L’homme le plus riche du monde, chargé par Donald Trump de réduire radicalement la dépense publique, a annoncé hier lundi la fermeture de l’USAID, l’Agence américaine d’aide au développement. Hier matin les employés ont reçu un email les appelant à ne pas venir travailler. Les portes de l’agence qui gère les programmes d’aide de 120 pays dans le monde sont restées closes. L’USAID semble donc être la première victime du DOGE, le nouveau département de « l’efficacité gouvernementale » confié à Elon Musk par Donald Trump.
Les 1200 employés du siège de l’agence à Washington sommés de ne pas se rendre à leur bureau, les portes scellées au ruban jaune par la police, les systèmes informatiques bloqués. Un « chaos total » régnait ce lundi au sein de l’Agence pour le développement international, qui gère des programmes d’aide dans quelque 120 pays, rapporte notre correspondant aux États-Unis, David Thomson. Le compte X d’USAID a été suspendu et son site internet est hors service, alors que plusieurs hauts responsables de l’agence ont été placés en congé administratif dès samedi soir.
Dimanche 2 février, Elon Musk – chargé par Donald Trump de réduire les dépenses publiques – a qualifié l’agence américaine d’« organisation criminelle » et affirmé qu’il était « temps pour elle de mourir. » « Ce n’est pas seulement que le vers est dans le fruit, dit-il sur son réseau social X, il n’y a que des vers, c’est sans espoir, il faut se débarrasser de l’ensemble ». Avant d’annoncer dans la nuit lors d’une session vidéo sur son réseau X qu’elle allait « fermer ». La nouvelle porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, justifie cette fermeture en dénonçant le gaspillage de l’argent du contribuable dans des dépenses insensées, dit-elle : « 1,5 million de dollars pour promouvoir la diversité au travail en Serbie, 47 000 dollars pour un opéra transgenre en Colombie »… De la parole aux actes, un nouveau pas a donc été franchi, après le gel des activités de l’agence le 20 janvier dernier.
Quelques heures après ces annonces, le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré que l’agence passerait sous son contrôle. Le chef de la diplomatie américaine l’a indiqué ce lundi lors d’une visite au Salvador, affirmant qu’elle n’avait pas répondu aux questions de la nouvelle administration Trump sur son financement et ses priorités, et que « ce niveau d’insubordination rend impossible de mener un examen sérieux ». « Cela doit cesser et cela doit prendre fin », a-t-il martelé.
Marco Rubio, qui a soutenu l’aide étrangère en tant que sénateur, a accusé l’USAID d’agir comme si elle était une « entité non gouvernementale indépendante ». « Dans de nombreux cas, l’USAID est impliquée dans des programmes qui vont à l’encontre de ce que nous essayons de faire avec notre stratégie nationale », a-t-il dit, estimant que « cela fait 20 ou 30 ans que les gens essaient de la réformer ».
Quels recours pour l’opposition démocrate ?
Des experts mettent en cause la légalité de la fermeture de l’USAID, fondée en 1961 sous le président Kennedy par une loi du Congrès. Les démocrates s’insurgent mais semble bien impuissants devant ce coup de force d’Elon Musk. Cette fermeture brutale de l’agence américaine d’aide au développement pose une nouvelle fois la question de l’absence de contrepouvoir face à Elon Musk au sein de cette nouvelle administration.
« Si Musk ferme l’USAID aujourd’hui, vous pouvez être sûr, s’inquiète Chuck Shumer – sénateur de New York et chef de la majorité démocrate au Sénat – qu’il s’attaquera à une autre cible demain : la poste ? Les impôts ? » … … Or « personne n’a élu Elon Musk » s’insurge de son côté la sénatrice démocrate Elizabeth Warren. D’autant que l’homme le plus riche de la planète a pris le contrôle de nombreux leviers administratifs très sensibles comme le système de paiement du Trésor américain et qu’il ne répond qu’à la supervision du président et encore… Beaucoup se demandent si Musk n’a pas pris l’ascendant sur lui, au point que Donald Trump se voit contraint de confirmer qu’il reste bien le patron. « Elon Musk ne peut pas et ne pourra pas faire quoi que ce soit sans mon accord ; s’il faisait quoi que ce soit sans mon accord, je vous le ferai savoir très vite », assure Donald Trump.
