Des centaines de kilomètres de routes ont été construits en amont de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui se doit se dérouler en Côte d’Ivoire du 13 janvier au 11 février 2024. Mais à Abidjan, où la vie est d’ordinaire rythmée par des bouchons spectaculaires, la situation chaotique du trafic lors des matches-test fait redouter que les embouteillages gâchent la fête du football.
« Le stade Ebimpé, c’est un cauchemar », résume Thomas avant de faire le récit de la soirée où il a voulu assister au match amical entre la Côte d’Ivoire et le Mali au mois de septembre. Ce jour-là, le stade est inondé après une pluie battante et le match doit être arrêté avant la fin, créant un petit scandale dans le pays. Mais tout cela, Thomas ne l’a pas vu : après plus de 3 h 30 d’embouteillage pour un trajet de 35 km, il renonce à rejoindre le stade et fait demi-tour.
En cause, d’après le Cocan, le comité d’organisation de la CAN 2024 : l’absence de voie dédiée pour permettre l’arrivée des équipes et du cortège officiel aurait nécessité de bloquer totalement la circulation pendant près d’une heure, créant cette situation chaotique. Le problème aurait été résolu depuis. L’organisme, en collaboration avec les autorités ivoiriennes, assure s’être adapté. Des parkings relais et des bus ont été mis en place pour faciliter le transport du public au stade.
Quatre kilomètres de marche pour accéder au stade
Des mesures insuffisantes, juge Sidiby Gbazie. Ce fan de football a publié un long témoignage sur les réseaux sociaux où il raconte qu’après des heures d’embouteillages, il a dû marcher 4 km pour assister à la rencontre Côte d’Ivoire – Seychelles du 17 novembre. Il écrit avoir échoué à monter dans l’un des bus pris d’assaut par la foule de jeunes supporters.
Simon Nobou, le vice-président de la commission de la logistique et des transports du Cocan, le reconnaît : les embouteillages sont « un sujet de préoccupation majeure » tant pour le comité d’organisation que pour les autorités ivoiriennes. Plusieurs réunions ont été organisées à ce sujet avec les ministères concernés et la primature.
Au-delà des embouteillages, le président Alassane Ouattara semble avoir fait du bon déroulement de la CAN une affaire personnelle. Difficile, d’ailleurs, de ne pas voir dans le remaniement du mois d’octobre, un signe qu’il veut une équipe gouvernementale concentrée au maximum sur l’organisation de la compétition. Il renouvelle alors sa confiance à la majorité de ses ministres mais limoge son ministre des Sports. Il nomme un nouveau Premier ministre, Robert Beugré Mambé, à qui est attribué ce portefeuille. Cet ingénieur civil est notamment connu pour avoir organisé avec succès les Jeux de la Francophonie en 2017.
« Il y a encore des réglages à faire, mais on va y arriver, j’en suis convaincu », plaide Simon Nobou. Pour limiter le problème, le comité d’organisation encourage les spectateurs à privilégier le covoiturage et les transports publics. Il dit également compter sur la livraison de la voie Y4 pour désengorger le trafic. Le périphérique d’Abidjan, toujours en construction, devrait être terminé d’ici le 10 décembre.
Le casse-tête des plans de circulation
Autre casse-tête sur lequel planchent les parties prenantes : la mise en place de plans de circulation qui permettent à la fois aux joueurs et aux spectateurs d’arriver à temps pour voir le match, et aux habitants de continuer à circuler dans la ville. Pour le moment, ces plans ont été définis pour toutes les villes hôtes sauf à Abidjan. Le ministre des Transports a bien donné comme consigne de fermer le moins de voies possibles à la circulation, mais il semble compliqué d’en faire totalement l’économie.
Lors du match Côte d’Ivoire – Afrique du Sud le 17 octobre, la fermeture du boulevard lagunaire, artère importante de la capitale, pour permettre au convoi officiel de se rendre au stade Houphouët-Boigny, dans le centre-ville d’Abidjan, a immobilisé une bonne partie du sud de la ville. La police a finalement allégé le dispositif au cours de la soirée.
Les chauffeurs ont « très peur pour la CAN »
Abdul Affi, chauffeur de Yango – une compagnie de VTC très présente en Côte d’Ivoire– s’en souvient encore. Ce soir-là, il arrête de travailler six heures plus tôt que prévu à cause des bouchons. « Les chauffeurs, on a tous très peur pour la CAN », nous explique celui qui envisage de mettre son véhicule en location pendant la durée de la compétition. Il évoque également les travaux qui se sont multipliés dans toute la ville pour rénover des voies ou construire de nouveaux ponts et échangeurs, et qui ralentissent partout le trafic. « Abidjan est en chantier, je ne vois pas comment ils pourraient tout terminer à temps », s’alarme t-il.
Le manque à gagner est réel pour les professionnels du transport. Isaak Diomandé, coordonnateur de la commune de Bingerville du syndicat Maison des Transporteurs de Côte d’Ivoire, nous explique que si la compétition aura très probablement un impact positif pour les transporteurs de marchandises, la situation est différente pour ceux qui transportent des personnes. Il estime que les « gbaka », ces minibus qui se rémunèrent en fonction du nombre de personnes transportées, pourraient perdre une partie importante de leur chiffre d’affaires pendant la CAN en raison des embouteillages. « Si un gbaka, qui fait normalement huit fois son trajet aller-retour par jour, n’en fait plus que 4 ou 5, c’est autant d’argent perdu pour les conducteurs. »