Après lecture du message à lui adressé par la Conférence Episcopale du Bénin, le Docteur Boni YAYI a adopté une démarche très humble orientée vers la recherche de la vérité et destinée à consolider la paix et la solidarité dans son pays, le Bénin. Tout en reconnaissant la réalité du malaise social actuel, il refuse d’en porter seul la responsabilité insistant sur le fait que l’on ne saurait blâmer un régime. Il s’agit selon lui d’une responsabilité due à la mécréance, au manque d’amour du prochain et à certains facteurs exogènes. Lire l’intégralité de la réponse du président béninois au Président de la Conférence Episcopale.
A
Monseigneur Antoine GANYE
Président de la Conférence Épiscopale
Cotonou
Excellence Monseigneur,
J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 09 juillet 2013 et de l’exemplaire du message de la Conférence Episcopale de notre pays que vous avez bien voulu m’adresser et je vous en remercie de tout cœur.
En vos éminentes qualités d’hommes de Foi et de guides spirituels de nos concitoyens, je tiens à vous adresser mes sincères félicitations pour votre attachement à l’avenir de notre pays et le grand intérêt que vous portez aux questions d’intérêt national.
1- Mes commentaires d’ordre général :
À la lecture de ce message, j’ai noté avec intérêt le diagnostic que vous faites sur la situation de malaise observée dans notre pays. Cet état de malaise est réel mais il ne saurait être imputé à un régime ni encore moins à un individu fût-il le Président de la République. En fait, il s’agit d’une responsabilité collective dont les causes sont liées à l’absence de notre Foi en Dieu, à l’amour du prochain, aux pesanteurs de nos structures culturelles et mentales, aux contingences de l’évolution historique de notre société et aux facteurs exogènes. Voilà les sources réelles de maux dont souffre notre pays et qui se traduisent par la mal gouvernance, le refus d’acceptation de l’autre, l’absence de patriotisme et la prégnance de l’individualisme sur l’intérêt général.
En dépit de toutes ces contraintes structurelles et institutionnelles, sans compter l’importance des chocs extérieurs, le Bénin sans ressources minières et pétrolières a certainement accompli des progrès qui n’ont pu rattraper l’accélération de la croissance démographique.
C’est là le sens de notre attachement aux différentes réformes structurelles, institutionnelles, économiques avec comme point de mire le renforcement de l’environnement des affaires, des infrastructures qui nous manquent si tant pour relever le défi des Objectifs du Millénaire pour le Développement et des Objectifs de Développement Durable. Sans verser dans l’autosatisfaction, avec un taux de pauvreté monétaire de l’ordre de 35%, le Bénin, notre pays affiche le taux le plus bas au sein de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine dans les statistiques publiées par la BCEAO. Notre pays continue d’enregistrer des progrès dans un certain nombre d’Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) même si les progrès doivent être consolidés.
2- De la modernisation de notre Constitution :
Les réformes politiques sont aussi indispensables. En ce qui concerne ce dernier point, nous avons envisagé avec les autres Institutions de la République de soumettre au Peuple le projet de modernisation de notre Constitution avec le concours des hauts cadres juristes de notre pays. Des réflexions, il en est sorti un document transmis à l’Assemblée Nationale en 2009. Ce dernier document a été amélioré par un autre groupe de travail de cadres compétents que compte notre pays.
Comme vous l’avez si bien dit, toute révision a besoin de consensus. Je n’ai pas perdu ce point de vue. J’ai souhaité en effet que l’Assemblée Nationale procède à une vulgarisation du contenu de cette modernisation en direction de toutes les Institutions de la République, l’administration publique, les collectivités locales, la classe politique, les forces sociales telles que la société civile, les confessions religieuses, les chefs traditionnels, les femmes, les jeunes, les artisans, les étudiants, les ouvriers, les enseignants et tous autres groupes socioprofessionnels et culturels.
