Afrique : Le Bénin veut mettre en avant son patrimoine culturel et historique pour développer le tourisme

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Le Bénin est engagé dans une politique très ambitieuse de développement touristique. Ce — relativement – petit pays d’Afrique de l’Ouest veut notamment exploiter son patrimoine culturel, artistique et historique pour attirer les visiteurs, et les investisseurs étrangers. Entretien avec Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts du Bénin. 

RFI : Comment résumer la stratégie touristique du Bénin  d’un point de vue économique ? 

Jean-Michel Abimbola : Dès 2016, le gouvernement du président Patrice Talon avait réfléchi à la diversification de l’économie béninoise. Historiquement, c’est d’abord l’agriculture, le transit du coton par le port de Cotonou, la noix de cajou. Ce n’était pas suffisant pour pouvoir occuper l’ensemble de la jeunesse béninoise et pour pouvoir dynamiser l’économie. Donc, après cette analyse, il a été considéré qu’il fallait diversifier l’économie. Premièrement par l’industrialisation, deuxièmement par le fait de fructifier le potentiel béninois en matière de patrimoine de culture et d’art, créer de la richesse grâce au tourisme, créer de l’emploi pour la jeunesse. Pour cela, il a été mis en place un programme cohérent, sur une décennie qui s’achève en 2026. Il est en train d’absorber la bagatelle de 1250 milliards de francs CFA (près de 2 milliards d’euros). Ce montant d’investissement illustre la volonté politique parce qu’une politique publique sans moyens, c’est un slogan.  

Qu’est-ce qui a le plus avancé depuis dix ans ? Les infrastructures ? 

Nous avons un programme très intégrateur. Il y a les infrastructures bien sûr, les constructions de sites, les constructions et réhabilitations de musées, les constructions d’hôtels. C’est en cours sur tout le territoire national à Cotonou, Abomey, Porto Novo, Ouidah, à Nikki, dans le nord du pays. Nous avons également tout le côté « soft » avec des hôtels comme le Sofitel 5 étoiles de Cotonou, le Banyan Tree d’Avlékété, le Club Med en projet. Et il faut que le service suive. Nous prenons des dispositions pour la formation, le renforcement de capacités avec la restauration. Il faut former les guides. 

Que faites-vous pour la promotion de la destination ? C’est ce que fait la France depuis très longtemps, ce que font le Maroc, la Côte d’Ivoire ou le Rwanda à leur manière 

Il y a des techniques, des recettes. On ne peut pas développer une destination touristique sans stratégie marketing et de promotion. Donc oui, nous avons même une agence dédiée pour cela, que nous appelons « Bénin Tourisme » et qui s’occupe de la marque-pays. Et tout cela va permettre d’aller atteindre les cibles, les différents marchés pour faire connaître le Bénin, sa culture, son patrimoine, les sites qui valent la peine d’être visités, travailler en relation avec les tour-opérateurs et les différents professionnels du tourisme à travers le monde.  

Vous étiez récemment en Arabie saoudite. Pourquoi ? C’est un modèle ? 

Le Bénin travaille avec tous les pays de bonne volonté, aux bonnes pratiques qui peuvent nous inspirer et nous permettre d’atteindre nos objectifs. Nous en Afrique, quand on parle d’Arabie saoudite, on ne voit que le volet cultuel, religieux pour la plupart des Africains du fait de l’Islam, du pèlerinage à La Mecque. Mais l’Arabie saoudite, c’est beaucoup plus que ça. Nous avons une attention pour les cultures du monde arabe et les cultures islamiques. Donc, nous avons un intérêt effectivement à coopérer avec l’Arabie saoudite et nous venons de signer une convention à cette fin. 

Cette diplomatie culturelle, touristique, économique, elle s’incarne aussi dans la valorisation du patrimoine historique. On pense aussi à la restitution des œuvres d’art, très attendue dans de nombreux pays africains.  

Rien n’est improvisé, rien n’est fait au hasard. Le gouvernement du président Talon est arrivé en 2016. Immédiatement, il a été demandé la restitution des biens culturels béninois. Dans un premier temps, avec le président Hollande, nous avions eu une fin de non-recevoir a été réitérée et là le processus a abouti. Nous avons pu déjà récupérer 26 œuvres. C’est un moment historique. Mais il n’est pas venu au hasard. Vous avez vu que tout de suite après, nous avons organisé une exposition diptyque ici pour montrer le génie béninois. L’exposition à la Conciergerie qui a duré trois mois vient de s’achever : l’art contemporain du Bénin a été exposé avec un grand succès puisqu’il y a eu 175 000 visiteurs. Il y a un intérêt pour l’art contemporain béninois avec des artistes qui sont recherchés dans les plus grandes collections. Nous sommes allés à la Fondation Clément à Fort-de-France en Martinique, à Rabat au Maroc, le Bénin avait un pavillon à la biennale de Venise. 

Il y a aussi l’histoire douloureuse de l’esclavage et de la colonisation. En faire un élément de votre politique touristique, notamment à Ouidah, est-ce une façon d’envoyer un message aux pays étrangers via leurs visiteurs ? 

Non, nous n’avons pas cette arrière-pensée. Nous avons eu dans notre histoire des moments douloureux qui sont parfois insuffisamment connus des Béninois eux-mêmes et peut-être du monde. Nous avons l’occasion à travers un parcours mémoriel, touristique, de faire un focus sur certains aspects, mais il ne s’agit pas du tout de donner des leçons aux gens, ou leur donner mauvaise conscience. Il y a plusieurs cibles. Nous avons les Afro-descendants pour qui le Bénin vient de mettre en place une législation afin de leur donner la nationalité par reconnaissance. Les héritiers ou en tout cas les enfants de ces captifs ont également besoin de se reconnecter avec la terre-mère. Nous visons aussi les visiteurs « ordinaires » peut-être moins informés. J’imagine que si l’on interroge un Français lambda sur la traite des Noirs en Afrique, la plupart vont citer Gorée au Sénégal. L’histoire de Ouidah est insuffisamment connue. On a besoin de la faire connaître sans culpabiliser qui que ce soit. Parce que les responsabilités, vous le savez bien, sont partagées.