation. En résidence à Bruxelles où résidait sa famille, Laurent Gbagbo a pu rentrer en Côte d’Ivoire en juin, après avoir obtenu son nouveau passeport des autorités ivoiriennes. Charles Blé Goudé n’a jamais quitté La Haye où il réside toujours. Il affirme attendre toujours un passeport des autorités ivoiriennes. Fin décembre 2019, il avait été condamné par un tribunal d’Abidjan, en son absence, à 20 ans de prison.
Les victimes s’opposent
Les avocats des victimes s’opposent à la demande de Charles Blé Goudé, mais n’auront pas voix au chapitre lors de l’audience du 13 décembre. Malgré leur insistance, les juges ont refusé leur participation à cette partie de la procédure, même si leurs avocats ont souligné leur implication dans l’affaire, « pendant près d’une décennie et qui ont si lourdement affecté leur vie, la vie de leurs familles et leurs communautés ».
Dans sa requête, Charles Blé Goudé assure vouloir « contribuer dans un avenir proche au processus de transition en Côte d’Ivoire. » Il affirme encore qu’il utilisera « une partie des recettes pour venir en aide à toutes les victimes des violences postélectorales en Côte d’Ivoire ». Mais pour les avocats des 727 victimes représentées lors du procès, cet engagement « semble dénué de tout sens réel ».
Si les juges ont acquitté les deux responsables ivoiriens, ils ont aussi reconnu les violences perpétrées en Côte d’Ivoire. L’affaire n’est pas pour autant entendue : l’ex-patron des Jeunes patriotes va devoir prouver qu’il est la victime d’une « erreur judiciaire grave et manifeste ». Avant lui, le milicien congolais Mathieu Ngudjolo et l’ex-vice-président Jean-Pierre Bemba ont échoué.
RFI