En dépit de leurs nombreux avantages pour les individus et la société, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont susceptibles d’engendrer des nuisances telles que la désinformation et les manipulations de toutes sortes. Pour inverser cette mauvaise tendance, l’ONG ALCRER participe à un processus international qui vise à réguler l’espace démocratique de l’information et de la communication. Martin Vihoutou ASSOGBA, directeur exécutif de l’ONG ALCRER revient ici sur les enjeux de ce combat et les contributions de son organisation.
Depuis quelques années, on note un engagement de l’ONG ALCRER sur la question des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Qu’est-ce qui justifie un tel investissement ?
Martin Vihoutou ASSOGBA: Depuis quelques années, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication n’épargne aucun pays. Ces technologies ont introduit de nombreuses innovations dans nos sociétés. Nous avons aujourd’hui d’importantes facilités dans la vie quotidienne et un accès privilégié à une quantité inouïe de données sur lesquelles nous nous basons pour prendre des décisions individuelles et collectives. Malheureusement, ces technologies sont aussi à la base de dérives et de pollutions informationnelles qui ont des conséquences sur nos processus démocratiques, la paix, la sécurité, la cohésion sociale…A ALCRER, nous estimons que nous n’avons pas le droit de laisser l’innovation technologique voire les intérêts des grands groupes économiques prendre le pas sur les intérêts de l’humanité et de la démocratie. Ces constats qui font l’unanimité aujourd’hui ont amené plusieurs États à signer le Partenariat international sur l’information et la démocratie lors de la 74e Assemblée générale des Nations unies tenue en septembre 2019. Cet accord intergouvernemental adopté déjà par une cinquantaine de pays dans le monde dont le Bénin vise à promouvoir et mettre en œuvre des principes démocratiques dans l’espace global de l’information et de la communication. Pour faciliter la mise en œuvre de ces principes, onze organisations de la société civile et du monde académique ont créé, en novembre 2019, le Forum sur l’information et la démocratie. Depuis sa création en 2019, ce Forum est l’organe de mise en œuvre du Partenariat international pour l’information et la démocratie. Il publie chaque année des rapports contenant des recommandations de politiques publiques fondées sur des données probantes, élaborées sur la base de contributions de centaines d’experts à travers le monde.
Quel est le lien entre ce Forum et l’ONG ALCRER ?
Depuis 2021, ALCRER est très honorée non seulement de représenter ce Forum international au Bénin mais aussi de prendre part aux processus engagés pour progressivement mieux réguler les espaces de l’information et de la communication. Dans le cadre de ces processus, le Forum sur l’Information et la Démocratie collabore avec des organisations de la société civile afin de développer des normes et standards internationaux inclusifs, prenant en compte les défis de chaque région du monde. En tant que partenaire du Forum, l’ONG ALCRER est chargé de mobiliser les parties prenantes : les experts, les régulateurs publics et décideurs politiques du Bénin afin de favoriser non seulement la remontée des contributions de ces acteurs nationaux mais aussi la mise en œuvre de mesures normatives appropriées dans le pays. C’est ainsi que des experts béninois, sous la coordination de l’ONG ALCRER, ont participé, depuis 2021, à trois Groupes de Travail tels que :
-Les régimes de responsabilité pour les réseaux sociaux et leurs utilisateurs (septembre 2022) ;
-Le pluralisme de l’information dans les algorithmes de curation et d’indexation (février 2023);
-L’intelligence artificielle pour le compte de 2024.
Justement sur la question de l’intelligence artificielle, vous organisez une série d’activités depuis 2023…
Dans le cadre de notre partenariat avec le Forum pour l’information et la démocratie, nous avons mobilisé, au cours du second semestre de 2023, six experts béninois qui ont participé, à l’instar des experts des autres pays du monde, à un groupe de travail sur l’intelligence artificielle. Cela a abouti, en février 2024, à un rapport mondial intitulé « L’IA en tant que bien public : Garantir un contrôle démocratique de l’IA dans l’espace de l’information ».Le rapport a proposé plus de 200 recommandations de politiques publiques pour traiter l’IA comme un bien public et la rendre bénéfique pour la société et la démocratie. Ce travail a surtout permis de constater que des solutions existent pour construire un espace mondial de l’information et de la communication propice à la démocratie, qui crée de la valeur pour les personnes non seulement en tant que consommateurs, mais surtout en tant que citoyens. Mais ces solutions ont besoins que soit mis en place un cadre de gouvernance favorable au développement et au déploiement de systèmes d’IA plus éthiques, plus responsables et protecteurs des procédures démocratiques.