3- Les Précautions prises dans la gestion du projet de modernisation de notre Constitution :
Dès réception du dernier document en 2010 qui n’est pas différent de celui transmis en 2009, le Président de l’Assemblée Nationale a accusé réception pour m’informer du contenu des documents reçus (voir courrier en annexe).
Dans sa lettre, il a reconnu notamment trois principales innovations du projet de modernisation. Il s’agit de :
a- La création et la constitutionnalisation de la Cour des Comptes dans le cadre de la gestion transparente des finances publiques et la reddition des comptes devant le Peuple béninois ; à vrai dire, il s’agit d’une Directive de la Commission de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine qui s’impose à tous les Etats membres, et notre pays est aujourd’hui le seul à y dérober à côté du Mali excusable à cause des dernières difficultés qu’il a traversées ;
b- La constitutionnalisation de la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) en vue de professionnaliser et de pérenniser la modernisation de notre système électoral ;
c- L’imprescriptibilité des crimes économiques dans le cadre de la moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption.
En tout état de cause, les réformes ne remettent en cause l’article 42 de notre Constitution qui interdit à tout citoyen d’exercer plus de deux mandats présidentiels dans notre pays, tout en maintenant la limitation de l’âge.
Par ailleurs, l’Exécutif, le Parlement et la Cour Constitutionnelle ont verrouillé ces dispositions par l’adoption d’une loi référendaire qui interdit la révision sur les points retenus par l’article 156 de notre Constitution à savoir :
d- La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;
e- L’intégrité du territoire national.
En plus de ces dispositions, la loi référendaire a ajouté les autres fondamentaux de notre Conférence Nationale c’est-à-dire :
f- La limitation des mandats à deux renouvelable une seule fois ;
g- La limitation de l’âge de quarante ans au moins et soixante-dix ans au plus ;
h- Le type présidentiel du régime politique.
Au vu de ce document, le Président de l’Assemblée Nationale reconnait qu’il n’a reçu aucun document qui parle de la nouvelle république au cœur des intoxications à l’origine du malaise politique actuel dont vous faites allusion (voir lettre du Président de l’Assemblée Nationale en date du 07 juin 2013)
Nous devons retenir que dans la lettre adressée au Président de l’Assemblée Nationale, j’ai toujours rappelé la nécessité d’une approche consensuelle. Le Président de l’Assemblée Nationale travaille sur cette base tout en respectant les procédures de l’Assemblée Nationale. Nous sommes tous d’accord avec vous qu’aucune modernisation ne peut se faire sans le consensus.
Vous avez à juste titre parlé de la crise de confiance et je suis parfaitement d’accord avec vous.
Mais par quel miracle la majorité parlementaire peut-elle faire passer lors des débats un projet différent dont l’objet conduirait à une révision opportuniste ?
Par ailleurs, la Cour Constitutionnelle, gardienne du temple, continue d’être le rempart pour garantir l’équilibre constitutionnel de notre pays.
Excellence Monseigneur,
Sur ce point, je me permets de regretter l’absence d’échange entre vous et moi. J’ai le sentiment que la Conférence Épiscopale a fait des déclarations sur la base des informations non fondées alors que cet incident aurait pu être évité si des rencontres avaient été organisées entre elle et toutes les Institutions de la République qui sont convaincues du bien-fondé de ces ajustements techniques qui n’ont aucun rapport avec une quelconque dissolution de notre Constitution.
Par ailleurs, je regrette également les intoxications sur le projet intervenu à la fin de l’année 2012 à un moment où notre pays a décidé de mettre fin à des crimes économiques enregistrés dans la gestion du coton et dans la gestion des réformes portuaires (PVI) alors que le document transmis depuis 2009 qui n’a pas changé n’avait pas soulevé autant de remous de nature à remettre en cause la quiétude de nos populations. Ces intoxications sont donc bel et bien véhiculées par des manipulations orchestrées par ceux-là qui veulent détenir seuls la richesse du pays tout en remettant en cause l’intérêt général.
Excellence Monseigneur,
La lutte contre la corruption est une exigence à laquelle je ne me déroberai jamais quel que soit le prix sur cette terre.
