Le président béninois Patrice Talon a promulgué la loi disposant que « les personnes ayant un ascendant africain déporté dans le cadre de la traite des noirs et du commerce triangulaire » peuvent faire une demande de naturalisation. Autre condition, le père ou la mère de ces personnes doit être né avant 1944. Kakpo Mahougnon, député de l’UPR (mouvance présidentielle), professeur à l’Université d’Abomey-Calavi et spécialiste d’études africaines, est l’invité d’Afrique midi.
RFI : Pourquoi avoir décidé d’ouvrir la naturalisation béninoise aux descendants d’Africains déportés dans le cadre de la traite des Noirs ?
Kakpo Mahougnon : Ce test a été surtout motivé par la volonté de relier cette grande partie des Africains déportés dans le cadre de la traite des noirs du commerce triangulaire à la source. Vous savez qu’un être humain est caractérisé par une psychologie et que cette psychologie le détermine. Quelques-uns des éléments qui concourent à la détermination de cette psychologie et qui la stabilisent sont l’équilibre et la culture. Or, dans le cadre de la traite des Noirs, une grande partie des Africains a été déportée et coupée de la source. Là où ils se trouvent, éparpillés dans une diaspora noire assez importante, ils maintiennent la culture. Or, cette culture, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est une culture, disons, hétéroclite, et il est nécessaire et normal qu’ils soient davantage rattachés à la source de cette culture dont ils ont été coupés brutalement.
Le président Patrice Talon a fait du développement du tourisme mémoriel un axe fort de sa politique. Est-ce que cette loi, qui permet aux personnes ayant un ascendant victime de la traite négrière d’acquérir la nationalité béninoise, est aussi un moyen d’attirer plus de monde au Bénin ?
Non, ce n’est pas l’objectif réel poursuivi, pas du tout. Parce que, quand on dit les choses de cette façon, on a l’impression que c’est superficiel et que c’est fait à dessein pour un autre objectif. L’objectif fondamental, et je peux vous l’assurer, c’est de relier cette grande partie de l’Afrique hors d’Afrique, c’est de relier cette partie-là à la source de la culture africaine. Parce que, vous savez, lorsqu’ils vont se sentir revenir chez eux, il y aura une sorte de magie qui fonctionne au niveau de l’être. C’est cela, l’objectif qui est recherché, pour que l’on ne soit pas toujours coupé et éloigné d’où l’on vient.
Il n’y a pas de stratégie économique, donc.
Non, a priori, ce n’est pas l’objectif, la stratégie économique, pas du tout. C’est de permettre à ces afro-descendants de se sentir chez eux, de se sentir bien dans leur peau et de savoir qu’ils sont revenus chez eux.
Je parle sous votre contrôle, toute personne ayant un ascendant africain déporté dans le cadre de la traite d’esclaves peut déposer une demande, que ce descendant ait – ou non – transité par le Bénin.
Bien sûr. La loi le précise, à partir du moment où il peut justifier qu’il est afro-descendant, mais avant 1944. Toutes ces précisions-là ont été indiquées dans le test de loi.
Les historiens s’accordent à dire que 13 millions d’Africains ont été convoyés au-delà de l’océan Atlantique entre la fin du XVème siècle et la fin du XIXème siècle, un million par le seul port de Ouidah. Cela représente un potentiel nombre immense de personnes qui seraient concernées.
Oui, bien entendu. Vous savez, ce n’est pas tout le monde qui a cette volonté de déposer sa demande pour obtenir la nationalité par reconnaissance. L’expérience commence et puis nous verrons ce que ça va donner. Si tout ceux-là étaient restés dans le pays, vous voyez ce que cela deviendra aujourd’hui ? Cela serait un bénéfice pour le pays. La stratégie de retour par la reconnaissance est une stratégie qui permet à ceux-là de revenir d’une façon ou d’une autre. Nous n’avons pas la crainte du nombre ou de l’effectif.
La nationalité donne le droit d’entrée et de séjour sur le territoire, le droit à un passeport. Il était question, je crois, que les personnes concernées ne puissent ni voter ni travailler dans la fonction publique. C’est bien ce que dit le texte de loi qui a été promulgué ?
Oui, pour ce type de reconnaissance de la nationalité, mais ils peuvent obtenir plus tard la pleine nationalité béninoise. À partir de ce moment-là, ils pourront bénéficier du droit de vote et être éligibles.
Est-ce que vous sentez un intérêt des descendants d’esclaves qui sont concernés par cette loi et cette possibilité d’obtenir la nationalité béninoise. Quel retour avez-vous eu ?
Un retour très enthousiaste. Ils ont apprécié la démarche, ils ont apprécié le contenu de la loi. Nous avons, avant même que la loi ne soit votée d’une façon ou d’une autre, échangés avec quelques-uns. Maintenant, après le vote de la loi et sa promulgation, il y a un grand intérêt et un grand engouement dans le cadre de cette loi-là.