Dans quelle mesure le Bénin est-il intéressé par ces recommandations formulées au niveau international ?D’abord, il faut rappeler que le sujet de l’IA préoccupe le Bénin et c’est pour cela que le conseil des ministres a adopté en janvier 2023 une stratégie nationale sur la question. Après la sortie, au niveau international, du rapport du groupe de travail sur l’IA, le 28 février 2024, nous avons organisé, un atelier de restitution à Cotonou pour permettre à un certain nombre d’acteurs tels que le ministère du numérique, les OSC, les médias et certains régulateurs comme l’Autorité de Protection des Données Personnelles (APDP) de maîtriser le contenu du rapport. Lors de cet atelier tenu le 1è avril 2024, nous avons fait un exercice pour adapter les recommandations majeures au contexte du Bénin. Mieux, le 28 novembre 2024, nous avons organisé un séminaire qui a mobilisé une quarantaine d’acteurs – des responsables du parlement, du ministère du numérique, de la presse, des OSC aussi bien au niveau national qu’au niveau local comme les cellules de participation citoyenne – pour échanger sur les enjeux et les défis de l’IA au Bénin et nous en avons profité pour approfondir les recommandations que notre pays doit mettre en œuvre pour tirer de l’IA les meilleurs bénéfices possibles.
Que peut-on retenir de ces recommandations ?
Il s’agit d’une dizaine de recommandations pour amener le Bénin à promouvoir un usage pacifique, éthique, responsable et constructif de l’IA. Nous avons appelé à la mise en place d’un cadre juridique et de gouvernance obligeant les développeurs et les déployeurs d’entités synthétiques telles que les chatbots, les assistants virtuels à informer les utilisateurs qu’ils communiquent avec un système interactif piloté par l’IA et à prévoir des méthodes permettant de détecter de manière fiable le contenu qu’ils génèrent, notamment en intégrant un filigrane dans le contenu généré. Nous avons souligné aussi la nécessité pour les plateformes d’identifier les informations relatives à l’authenticité, la provenance et aux contenus générés par l’IA par les meilleurs moyens actuellement disponibles ainsi qu’à présenter ces informations à l’utilisateur final.Nous appelons également à l’instauration d’un régime de responsabilité pour les plateformes d’IA générative avec la mise en place de mécanismes de transparence, d’atténuation des risques et de recours accessibles à travers, par exemple, des portails de plaintes, des médiateurs indépendants, etc.Il faut améliorer l’accès des chercheurs aux systèmes d’IA et instaurer des processus inclusifs dans la gouvernance de l’IA tout en encourageant la recherche et l’évaluation des technologies de l’IA.
Qu’est-ce qui est prévu pour la prise en charge de ces recommandations par les autorités ?
La plupart de ces recommandations ont été conçues en tenant compte de la stratégie nationale d’IA et des mégadonnées 2023-2027 dont la vision est de faire de l’IA un levier de croissance des secteurs stratégiques. Dans un premier temps, nous allons animer une campagne de communication destinée à faire savoir ces recommandations auprès du public en général et des autorités en particulier. Ensuite, nous allons cibler les décideurs au niveau du parlement et du gouvernement pour nous asseoir et discuter de l’opérationnalisation. En se dotant d’une stratégie nationale d’IA, notre pays affiche de grandes ambitions dans ce domaine. Chaque citoyen a le devoir de contribuer à ce que ce domaine soit maîtrisé et apporte de la valeur ajoutée au développement socioéconomique national.
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