Ce qui m’amène à dire enfin un mot sur le point 5 de votre message intitulé « l’Appel inoubliable du Pape Benoît XVI au Bénin »
4- Triste dossier d’empoisonnement :
Excellence Monseigneur, une question me tient à cœur!
C’est avec beaucoup de déceptions que j’ai pris connaissance du premier paragraphe de ce point où vous estimez que le drame qui a failli faire basculer dans la violence notre Nation à savoir la tentative d’empoisonnement et de coup d’Etat sont douteux et ont provoqué des arrestations contestées alors même que les inculpés n’ont pas contesté les faits.
C’est avec beaucoup de peine que je soulève ce point parce qu’au-delà de tout, je suis citoyen avant d’être Président et j’ai un droit à la vie. Je demeure persuadé que je suis une créature de Dieu et à ce titre nul n’a le droit de détruire toute créature que le Père Céleste a façonnée de sa main.
Je suis peiné de poser ce problème sans vouloir agacer mes chers compatriotes qui croupissent dans la misère. Je me dois de le poser parce qu’il est pendant devant la justice de notre pays et constitue aujourd’hui un sujet au cœur de l’opinion nationale et internationale.
Je m’empresse de vous dire qu’au stade où se trouve son instruction je m’en suis dessaisi pour le confier à la Justice Divine car c’est Dieu qui m’a créé et tout est grâce.
Cependant, je me permets de vous prier avec beaucoup de respect et de considération en votre qualité de Président de la Conférence Épiscopale, une Grande Institution de Foi, de bien vouloir me faire connaître les éléments en votre possession à partir desquels vous déclarez qu’il s’agit d’événements douteux et contestés.
Je me permets de vous poser cette question parce que j’ai foi en votre institution et en sa crédibilité. Je continue de croire que vous auriez réussi à contacter le principal accusé et que vous détenez de ce fait des informations à travers votre déclaration. Je continue de croire que la Conférence Épiscopale ne veut pas à travers cette déclaration se substituer à la justice de notre pays, ou l’influencer dans l’instruction de ce dossier, ou semer le doute dans l’opinion nationale et internationale.
Simple citoyen et créature de Dieu, j’ai droit à la vie ; Président de la République je suis tenu au respect du Peuple béninois et à la fonction présidentielle mais je me suis toujours refusé d’accepter de me dérober à la responsabilité qui est la mienne dans la préservation des biens publics.
Oui! je suis conscient de cette humiliation dans laquelle reste plongées aujourd’hui l’image de notre pays et la mienne.
Enfin, je continue de croire qu’à travers cette déclaration, la Foi ne veut pas être politisée au profit d’un groupe de citoyens et au détriment d’autres sur la base des critères qui m’échappent. Elle doit s’efforcer d’être au service de toutes les âmes créées et aimées par Dieu, le Père Céleste, Père de nous tous, quelles que soient nos origines.
Encore une fois, je salue votre attachement à la paix dans notre pays et je renouvelle mes vœux de voir votre Institution prestigieuse s’entretenir périodiquement avec moi des questions dont elle est saisie et qui concernent la paix, la sécurité et la prospérité de notre chère Patrie.
Je vous saurais hautement reconnaissant des dispositions que vous voudriez bien faire prendre au nom de Dieu le père Céleste pour faire droit à ma requête, ma soif de connaître les raisons de l’implication de votre Institution dans un dossier entre les mains de la Justice que nous voulons indépendante dans notre pays et les raisons qui ont présidé à de telles Déclarations dont la nature est de Diviser plutôt que de rassembler et d’éloigner notre pays de sa crédibilité internationale puisque le Président de la République serait un « menteur » et un « geôlier ».
Je suis respectueusement dans l’attente de votre réponse.
Je vous prie de croire, Excellence Monseigneur, à l’assurance de ma haute, Filiale et spirituelle considération.
Que Dieu bénisse l’Église !
Et que Dieu bénisse le Bénin, notre Patrie Commune !
Dr Boni YAYI