L’École supérieure de journalisme (ESJ) de Paris vient d’être reprise par un groupe d’industriels conservateurs de médias, dont le controversé Vincent Bolloré. Une annonce qui inquiète le secteur dont la majorité des titres de presse sont déjà détenus par des milliardaires.
Alors que la concentration des médias aux mains d’une poignée de milliardaires fait l’objet de nombreuses critiques en France, l’annonce vendredi du rachat de l’ESJ Paris par des investisseurs détenteurs de médias n’est pas passée inaperçue. D’autant que parmi ces milliardaires, plusieurs sont connus pour leur idéologie conservatrice, comme les patrons des groupes Dassault et CMA Médias ou encore le très controversé Vincent Bolloré. La Financière Agache (propriété de Bernard Arnault, qui possède aussi Le Parisien et les Echos) et Bayard presse (La Croix, Phosphore) font aussi partie des repreneurs.
Dans un communiqué publié par l’institution, on peut lire que ce rachat va permettre de « faire de cette école un haut lieu de l’excellence journalistique, un centre de formation de référence où se dessinent les contours du journalisme de demain ». L’ESJ Paris entend « notamment renforcer sa position de référence dans le domaine de l’enseignement journalistique, en particulier en économie ».
« La tentation de former des gens conformes à une idéologie »
Mais les intérêts privés qui sous-tendent ce rachat font grincer des dents et craindre à certains une nouvelle tentative de milliardaires pour élargir leur influence dans le monde médiatique. « La reprise de cette école de journalisme par un consortium de propriétaires de médias nous inquiète. Nous alertons sur le risque de formatage conservateur et favorable aux intérêts des puissants », s’est inquiétée la CFDT Journalistes sur X.
La présidence de l’établissement sera confiée à Vianney d’Alançon (présent dans les repreneurs via sa structure, Financière de La Lance). Cet entrepreneur catholique derrière Rocher Mistral, sorte de Puy du Fou provençal, prendra donc la place de Guillaume Jobin. Ce dernier, dans un message posté sur le site de l’école, a écrit qu’il laissait « la place aux jeunes ». « L’école reste, comme depuis 125 ans, l’école de journalisme de tous les Français et de tous les francophones, pas d’une minorité ou d’une coterie parisienne qui ne représenterait qu’elle-même », ajoute-t-il.
Pour Alexis Lévrier, historien des médias, il est évident que derrière ce rachat, « il y a une volonté de former des étudiants qui correspondront à l’orientation idéologique de ces médias ». « Dans le cas de Vincent Bolloré surtout, c’est évident qu’il y a la tentation de faire en sorte que le journalisme oublie la prise en compte du réel, oublie le travail sur les faits et se mette au service de l’idéologie », analyse-t-il.
Cette prise en main est une occasion de plus pour ces « milliardaires qui ont un projet politique assumé » de dégrader l’image des écoles reconnues. « En permanence, chez Pascal Praud [animateur sur la chaine CNews détenue par Vincent Bolloré, NDLR] par exemple, il y a déjà des discours hostiles à ces écoles de journalisme, notamment à l’ESJ Lille qui est la plus connue, où on prétend qu’il s’agit d’une formation de « gauchistes », de « wokes » et que ça gangrènerait ensuite toute la profession », explique Alexis Lévrier, qui évoque aussi l’Institut libre de Journalisme.
École non reconnue
Fondé en 2018, cet établissement entretient des liens serrés avec plusieurs réseaux politiques et médiatiques de la droite conservatrice française, dont le groupe de Vincent Bolloré et les médias du milliardaire catholique conservateur Pierre-Edouard Stérin, selon une enquête du Monde. Aujourd’hui, plusieurs de ses anciens étudiants, dont certains ont milité dans des organisations de droite radicale, ont été embauchés dans différents médias. Selon l’enquête du Monde, 45% ont été recrutés par des groupes affiliés à l’extrême droite.
Toutefois, il faut tempérer l’impact de cette annonce car si l’ESJ Paris peut se vanter d’être « la plus ancienne école de journalisme du monde », elle ne figure pas parmi les 14 écoles reconnues par la profession. « Elles vont continuer, elles, à faire une formation de qualité, à apprendre les valeurs du journalisme, la déontologie de la presse loin de tout engagement politique. C’est le jour où ces écoles-là seront reprises par les actionnaires qu’il faudra vraiment s’inquiéter », conclut M. Lévrier.
De plus, outre les milliardaires conservateurs, il y a quatre ou cinq autres grands actionnaires « dont le groupe Bayard qui, lui, n’a pas cette habitude-là », commente Alexis Lévrier qui s’étonne d’ailleurs de voir le propriétaire de La Croix aux côtés de celui de CNews. Selon une source proche du dossier citée par Le Monde, c’est justement car Vincent Bolloré aurait été un des premiers à rejoindre le consortium de rachat de l’ESJ que l’opportunité a été élargie à Rodolphe Saadé, Vincent Montagne ou encore Bayard Presse. « Pour éviter une emprise trop forte du milliardaire conservateur ».