Des financements cruciaux
Avec près de 65 milliards de dollars, les États-Unis sont en volume le premier pourvoyeur d’aide de la planète pour l’année 2023, selon les chiffres publiés par l’OCDE l’année dernière. Et ils figurent loin devant les autres contributeurs. À titre de comparaison, l’Union européenne pointe à 27 milliards – un chiffre qui ne prend en compte que l’aide prélevée sur le budget de l’Union –, chacun des pays membres ayant par ailleurs sa propre contribution en aide bilatérale. L’Allemagne est ainsi le second contributeur mondial, derrière les États-Unis et devant l’UE, avec près de 38 milliards de dollars versés en 2023.
Les financements américains sont donc cruciaux pour les pays bénéficiaires à travers le monde, notamment en Afrique subsaharienne, rappelle David Baché, journaliste au service Afrique de RFI. Mais ces financements ne pèsent pas lourd sur le budget des États-Unis : toujours selon l’OCDE, ils ne représentent que 0,24 % du revenu national brut (RNB) américain, ce qui ne place déjà pas les États-Unis parmi les meilleurs élèves en termes de solidarité internationale. En effet, l’aide publique au développement de l’Allemagne mobilise 0,82 % de son RNB.
Le gel des financements de l’agence pour 90 jours a déjà obligé de nombreux programmes humanitaires ou de développement à cesser du jour au lendemain. D’autres ont été réduits. À l’image de ceux menés par Solidarité Internationale, dont plus du tiers de son budget prévisionnel pour 2025 provient de l’aide américaine.
Des décisions douloureuses
L’ONG, qui intervient dans 21 pays, doit ainsi mettre en suspens son programme d’aide à l’agriculture dans le Cabo Delgado, au Mozambique. « Aujourd’hui, avec ce qu’on a compris des consignes qui nous ont été données par le bailleur américain, les programmes autour de l’accès à l’eau en urgence, on peut les continuer. Par contre, tout ce qui relève de la relance agricole, donc la possibilité pour ces gens d’avoir accès à des semences, développer une petite agriculture vivrière autour du camp dans lequel ils se sont regroupés… ce sont des choses pour lesquelles aujourd’hui, nous n’avons plus de financement et nous avons l’obligation d’arrêter tous les projets en la matière », déplore Kevin Goldberg, le directeur général de l’organisation, au micro de Charlotte Cosset, du service Économie de RFI.
Et ce, même si les financements ont déjà été versés. « Cela nous amène à reprendre l’ensemble de nos budgets, à prendre des décisions parfois très douloureuses en se séparant d’une partie de nos équipes dans certains pays qui sont sur les activités non couvertes par les exemptions et ça a un impact lourd sur notre organisation. Mais cela a un impact encore plus difficile pour les ONG locales avec lesquelles on travaille dans nos différents terrains d’intervention. Des ONG qui parfois sont entièrement dépendantes du projet qu’on a avec elle et qui du coup se retrouvent en très grande fragilité à cause de cet arrêt », constate Kevin Goldberg.
Le gel de l’aide américaine ne menace pas seulement les programmes menés par les ONG, mais aussi ceux des organisations multilatérales ou des gouvernements bénéficiaires. À titre d’exemple, l’ONG médicale Alima a reçu cinq ordres de suspension pour des projets, en contexte de crise, au Cameroun, au Tchad, en Haïti et au Mali. L’absence d’indication claire de la part de Washington suscite la panique parmi les acteurs de l’aide internationale, sur le court terme, pour trouver en urgence des fonds de substitution, mais aussi sur le long terme.