Ce que l’on sait de la rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame au Qatar

Afrique

Pour la première fois depuis plus d’un an, les présidents de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, et du Rwanda, Paul Kagame, se sont entretenus. Le face-à-face a eu lieu mardi 18 mars au Qatar, sous la médiation de l’émir, pour tenter de trouver une solution à la crise sécuritaire de l’Est de la RDC. Kinshasa accuse son voisin de soutenir la rébellion du M23, qui s’est emparée de larges parts des provinces du Sud et du Nord-Kivu. Des accusations étayées par plusieurs rapports des Nations unies, mais démenties par le Kigali. Depuis, plusieurs processus essayaient de relancer le dialogue entre les deux hommes. C’est désormais chose faite.

Le communiqué du Qatar est assez bref, mais il y a l’essentiel : les deux chefs d’État de  RDC  et du Rwanda se sont bien rencontrés mardi 18 mars, en tête-à-tête, sous la médiation de l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani 

Cette rencontre n’a rien d’un hasard. Elle n’a pas été décidée en urgence ces derniers jours. Doha avait déjà amorcé des contacts de part et d’autre depuis plusieurs mois. Les discussions ont été maintenues, aussi bien avec Kigali qu’avec Kinshasa. En janvier dernier, l’émir du Qatar avait évoqué l’idée directement avec Félix Tshisekedi. Un mois plus tard, il en discutait également avec Paul Kagame en tête-à-tête, selon une source diplomatique.

Une première depuis février 2024

C’est une première depuis le sommet de l’Union africaine, en février 2024. Mais l’ambiance lors de cet entretien qui s’est déroulé à Doha semble avoir été assez différente, selon le communiqué. On se souvient en effet que le climat de leur précédente rencontre avait été particulièrement glaciale. « C’était une véritable confrontation caractérisée par des échanges houleux », rappelle de son côté un diplomate présent ce jour-là à Addis Abeba.

La rencontre a commencé à 16 heures à Doha (13h TU). Selon les sources de RFI, elle a duré environ 45 minutes, dans un climat jugé « cordial », en grande partie grâce à l’implication de l’émir qui avait déjà essayé, en janvier 2023, d’organiser une rencontre – annulée au dernier moment – entre les deux présidents.

S’il en est autrement aujourd’hui, c’est notamment parce que les circonstances ont changé. Si, d’un côté, les sanctions et les pressions de l’Occident commencent à peser sur Paul Kagame, de l’autre, Félix Tshisekedi a fini par se ranger à l’idée de négocier avec le M23 qu’il rejetait jusqu’ici, les rapports de force sur le terrain ayant changé depuis que le groupe armé a conquis Goma et Bukavu, décrypte Trésor Kibangula, de l’Institut d’analyses politiques Ebuteli.

Pas de cessez-le-feu signé par la RDC et Rwanda

Aucun document n’a été signé ce mardi 18 mars à Doha, assurent plusieurs sources. Mais la présidence congolaise affirme que les deux chefs d’État ont convenu d’un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel.  Pour Kinshasa, c’est une avancée importante, une première étape vers une paix durable dans l’Est de la RDC. Une version aussitôt contestée par Kigali. « Il ne s’agit pas d’un nouveau cessez-le-feu », assurent les autorités rwandaises contactées par RFI. 

Selon elles, il est question du cessez-le-feu déjà décidé lors du sommet du 8 février à Dar-es-Salaam, réunissant les chefs d’État de l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) et de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe). Sur le terrain, ce cessez-le-feu n’a jamais été respecté. Il faut dire qu’une semaine après, la ville de Bakavu était passée sous le contrôle de l’AFC/M23.

Sans donner plus de détails, Doha évoque simplement les engagements pris lors de ce sommet de Dar-es-Salaam, et précise que Paul Kagame et Félix Tshisekedi ont réaffirmé leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel.

« Le but est d’abord de reconstruire la confiance »

C’est ce que l’on peut appeler une entrevue surprise, puisque les regards étaient tournés vers l’Angola, où devaient s’ouvrir à Luanda ce 18 mars des négociations entre le groupe armé AFC/ M23 et Kinshasa. Des négociations qui n’ont pas pu commencer, en raison de l’absence, justement, du mouvement rebelle, qui a suspendu sa participation.

« Le président [Félix Tshisekedi] a été fidèle à sa position, confie une source à la présidence congolaise, à savoir négocier directement avec celui qu’il considère comme le vrai chef du M23, Paul Kagame. Finalement, ce qui arrive est conforme à ce qu’il a toujours dit. »

Pour la suite des évènements, l’objectif n’est pas de créer un « processus de Doha », expliquent plusieurs sources proches du dossier. Mais toujours sous l’égide de l’émir du Qatar, Félix Tshisekedi et Paul Kagame vont rester en contact.  « Le but est d’abord de reconstruire la confiance », confie une source diplomatique.

L’initiative qatarie s’inscrit comme un soutien aux processus de Luanda et de Nairobi, désormais fusionnés sous la coordination des blocs régionaux EAC et SADC. Dans ce cadre, et toujours dans la continuité de la rencontre de Doha, des sources diplomatiques indiquent que deux dialogues directs sont en préparation : un entre Kinshasa et Kigali, et un autre entre Kinshasa et l’AFC/M23.

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Le Qatar, un pays qui entretient de bonnes relations avec la RDC et le Rwanda 

Le Qatar a ramené autour de la table Paul Kagame et Félix Tshisekedi, parce qu’il entretient de bonnes relations avec les deux pays. Pour ce qui est des relations avec Kigali, elles sont notoirement excellentes, comme en a encore témoigné le silence de l’Émirat après les critiques congolaises contre le partanariat entre le Paris-Saint-Germain, propriété du Qatar, et Visit Rwanda. 

Les deux pays ont depuis plusieurs années tissé des liens économiques qui doivent par exemple aboutir à la prise de participation par Qatar airways de 60% du futur aéroport de Bugesera, toujours attendu en 2028, et qui deviendrait son véritable hub passager et frêt en Afrique orientale, et de 49% de la compagnie nationale Rwandair.

Fin janvier, Paul Kagame évoquait « de très bons progrès » sur le sujet et une « conclusion prochaine » de négociations entamées fin 2019. Dans le même temps, alors que depuis plusieurs mois Kigali est sous pression internationale en raison de son soutien au M23, le Qatar a apporté en février 5 millions de dollars à la lutte contre la pauvreté dans le pays. Enfin, on se rappelle que le Qatar avait joué un rôle de facilitateur dans la grâce et la libération de l’opposant Paul Rusesabagina, qui avait pu quitter les geôles rwandaises pour retrouver sa famille aux États-Unis via Doha.

Le Qatar est donc très proche de Kigali, mais il entretient également de bonnes relations avec Kinshasa. Felix Tshisekedi s’y est rendu à plusieurs reprises, la dernière fois début janvier, il y a même établi une ambassade. Les deux pays ont signé un accord de coopération en 2021 prévoyant le développement ou la modernisation de plusieurs ports et aéroports congolais, des projets dont la concrétisation est toujours en cours.